L’eldorado des Aquitains Note de lecture sur un livre de Jacques de Cauna

- Tederic Merger

Où était-il, l’eldorado des Aquitains ?
A Saint-Domingue (devenue depuis "Haïti"), soit la partie occidentale de l’Ile d’Hispaniola [1].
Le titre complet de l’ouvrage est "L’eldorado des Aquitains - Gascons, Basques et Béarnais aux Iles d’Amérique (XVIIe - XVIIIe siècles)" (Editions Atlantica, 1998).

Et qui étaient les "Aquitains" ?
L’énumération "Gascons, Basques et Béarnais" est une approximation : dans "Aquitains", l’auteur place tous les colons de Saint Domingue originaires du vaste arrière-pays des ports de Bordeaux, La Rochelle, Bayonne, qui assuraient leurs départs et éventuellement leurs retours.
Donc, les colons saintongeais, périgourdins, guyennais... en faisaient partie.
Les grandes familles commerçantes bordelaises ont aussi beaucoup compté dans la colonisation de Saint Domingue, et leur gasconnité n’est pas toujours forte.

Bref, l’Aquitaine dont il est question ici, c’est plus une région géographique qu’une région ethnique, plus "Guyenne et Gascogne" que "l’Aquitaine de César" au sud de Garonne.
De ce vaste ensemble aquitain sont venus, d’après les estimations de l’auteur, au 18e siècle, environ 40% des colons français à Saint-Domingue.
C’est beaucoup pour un ensemble régional qui ne comptait peut-être que 10% de la population française.
Admettons que dans cet ensemble "aquitain", les gascons (au sens large, en incluant les béarnais mais pas les basques) pesaient pour moitié... Cela donne un poids gascon d’environ 20% dans la colonisation de Saint-Domingue à l’âge d’or de la colonie.
C’est beaucoup aussi par rapport au poids de la Gascogne dans la population française.
L’abondance de patronymes gascons (Peyré, Castéra...), à la fois dans les archives parcourues par l’auteur, et dans les noms haïtiens d’après l’indépendance, en est une trace : dans la liste des présidents d’Haïti, on trouve Philippe Sudré Dartiguenave et Sylvain Salnave...
Mais 20% de gascon, c’est finalement trop peu pour que Saint-Domingue ait été une "nouvelle Gascogne" ethnique, même si le nom "Gascogne" y a formé des toponymes [2].
Il faudrait aussi rechercher des traces de gascon dans le créole haïtien. Pas sûr qu’il y en ait...

Mais n’oublions pas que 90% de la population de Saint-Domingue était constituée par les esclaves noirs - c’est à la fois ce qui a fait la richesse de la colonie, et ce qui a causé sa perte, avec la révolte des esclaves, à partir de 1791 jusqu’à l’indépendance haïtienne.
Et le cadre administratif de Saint Domingue était l’ancien régime français, avant de subir à sa manière, pendant les dernières années coloniales, les soubresauts de la Révolution française.

L’auteur Jacques de Cauna sait tout cela, mais est attentif aux réseaux familiaux, aux solidarités de "pays" ou de villes, si nécessaires aux colons dans leur lutte éperdue pour se faire une place à Saint Domingue, et peut-être (pas souvent, en fait) y faire fortune.

Même le leader (et finalement gouverneur) noir Toussaint Louverture profitait d’un réseau "aquitain" !
Dommage que Napoléon ait envoyé une armée pour le renverser, à l’appel des colons qui réclamaient le retour de l’esclavage. Opération "qui coûta la vie à plus de 150 000 français et vraisemblablement le double d’haïtiens"...
Louverture a bien été renversé, mais l’armée de Napoléon a été battue par l’armée noire de Dessalines qui a massacré méthodiquement les derniers milliers de blancs pur sucre [3] de Saint Domingue.

Voeu final de l’auteur J. de Cauna :
"Peut-être les Aquitains qui ont eu, à coup sûr, la meilleure part - dans tous les sens du terme - dans une si riche histoire, ont-ils encore aujourd’hui un rôle important à jouer dans sa transmission..."
C’est le rôle tenu par la présente note de lecture.

Notes

[1dont la partie orientale est devenue la République dominicaine, de langue espagnole

[2ce qui explique par exemple l’existence dans Haïti d’aujourd’hui d’une "Organisation des Paysans de Gascogne (OPG)" (http://www.haitilibre.com/article-3702-haiti-agriculture-renforcement-de-la-production-agricole-a-gascogne.html) !

[3si je peux me permettre de plaisanter sur des faits aussi terribles

Grans de sau

  • Au cours d’un voyage à Cuba, j’ai feuilleté l’annuaire téléphonique de La Havane, et j’ai constaté un nombre important de patronymes gascons, des Landes en particulier. Je ne sais si Cuba a été une terre d’immigration gasconne ? Ou si la proximité antillaise a permis ces déplacements à Cuba. Tout ce que j’ai pu savoir, par ailleurs est que des colons chassés de St Domingue par la révolution et l’indépendance, ont émigré au sud est de Cuba, emmenant avec eux leurs "esclaves".
    La faiblesse des gascons est leur manque d’affirmation de ce qu’ils sont, aussi bien en Gascogne (nous le savons bien), qu’à l’étranger. C’est bien regrettable, alors que tant de groupes humains manifestent sans détour leur appartenance, et je trouve celà parfaitement légitime.
    Praubes gascons !

  • Via 23andme et son test génétique, je me trouve beaucoup de cousins génétiques dans les Antilles, notamment hispanophones. J’y reviendrai.

    Les Gascons étaient en nombre, via Bayonne et Bordeaux, à Saint-Domingue : ils ont pu migrer à Cuba une fois chassés par les esclaves devenus maîtres du pays. A moins qu’ils n’aient toujours été présents dès l’origine à Cuba.

    Pour le reste, il y a également des patronymes gascons en certain nombre à Haïti. Il suffit de penser à Basquiat. J’avais lu également que Toussaint-Louverture était d’origine gersoise.

  • Merci, cher Tederic, pour cette recension gasconne. Merci aussi aux commentateurs. On se sent un peu moins seul... Il y a effectivement encore beaucoup à faire pour l’étude de notre émigration aux Îles. J’ai élargi le champ depuis cette époque à Cuba, où l’Oriente particulièrement a été peuplé surtout de Béarnais, venus d’abord de Saint-Domingue puis directement, qui sont à l’origine du très fort développement caféier au XIXe siècle. Voir à ce sujet mon article "une autre Espagne : les Aquitains de Saint-Domingue en quête de refuge à Santo-Domingo et à Cuba", dans la "Revue de Pau et du Béarn", n° 34, 2007. Et, plus récemment, les colloques et travaux divers sur les Delisle (gascons, du château de Caumale) annoncés sur mon blog, avec deux autres publications à venir (Université Bordeaux 3 et Académie de Béarn). J’entame maintenant la Louisiane (conférence à venir le 22 mars à Saint-Jean-de-Luz, voir blog).

    Voir en ligne : http://jdecauna.over-blog.com

  • Jacques de Cauna déroule bien le programme annoncé ci-dessus.
    Ce 14 août au Château de Caumale (1), il a communiqué sur le sujet "Gascons, Basques, et Béarnais en Louisiane". (Escalans)
    Le château de Caumale

    C’était à l’occasion du tricentenaire de la Nouvelle Orléans.
    Je vois que le titre final de sa communication était "L’Amérique des Aquitains, de la Gascogne à la Louisiane".
    Ces titres reflètent la délicate articulation entre les étiquettes "gascon", "aquitain", "béarnais", "basque" : tous les aquitains ne sont pas gascons, les basques par exemple ne le sont pas ; les béarnais, eux, sont selon Jacques de Cauna "la fleur du gascon" !

    Les aquitano-gascons (on va dire comme ça) ont été le plus gros de la dernière vague d’émigration en Amérique française avant, et même après, la fin de celle-ci, actée par la révolte noire de Saint Domingue (qui a conduit à l’indépendance sous le nom de "Haïti") puis la vente de la Louisiane par la France.

    De nombreux créoles de Saint Domingue avaient fui en Louisiane, principalement à La Nouvelle Orléans, petite ville dont ils ont fortement augmenté la population, en lui donnant un nouvel apport français, mais plus précisément aquitano-gascon, alors que la Louisiane n’était déjà plus française politiquement.

    Au delà de ce rôle de refuge pour les créoles de Saint Domingue, la Louisiane a continué d’accueillir des aquitains au 19e siècle : le 1er consulat US ouvert en France, justement à Bordeaux, a accordé 7000 visas à des aquitains pour la Louisiane, selon Anne Marbot, présidente de l’Association AQAF (Aquitaine Québec & Amérique du nord Francophone) la conférencière qui suivait Jacques de Cauna ce 14 août à Caumale. Selon elle, encore récemment, "en Louisiane on parlait souvent de Bordeaux et de l’Aquitaine".
    Bordeaux était un port d’émigration vers la Louisiane.
    Mais les émigrés parfois revenaient, par exemple pour finir leurs jours en terre aquitaine, plus douce et calme que la Louisiane tropicale et ses ouragans...
    Le plan de la Nouvelle Orléans ressemble d’ailleurs à celui de Bordeaux : Bordeaux est le "port de la lune", la Nouvelle Orléans le crescent, le Mississipi jouant là-bas le rôle de la Garonne. Il y a aussi des ressemblances architecturales.

    Cette forte présence aquitaine dans la Nouvelle Orléans et la Louisiane des 18e et 19e siècles se manifeste par les noms souvent gascons de leurs acteurs :
    (pêle-mêle et sous réserve de rectifications)
    Jean et Pierre Lafitte, flibustiers (la "République - ou le Royaume - de Barataria"),
    Ducasse (de Sauveterre)
    Nolibos
    Blaise Dabadie (étaient ainsi nommés les abbés laïcs) : fondateur de Detroit
    Lamotte-Cadillac "basco-béarnais"
    Lassus
    l’orthézien Paul Lanusse qui a créé la Banque de Louisiane
    Vergès
    de Castera
    Laussat
    Ferdinand Joseph Lamothe, pianiste et chanteur de jazz américain, né en 1890 à La Nouvelle-Orléans, connu sur scène sous le nom de Jelly Roll Morton : même le pseudo anglo-saxon Morton venait de Mouton, le nom de son beau-père (Mouton peut être un nom gascon qui n’a rien à voir avec le mouton, mais enfin ce n’est pas certain dans ce cas précis...).
    Et "d’autres gouverneurs gascons"...

    Jacques de Cauna, et c’est important pour nous, ne manque pas une occasion de rendre au gascon ce qui est gascon, que ce soit à Bayonne, à Pau, à Bordeaux...
    Il inscrit ainsi un fait gascon dans "l’histoire des circulations dans l’espace atlantique au 18 et 19e siècles" (2).

    (1) Château de Caumale dont Jacques de Cauna serait devenu "l’âme", selon les mots de la châtelaine Geneviève Fabre.
    Ce château est le siège de la Fédération des Académies de Gascogne, et pourrait jouer un rôle dans la conservation de la mémoire gasconne.

    (2) Sous-titre du livre collectif Dynamiques caribéennes sous la direction d’Eric Dubesset et Jacques de Cauna, qui fera peut-être l’objet d’une nouvelle note de lecture quand je l’aurai lu !

    • Merci cher Tederic pour ce fidèle suivi et compte-rendu de mes activités d’historien. Et cette présence toujours active. Je crois toujours à l’écrit pour une perpétuation dans la longue durée par la connaissance de notre histoire. Caumale, siège de la FAG, est au coeur de la Gascogne et devient au fil des ans un haut et beau lieu de rencontres ouvert à tous (activités annoncées sur le net régulièrement pour ceux qui ne le sauraient pas encore...) !
      Bien amicalement,
      Jacques

  • Intéressant. L’étude ne dit rien des esclaves employés sur ces plantations gasconnes, à rebours de l’obsession actuelle. Un fait plutôt triste qu’on ne doit pas cacher cependant mais qui doit être compris sans anachronisme : autres temps, autres moeurs (et autres conceptions morales) !
    Et curieusement l’étude ne mentionne pas parmi ses sources notre ami Jacques de Cauna qui a pourtant abondamment exploré le sujet ; dommage.

  • Il y a beaucoup trop d’erreurs, c’est dommage :
     les cartes. Epoques différentes, la première, la plus ancienne (16e s.) est aussi la moins précise mais elle reflète à peu près la même partition (voir les noms de lieux) seulement mal transcrite.
     la "région" ne s’appelle pas la Petite Gascogne, mais le canton de la Gascogne, du nom de la rivière éponyme. Elle n’est pas au centre mais entre le bourg du Mirebalais et la plaine du Cul-de-Sac (Ouest)
     "boucan" : c’est le nom du mode cuisson (embroché sur un feu de braises) et non de leurs "habitations" (terme désignant des plantations). On parle de viande ou poisson boucané (ancêtre du barbecue).
     Le vrai nom de Michel d Le Basque a été révélé par moi il y a quelque temps déjà (voir mon blog). Il ne s’appelle pas Etchegorria et n’est pas de Saint-de-Luz. Son nom de famille est Maresteguy (alias Maristegi), famille de du Guipuzcoa.
     Le Cap Français n’est pas devenu Port-au-Prince, mais le Cap Haïtien.
     Ducasse n’est pas "gascon", mais béarnais, famille de parts-prenants de Salies-de-Béarn (voir mon blog et mon livre L’Eldorado des Aquitains).
     70% de Gascons, c’est un peu exagéré. Plus de 50% suffirait. Et pas tous bigourdans, loin de là... (Béarnais dominants).
     Le portrait de Toussaint Louverture est un faux. Voir son vrai visage sur mon blog et dans mon ouvrage sur TOussaint paru aux Edition Sud-Ouest.
     Il était né "sur" (et non "dans") l’habitation (sucrerie) Bréda.
     Expédition Leclerc : plus de 30 000 hommes (premier envoi seulement).
     C’est au contraire ceux qui avaient des biens qui sont indemnisés après la perte de la colonie.
     La liste de noms gascons cités est un copié-collé d’une des premières pages de mon ouvrage. Pourquoi ne pas le citer alors ? L’ouvrage cité en tête de bibliographie est la reprise d’une thèse d’un de mes étudiants que j’ai dirigée à l’UPPA. Elle ne présente pas le caractère global et synthétique de mon ouvrage L’Eldorado... qui l’a largement inspirée.
     Le président Sudre Dartiguenave (et non "Sudré").
     Borgella de Pensié n’est pas béarnais mais bigourdan.

    Dommage, l’intention était bonne ! Merci donc tout de même...

  • Mais non, cher GSG, il ne faut pas être désolé pour le peu de visibilité de la mention de l’ouvrage un peu escamotée en bibliographie par l’auteur, comme je l’ai dit ensuite. C’est un procédé classique. Et merci sutout pour le post qui était très bien pour signaler l’essentiel (titre, fond et source). Je n’ai fait ensuite pour ma part que compléter sur des points précis ...

  • Merci,cher Jacques, pour la fidèle attention que vous portez à Gasconha.com et à bientôt .

  • LA FEDERATION DES ACADEMIES DE GASCOGNE
    La Chaire d’Haïti à Bordeaux, le Centre Généalogique des Landes

    ET

    LE CHÂTEAU DE CAUMALE

    vous invitent au Congrès annuel de la Fédération des Académies de Gascogne
    qui se tiendra au siège de la Fédération dans le cadre de la Journée du Patrimoine,

    le Samedi 16 Septembre 2023,
    château de Caumale à Escalans, 40310

    sous la présidence du professeur Jacques de Cauna (...)

    Caumale 2023 - Détails, programme, bulletin d’inscription
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