Bordeaux rayonne sur le Poitou et le Limousin

- Tederic Merger

Depuis cette interview, le projet est devenu réalité.

La Banque Populaire Centre Atlantique a fusionné avec la Banque Populaire du Sud-Ouest.
Le siège social sera à Bordeaux.

Extrait :
"Je me suis aperçu qu’à la BPCA, la Charente, la Charente Maritime, la Dordogne et les Deux-Sèvres étaient naturellement tournés vers Bordeaux. Pour le Limousin, c’était plus compliqué. J’ai eu rapidement la conviction qu’il y avait peu de relations économiques, peu de flux, entre Clermont et Limoges. La région regarde plus facilement la façade Atlantique et plus volontiers vers Bordeaux que Toulouse."

On savait que Bordeaux rayonnait sur les Charentes. Il apparait que le Poitou et le Limousin sont aussi, au moins partiellement, dans sa zone d’influence.

J’y vois une confirmation qu’il ne faut pas rêver d’une région gasconne dont Bordeaux serait la capitale.
Il faut laisser Bordeaux, qui a certes un passé gascon et un présent partiellement gascon, vivre sa vie de métropole, sur un espace qui est plus du double de la Gascogne.

Donc, favorisons l’autonomisation de la métropole bordelaise par rapport au département de la Gironde ! Il en est question avec la réforme des collectivités locales.
Mais il faut aussi que les régions ne soient plus conçues comme les basse-cours d’une métropole, et qu’elles aient une logique propre.

Cela vaut aussi bien pour la région Poitou-Charentes, qui n’a pas à éclater pour la seule raison qu’elle subit pour une bonne part l’attraction de Bordeaux.

Cela vaudrait pour des régions Gascogne, et aussi Guyenne, à créer, qui fédéreraient des pays faits de campagnes et de villes petites ou moyennes, sur la base d’une géographie et d’une histoire commune.

Voir en ligne : Les explications de Pierre-Yves Drean, initiateur du projet [Le Populaire]

Grans de sau

  • Je suis assez d’accord, reste que si l’on a créé la région Poitou-Charentes, ce n’était certainement pas pour que Bordeaux l’avale, mais au contraire pour favoriser un pôle urbain autour de Poitiers doté de tous les services administratifs, économiques et éducatifs. C’est assez rageant au fond de voir que le découpage régional influe si peu sur la réalité des mouvements. Surtout qu’en l’espèce, Poitiers est vraiment une capitale naturelle de cet espace, auquel ne manque que la Vendée.

    • Donc, on a la preuve que le découpage administratif est insuffisant pour s’opposer au réflexe métropolitain, qui est induit d’une part par les villes elles-mêmes, d’autre part par les puissances économiques. En tentant de crever l’abcès en se débarrassant de la métropole bordelaise, on peut peut-être donc en effet reconstituer un mode de vie plus local centré sur des petites villes qui seraient plus naturellement gasconnes, comme La Réole, Pauillac, Langon, ... Mais là aussi je doute, nous avons eu le débat ailleurs.

      Mon doute est essentiellement fondé sur la réalité démographique : ce qui s’applique à Bordeaux s’applique désormais aux petites villes aux alentours. Je pense que le schéma de développement extirpant Bordeaux aurait été valable dans les années 50-60, quand Langon, La Réole, Pauillac, Créon, Lesparre, ... gasconnaient. Aujourd’hui, ces villes ont reproduit en miniature le modèle bordelais : supermarchés en périphérie de rocades, zones pavillonnaires, ... Au fond, la problématique est identique qu’à Bordeaux. C’est aussi une des conséquences de la décentralisation à la française depuis les premières expérimentations de la DATAR, à savoir qu’elle a été conçue sur même moule pour toutes les collectivités, toutes tailles confondues.

      Et puis, reste la problématique plus polémique : le peuplement. Je suis aujourd’hui convaincu d’une chose, se sentir gascon, en l’absence d’un imaginaire encore à construire, ne peut se réaliser qu’en référence à une généalogie. Nous n’avons pas la puissance évocatrice des Basques qui fait dire "basque" le moindre Parigot à foulard rouge qui possède une maison à Guétary. Sur Bordeaux, qui est gascon ? Bordeaux est-elle encore la ville des paysans gasco-guyennais de la vallée de la Garonne ? Non ! Depuis longtemps, la ville a constitué une enclave cosmopolite distincte de sa périphérie alors encore gasconnante. Migrations limousino-charentaises depuis le XIXème siècle, espagnoles, je ne parle même pas des migrations de la seconde moitié du XXème siècle. Pour avoir vécu à Bordeaux, j’ai quand même eu l’impression que le profil-type du CUBien était d’être arrivé dans les années 60, avec des origines charentaises ou périgourdines.

      Je pose alors la seule question qui vaille : pour quelle raison ces individus se sentiraient-ils en communion avec le projet gascon, qui parle Pyrénées, lande et Garonne ? La seule possibilité, c’est la géographie : oui, le Bordelais va au ski en Béarn et va à la mer sur la côte landaise. Alors, en dépit de ses origines familiales, il sentira l’Aquitaine administrative comme sa région naturelle. Mais ainsi que je l’écris, ce ne sera jamais que l’Aquitaine administrative, et de toute façon, son comportement de consommateur touristique s’apparente plus à du colonialisme culturel qu’à une communion véritable.

      Donc le Bordelais lambda n’est plus gascon, il n’a même pas d’ancêtres gascons, et sa relation avec la Gascogne est indirecte, induite par la seule évidence géographique de Bordeaux (et encore, les autoroutes ont profondément les voies naturelles : la Garonne et la Dordogne ne sont plus infranchissables). On a le même schéma ailleurs : l’habitant moyen de Bilbao n’est pas basque, Toulouse est peuplée d’Aveyronnais et de Tarnais, Barcelone d’Andalous. A un moment donné, il faut se rendre à l’évidence : à part un miracle, un messie, ou plus prosaïquement une stratégie de reconquête indentitaire séduisante, la gasconnité à Bordeaux est morte, il restera quelques noms de rues pour les érudits. Mais là où je suis pessimiste, c’est que je me pose la question suivante : est-ce bien différent ailleurs, dans ces petites villes girondines citées précédemment ?

      Ma propre expérience, mais je ne demande qu’à avoir tort, me fait également penser que ces petites villes, en plus d’avoir perdu la langue, ne sont pas plus peuplées de Gascons en proportion que Bordeaux. La mutation est plus récente mais massive, c’est la civilisation des lotissements à partir des années 80, l’héliotropisme à la campagne. Et j’insiste : au nom de quoi le Bourguignon, l’Orléanais, le Ch’ti ou encore le Lyonnais qui ont fait construire leur pavillon dans la lande bazadaise, à 30 minutes de Bordeaux par l’autoroute, qui regardent la télé française et dont la connaissance du terroir qu’ils habitent se réduit aux promenades du week-end, pour quelle raison ces personnes, respectables au demeurant, s’identifiraient-elles à une nation évanouie dont les traits saillants - la langue, les patronymes, le mode de vie - ont disparu ? Les Gascons sont des Amérindiens en Gascogne, sans l’argent des casinos. Nous sommes face à une substitution de population contre laquelle nous ne pouvons rien faire, parce que le républicanisme français fait de la question un tabou, parce que les collectivités sont heureuses de ce mode de développement, parce qu’in fine, les Gascons n’ont pas la force de s’y opposer.

      Bordeaux est une ville perdue depuis plus d’un siècle, mais porter ses espoirs sur les petites villes ne me semble même plus possible ...
      Pour autant, si nous arrivions à créer une identité gasconne moderne séduisante, inspirée du tropisme basco-ibérique de la jeunesse (ce qui implique de dégager l’occitanisme et ses images d’Epinal vieillies inspirées du félibrige), nous pourrions sauver quelque chose, au moins l’idée de Gascogne à défaut des Gascons.

    • [Vincent, j’ai écrit le présent "gran de sau" avant d’avoir lu ta deuxième contribution. Nous sommes bien sur la même longueur d’ondes !]

      On a là une région humaine, géographique et d’histoire populaire, dont l’existence est marquée par une sous-famille d’oïl, le poitevin-saintongeais (voir les travaux d’Eric Nowak). Pour qu’elle soit entière, il faudrait que la Vendée la réintègre, et même le pays de Retz, et le pays gabaye de Gironde...

      Il est juste de faire un parallèle avec la Gascogne, et on a un cas d’école : dans quelle mesure la reconnaissance d’une région humaine en région administrative renforce-t-elle la réalité géographique de cette région ?

      Nous sommes en économie semi-libérale, et la fixation des centres administratifs ne détermine pas tant que ça les échanges et la localisation des activités.
      De plus, l’institution régionale est encore jeune et relativement faible.

      Nous voyons dans le cas présent que la dynamique métropolitaine spontanée l’emporte sur le volontarisme administratif régional.

      Le problème de la Gascogne est qu’elle a présentement contre elle à la fois la dynamique métropolitaine et le volontarisme administratif régional, puisque les deux font monter en puissance Bordeaux et Toulouse, et défont la Gascogne comme espace d’échanges.

      La voie est donc étroite si on veut refaire exister la Gascogne :

      • tenter de fomenter une dynamique spontanée du même genre que la dynamique métropolitaine, mais qui la contrebalancerait ;
      • dissocier au maximum les métropoles des régions administratives qui se partagent la Gascogne.

      Vu l’état de nos forces, nous sommes plutôt spectateurs et commentateurs qu’acteurs. Mais à force de semer de bonnes graines là où il faut...

    • On l’ a écrit dans différents posts ces jours-ci : l’influence des métropoles régionales est à la fois forte et faible, structurante et conventionnelle.
      Leur force et leur influence sur la substance régionale sont peut-être là où on ne les attend pas.
      L’habitude de recourir aux services publics de la métropole en question créée des accoutumances (un armaganacais ou un bigourdan qu’on envoie toujours faire des éttudes supérieures à Toulouse finira par trouver inimaginable d’aller ailleurs , à Bordeaux par exemple).
      Pire (si l’on peut dire) : ces déplacements ont une influence sur la population et sa répartition:c’est à l’âge des dites études que se forme la majorité des couples et un béarnais rencontrant une nord-périgorde sera tenté tout d’abord de ne rien faire pour retourner travailler en Béarn (à supposer que ça soit possible) et sans doute ne transmettra plus grand chose de sa "béarnitude" à ses futurs enfants.
      Même chose au niveau national (hexagonal, dirait l’autre) avec les grandes écoles parisiennes ou le travail dans les grandes entreprises franciliennes qui créent régulièrement ce même melting pot déracinnant comme nous le savons tous...

      Cela dit,ne nous lamentons pas et ne nous laissons pas fasciner par cette ambigue question des métropoles et des régions administratives, questions sur lesquelles notre capacité d’influence est bien faible.
      Mieux vaut, comme l’écrit Tederic dans son dernier commentaire, créér une dynamique : une mode gasconne, un look gascon (à condition qu’il ne paraisse pas trop tourné vers le passé), une union de centres d’intérêts gascons, etc...
      Bref faire émerger la gasconité du quasi rien au positif qui suscite une certaine adhésion, gratuite et du coeur si possible mais, pourquoi pas, intéressée aussi en terme d’image ou de chalandise (le projet d’"agence gasconne" à nouveau...).

    • C’est Vincent.P qui a parlé de "une identité gasconne moderne séduisante, inspirée du tropisme basco-ibérique de la jeunesse". Rendons à César ce qui est à César, mais que j’approuve néanmoins !-)

    • L’identité gasconne est d’autant plus menacée qu’elle se fonde largement sur un fait ethnographique. L’Etat gascon ou vascon est évanoui depuis longtemps et les cadres administratifs, depuis au moins le XVe siècle n’ont pas contribué à établir une unité historique forte (alors que Bretagne, Alsace, Comtée de Bourgogne et Savoie ont conservé ces réferences, et celles des batailles perdues...).
      Les terroirs sont un lieu d’appartenance à ne pas négliger. Faire le lien de leurs appellations avec le nom de Gasconha est une piste à suivre.

      Quelques digressions :

      Le "Pays de Retz" est la partie occidentale de l’ancien Pagus Ratiatensis, vicaria démembrée entre le Retzois, ancien doyenné, climat ecclésiastique, fief, châtellenie (lesquels ne coïncidaient d’ailleurs pas ! : Rezé, l’ancien chef-lieu, était exclu du doyenné, de même que l’île de Vue). La partie orientale a formé le Teofalgensis ou Tiffauges.
      Pour ce qui est de l’identité, le Pays de Retz est partagé entre la mer (Pornic, assez dynamique, est le centre nerveux qui déterminera l’évolution des cantons voisins), l’"agglomération" nantaise et le terroir plus secret de Granlieu, jusque vers Machecoul. Relevons que la région du marais avait conservé l’usage de la veuze ou cornemuse locale, qui a failli disparaître avec ses derniers sonneurs dans les années 1950, mais que des passionnés ont sauvée pour notre plus grand plaisir : exemple à suivre.
      Le "marais breton vendéen" est à cheval sur Loire-Atlantique et Poitou. De la baie de Bourgneuf partaient au Moyen Âge les navires bretons qui exportaient le sel dans les pays Baltes. Le territoire en bordure de Bretagne et de Poitou était parsemé de marches dites Hautes, Basses, Avantagères à la Bretagne ou au Poitou. Même chose avec l’Anjou : quelques paroisses du Nantais étaient encore dans l’évêché de Nantes mais relevaient de l’Anjou pour le temporel, ce qui les faisait dire "du diable d’Anjou et du Bon Dieu de Bretagne" (La Cornuaille, etc.), lointaine conséquence de l’expansion des Nera angevins. La "maison du Bailli" de l’île de Bouin servait aux deux autorités, Bretagne et Poitou.
      Les limites de la Bretagne, duché puis pays d’Etats, étaient sensiblement plus étendues au sud que celles du département de L-A. Une dizaine de communes de Vendée étaient en Bretagne et avaient demandé leur rattachement à Nantes lors de la départementalisation, mais le marchandage entre petites villes (déjà) a annulé ces souhaits populaires. Ce sont les notables bourgeois urbains, parisianistes mimétiques, qui ont fait les départements, créant ainsi des déserts ruraux aux limites. Voir les études de MM. Chéreau et Cintré sur ces "marches" dont le souvenir ne s’est pas perdu.
      Les paroisse des Marches étaient exemptes de certaines taxes, jusqu’à la révolution de Paris. Le pays était resté assez calme jusqu’à ce que la conscription obligatoire lui tombe dessus avec l’obligation de conformité "nationale", d’où les révoltes populaires contre l’occupation militaire et la répression politique. Des études de ces vingt dernières années sur le thème "Fête et Révolte" ont dégagé les guerres de la Vendée militaire de la gangue des interprétations toutes faites ("royalistes réactionnaires contre Républicains"), qui satisfaisaient tant la droite monarchiste que les thuriféraires des Grands Ancêtres, et les ont replacées dans le conflit global de la ruralité enracinée et de la rationalité politique urbaine et bourgeoise des Lumières. Vendée et Bretagne du Sud ont subi de plein fouet la ’Dépopulation’ (terme officiel) ordonnée par la Convention nationale.
      Les parlers romans du Pays de Retz ont fait l’objet de plusieurs études très intéressantes et collectages. Ils font transition avec le poitevin-saintongeais. Toutefois placer les terroirs en question dans une éventuelle région Poitou-Charente intégrale serait abusif au regard des appartenances historiques encore senties (ce qui n’empêche pas de collaborer contre les PDL, ce qui est dèjà une tâche énorme).

      Le cas est donc différent de celui des zones d’Oïl aux limites du pays gascon (voir sur ce site même les contributions d’E. Nowak et les fines discussions qui montrent une communauté d’intérêts), dans la mesure où la Gascogne apparaît avant tout comme une aire ethnographique que n’étayent pas des frontières millénaires..., d’où nos inquiétudes sur son effondrement interne.

      L’avenir du Poitou-Saintonge (que certains appellent l’Aguiaine, j’aimerais bien savoir si ce nom a des chances de s’imposer) passe par la destruction de la région ’Pays de la Loire’ et la réintégration de la Vendée ou Bas-Poitou dans son aire naturelle. Ce serait un bien pour la langue.

      Conclusions pour la Gascogne : importance des terroirs dans la reconquête ; poids des villes ; parisianisation fantasmée, et acculturation, des notables ; rôle protecteur des délimitations historiques, à ne pas confondre toutefois systématiquement avec les aires linguistiques.

      Pour finir, une réflexion de Burke qui notait dans ses Réflexions sur la Révolution française à propos de la départementalisation : " Il apparaît à quelqu’un qui s’efforce d’apprécier l’ensemble, que la force de Paris, ainsi bâtie, donne naissance à un système de faiblesse généralisée. On prétend que du fait de l’adoption de cette politique géométrique de découpage, toutes les idées locales disparaîtront et que le peuple ne se divisera plus en Picards, Bretons, Normands, mais qu’il ne constituera que des Français avec un même pays, un seul coeur, une seule Assemblée. Il est fort probable cependant qu’au lieu d’être tous des Français, les habitants de ce territoire en viendront rapidement à n’avoir pas de pays du tout. Personne ne s’attachera jamais par orgueil, partialité ou affection à une unité géométrique".

      Nous y sommes.

      PJM


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