Pourquoi ?

Je ne suis pas basque, j’ai des racines gasconnes.
Même si je ne le parle pas, j’arrive à le comprendre.
Ma condition est celle d’un parisien, dont toute sa famille vient de là-bas.
La question que je me pose, pourquoi est-ce que quand j’y retourne, ai-je l’impression que tout est mort ?
Pourquoi est-ce que mes voisins basques arrivent à "imposer" leur langue et leur culture dans les limites du folklorique, alors que mon pays lui est bel et bien mort, alors qu’il a énormément donné à la France ?
Je vous pose cette question.
Adishatz

Grans de sau

  • Vous avez l’impression que tout est mort car en effet, il n’y a plus grand chose de vivant ...

    Votre question, du reste, anime ce site depuis des années. Plusieurs pistes de réflexion sont à avancer :

     La culture gasconne, notamment parce que son moyen d’expression est roman, possède une moindre distanciation au fait français ce qui permet donc une acculturation plus évidente que dans le cas basque, irréductiblement distinct.

    Quant au fait ethnique gascon, il s’est évaporé au XVIIIème siècle, et a totalement été annihilé par la Révolution qui a fait de nous des Français du Sud-Ouest.

     Le fait gascon n’a pas été relevé au XIXème siècle, quand la mise en place des discours ethno-patriotiques s’est faite, sur le fondement de l’héritage révolutionnaire du concept de Nation totalement renouvelé, n’étant plus la fidélité politique à un souverain mais la constitution d’un espace naturel où vivent des individus liés par la langue et la destinée.

    Le fait gascon n’a pas trouvé à s’exprimer, car l’élite locale restée au pays (la question de l’aspiration par Paris des cerveaux locaux est plus vaste que celle de l’atonie gasconne), du moins celle tentée par le régionalisme, s’est engagée dans le patriotisme poétique un peu abstrait du félibrige provençal, qui n’est jamais que le prédécesseur de l’occitanisme.

    L’engagement occitan qui a succédé en 1945 au mouvement félibre a été dommageable, à tout le moins pour des régions qui avaient maintenu une culture gasconne vivace. Bordeaux n’aurait jamais pu être sauvée, tant sa destinée est ailleurs depuis le XVIIIème siècle, mais des pays comme le Béarn auraient pu sauvegarder quelque chose avec un discours plus ancré localement, et un moindre dogmatisme, notamment sur la graphie.

     La Gascogne, au sens des pays peuplés de Gascons, est vaste, divisé de longue date entre l’Ouest et l’Est, distribuée dans des départements qui ne sont pas toujours gascons majoritairement et partagée entre Bordeaux et Toulouse, qui aujourd’hui sont les principaux facteurs de division et d’impossibilité de développer un discours fédérateur.

    Les identités modernes faites d’appartenance à des zones de chalandise ou des régions administratives sont difficiles à contrer.

     La Gascogne a connu des expériences de révolution industrielle qui ont profondément changé le substrat politique de la contrée, en introduisant des thématiques de classe, qui ont favorisé l’émergence d’un discours politique républicain français, universalisant, dont le curieux dernier avatar - après le radicalisme du SO bien connu - est aujourd’hui le FN version Marine, qui progresse largement en Gascogne, notamment dans la vallée de la Garonne.

    Prenons un pays emblématique de la Gascogne : les Landes. Le paysage landais, et ce qu’il implique, c’est un tiers de la Gascogne. Et bien cette lande est l’objet depuis la moitié du XIXème siècle d’un mouvement de mise en valeur tout à fait colonial, via l’industrie du bois d’abord, aujourd’hui via l’agriculture intensive et le phénomène balnéaire.

    Qui dit colonisation dit destruction des structures économiques anciennes, afflux de nouveaux venus, aliénation socio-économique.

    On peut faire la même analyse pour le Béarn avec la découverte du bassin de Lacq.

     Le Pays Basque n’est pas ce paradis identitaire que l’on croit. La côte, si elle est basque par le décor, est largement perdue pour le fait culturel basque, de même que la Soule.

    La côte parce qu’elle est le lieu de l’héliotropisme le plus manifeste, et qu’elle subit l’extension du BAB.

    La Soule parce que sociologiquement, elle est ouverte sur le Béarn, qu’elle a développé un républicanisme français, et que probablement à l’origine, sa structuration agricole la poussait moins aux revendications des "Manex", de l’autre côté du col d’Osquich. Sans oublier que Mauléon a été industrielle.

    Si le Pays Basque intérieur résiste, c’est aussi un petit miracle, qui doit tout à la fois à la résistance basque côté espagnol et aux mérites de la démocratisation post-franquiste qui ont revitalisé le fait basque, qu’au caractère même des habitants, assis sur un monde où règne la petite propriété individuelle dans le cadre d’un communautarisme de vallée très abouti.

    Du reste, les autonomistes basques ont beaucoup travaillé, ils ne se sont pas contentés d’un militantisme linguistique, ils ont touché aux thématiques sociales et économiques. Aujourd’hui, l’autonomisme est une réalité politique indéniable en Basse-Navarre et dans le Labourd intérieur.

  • Je voudrais appuyer sur deux points :
    1) pour les basques et les catalans, la présence du "grand frère" largement autonome côté sud est décisive,
    2) l’identité gasconne a trop tôt déserté ses villes, les gascons sont restés profondément ruraux, ils n’ont pas pris d’initiative dans la mutation économique de leur propre région. Les idées et les capitaux sont venus d’ailleurs, très majoritairement.

    Je développe pour le premier point :

     ce qui permet au catalan comme au basque de rester des langues de communication moderne, c’est l’existence d’institutions, de mouvements politiques, d’entreprises et de médias se définissant tels et employant lesdites langues. Dans chacun de ces secteurs, la dynamique vient du côté sud.

     à l’inverse, prenons l’exemple des médias en Gascogne : aucune chaîne de télé ni même d’émission, aucun titre de presse d’importance, quelques radios seulement associatives qui ne parlent gascon qu’une partie du temps, beaucoup français voire anglais .

    Le second point à travers quelques exemples :

     l’exploitation du bassin de Lacq, principale aventure industrielle en Gascogne, a massivement fait venir des ingénieurs de l’extérieur. Les locaux se sont employés comme ouvriers...
     l’autochtone qui a fait le plus pour le développement de son secteur, c’est peut-être Bernadette Soubirous à Lourdes. Encore ce développement, qui consiste en un flux permanent de pèlerins venant de tous horizons, ne peut-il pas grand chose pour la culture gasconne...
     la "mise en valeur" des Landes, excellent exemple de Vincent, a très largement échappé aux locaux ;
     les quelques industries du piémont Pyrénéen sont le fait de réfugiés ou d’immigrés (Lindt, Turboméca, Messier...).
     Le vignoble Bordelais, et ses propriétaires n’y sont pas pour rien, s’associe à la France, pas à la Gascogne.
     dans les montagnes et sur la côte, le développement balnéaire puis touristique fut initié par une élite cosmopolite parisienne voire européenne. Là encore, les Gascons n’ont fait que suivre.
     les grandes villes, locomotives du changement de cette époque, se trouvaient sur les marges de la Gascogne. Elles s’ouvrirent à d’autres influences. Les Gascons furent rapidement minorisés.

    Et je crois que tout s’en est ressenti : repli de la langue sur les niches restantes, dépossession de l’outil économique, non-développement d’un discours politique, choix architecturaux et paysagers, et fondamentalement : apprendre à ne plus être qu’imitateur, là où tant se siècles d’histoire montrent une tradition d’entêtement à se différencier et à n’en faire qu’à sa tête.

    Au bout du compte, dans le virage de la révolution industrielle entre 1850 et 1930, les Gascons ont eu, peut-être pas ce qu’ils méritaient, mais ce à quoi leur tropisme naturel les destinait.
    Face à l’essor du capitalisme bourgeois, le conservatisme communautaire n’a même pas compris qu’une partie se jouait.
    La considération pour les métiers manuels et les systèmes de proximité n’a pas aidé à développer de grosses sociétés et une caste de cols blancs.

  • De ce passé, je tire quelques conclusions sur la marche à suivre aujourd’hui si l’on veut exister. Pour reprendre l’initiative il nous faut :

     une collectivité territoriale de premier niveau (région) propre sans Bordeaux et sans Toulouse,

     une filière d’innovation in situ, articulant une Université et des lycées avec nos atouts industriels, naturels, et culturels, pour un développement économique recentré.

     un groupe audiovisuel et de presse gascon, sans tergiverser.

     une politique d’aménagement du territoire centrée sur nos intérêts :
    - choix des infrastructures de transport privilégiant notre fluidité à nous, avant celle du transit européen, qu’il revient à l’Etat de financer,
    - règlements d’urbanisme promouvant un paysage spécifique. Les maisons doivent être belles, former des communautés de voisins et la propriété foncière collective doit être maintenue ou restaurée.

     une politique culturelle nette négociant avec l’Education Nationale un enseignement minimum obligatoire de l’histoire, de la géographie et de la culture (langue incluse) de la région. Ce qui implique en amont la création d’un réseau de plusieurs centaines d’intervenants ad hoc, des séminaires de formation et tutti quanti.

    On ne s’en tirera pas à moins. Car contrairement aux basques ou aux catalans, nous devons être autonomes et débrouillards, comme un enfant unique sans grand frère.

  • Tout est mort,dites vous.Vous avez eu des explications et propositions dans les posts ci-dessus auxquels je souscris assez largement.
    Mais quand vous "redescendez",je vous suggère de rechercher les braises sous la cendre et ,dans la mesure de vos moyens,d’y souffler.Il y a parfois d’étonnants retours de feu,du feu gascon en l’espèce ,quand on veut bien les voir et les accompagner.
    Voyez par exemple ce qui se passe en "Val d’Adour Maritime" du côté d’Urt (au sud de l’Adour pourtant) ou le succès massif rencontré par les concerts de groupes locaux,Nadau ou chanteurs de polyphonie pyrénéenne ,groupes de création souvent récente.

    Dans le domaine économique , voyez un succès comme celui du groupe landais Biolandes ,qui vient de reprendre à d’éphémères actionnaires financiers le groupe papetier Gascogne qui semblait à bout de souffle.
    Le souffle,on y revient !

  • J’ai rencontré un élu PS bayonnais, qui nous disait fin des années 80 :
    Nous gascons avont voulu nous intégrer à la citoyenneté française en acceptant de perdre leur langue et culture, ça nous a réussi.
    Les basques ont voulu s’intégrer sans perdre leur langue et culture.
    Aujourd’hui ils réussisent, c’est pour celà qu’inconsciemment nous leur en voulons.

    Je rajouterais, que s’il reste même très peu de culture originale, c’est énorme par rapport aux régions qui ont tout perdu.
    Pour moi la gascogne est loin d’être lessivée...


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