L’évolution phonologique la plus remarquable du Gascon par rapport au latin est le passage du f au h aspiré (le traitement de f est plus divers en basque : f abouti à p, b, h).
Y aurait-il une explication d’ordre physiologique quant à l’impossibilité de prononcer cette labio-dentale (= consonne prononcée par le passage de l’air entre la lèvre inférieure, venant s’appuyer contre les incisives supérieures, et ces incisives supérieures) ?
L’idée est la suivante : la perte d’une, plusieurs, voire de toutes les incisives supérieures avec l’âge entraîne l’impossibilité de prononcer correctement la consonne f.
Pour que cette prononciation altérée du f puisse se perpétuer sur les générations suivantes, il faut que les enfants Gascons (et Basques, Castellans, Cantabres, mais aussi Sardes, Calabrais) aient appris leur langue auprès de personnes âgées. Ceci implique une structure familiale où toutes les générations résident ensemble dans la maison. Et si l’aïeul représente l’autorité, ceci lui donne le statut le référent, en particulier pour la prononciation de la langue. Or c’est précisément cette structure, le type « famille souche » qui semble attesté dans les Pyrénées centrales et occidentales. De plus, on doit prendre en compte le fait que les femmes, de tout temps, ont vécu en moyenne plus âgées, et ont été plus susceptibles d’atteindre l’âge de la chute des dents. La phonologie a pu ainsi évoluer par la prononciation des aïeules édentées entendue par les enfants.
Regardons maintenant si la perte des incisives supérieures entraîne d’autres conséquences sur l’évolution phonologique ?
L’autre labiodentale qui est le v devient difficilement prononçable (fuite d’air), d’où, pour « rectifier le tir », passage à des articulations proches :
– bilabiale ? ou b : vaca prononcé baca) -similitude avec le languedocien et les langues ibériques-,
– semi-consonne –w- entre voyelles (cava prononcé cawa).
La langue n’ayant plus la butée sur les incisives pour trouver son repère, toutes les consonnes alvéolaires ( = consonnes prononcées avec le bout de langue placée au niveau des alvéoles de la gencive située à l’arrière des incisives supérieures) deviennent facilement altérables. Pour éviter de se situer dans cette zone instable des incisives manquantes et retrouver une articulation plus stable, le mieux est de placer la langue un peu plus en arrière. Ce qui peut éviter également un sifflement intempestif dans le cas où une seule dent est manquante.
En conséquence :
– –nd- intervocalique : l’absence du clapet constitué par les incisives ne permet plus de prononcer facilement le d , d’où la réduction à –n- (landa > lana )
– –n- intervocalique, par le même processus, perd de sa sonorité et de sa nasalité, s’atténue et disparait (luna > lu ?a > lua ) ; la même évolution s’est faite parallèlement en basque (voir l’évolution des toponymes basques : http://www.xarnege.com/artikuluak/vascyrom.htm )
– géminée –nn- intervocalique, de manière analogue, se simplifie (annada prononcé anada),
– géminée –ll- du latin, se trouvant déstabilisée, passe à –r- lorsqu’il est en intervocalique (vitella > vetèra ), et passe à –th quand elle se retrouve en finale (vitellus > vetèth ),
– finales –lh , -nh sont articulées plus en arrière [ –y] , de même -tge tend à devenir [–tye] , à la différence du languedocien : [ -l , -n , djé/tché/dzé /tsé] ,
– finale –t a tendance à devenir –c (cantèt > cantèc),
– r apical (roulé du bout de la langue et doux à l’oreille) traditionnel des langues romanes non ibériques se trouve prononcé plus en arrière et donne une sonorité plus dure,
– groupe –iss- prononcé plus en arrière pour plus de stabilité, abouti à –sh- (pissare > pishar),
– groupe –ct- latin > -it (latin factu/-a > fait/-a , fèit/-a) ,caractéristique commune entre le gascon et une partie du languedocien (Aude, sud du Tarn,HG, T&G,L&G), [les autres domaines occitans donnant fach/-a], on évite ainsi l’implosive [ t ? ] percutant la langue contre les incisives.
Mais ce processus est loin d’expliquer toutes les caractéristiques de l’évolution de la phonologie du gascon : réduction de –mb- à –m- (camba > cama ), métathèse (= remontée) du r (praube), etc …
Pour avoir une idée physique plus concrète, vous pouvez essayer de simuler approximativement le cas où il ne reste qu’une seule incisive supérieure : plaquer un doigt sous une incisive supérieure, ce qui crée une fuite d’air. L’effet sur la prononciation est saisissant !
Mais ce modèle me parait un puzzle avec du jeu où les éléments s’emboitent trop facilement : il y a donc nécessité de le déconstruire ou le reconstruire différemment en faisant dialoguer « transversalement » des spécialistes de disciplines : ethnologues, orthophonistes, linguistes.
Note du webmèste :
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