Le mauvais combat de l’occitanisme béarnais

- Tederic Merger

L’occitanisme béarnais s’indigne. En cause ? Cette annonce de casting dont s’est fait l’écho le journal local, la République des Pyrénées. Pour caster Nassim, jeune beur, pas d’accent du Sud-Ouest.

L’occitanisme béarnais crie au racisme, à la discrimination. Il rameute sur les réseaux sociaux, le Jornalet fait aussitôt un article, l’InOc Aquitaine partage sur Facebook.

C’est vrai que le mépris de l’accent est quelque chose de fort en France, et il convient de lutter avec véhémence contre ledit mépris. Cela étant, le mépris est souvent renforcé par la haine de soi. Conserver son accent, en faire même un atout, dans la vie privée comme professionnelle, cela est tout à fait possible.

Reste que ce n’est pas le fond du problème. Un artiste a ici besoin d’un jeune acteur qui réponde à des critères précis. Dans son imaginaire à lui, ce jeune enfant d’origine maghrébine n’a pas d’accent du Sud-Ouest. C’est là le droit le plus absolu du créateur. Nous ne savons rien du projet cinématographique en question, nous devrons juger sur pièce, ainsi que nous avons pu le faire avec "Thérèse Desqueyroux" de Claude Miller, incapable de rendre la prononciation des bourgeois des landes bordelaises du début du siècle.

Au demeurant, l’accent du Sud-Ouest est-il répandu à Pau, encore ? Est-il même l’accent de la communauté d’origine nord-africaine locale ? La réponse est non. De la même manière, les jeunes générations paloises, stricto sensu, de toute origine, n’ont pas plus l’accent du Sud-Ouest, mais parlent un français médiatique classique. L’accent est l’affaire des campagnes aux alentours, dans une version light.

Je suis allé à Liège ce printemps. Les jeunes que j’écoutais au McDo où j’étais attablé avec un ami n’avaient pas plus le fameux accent liégeois. Ce sont là des phénomènes intenses et massifs, contre lesquels il est très difficile de lutter.

Il est contre-productif de faire un procès d’intention à ce cinéaste. Il racontera l’histoire qu’il désire. Nous serons alors en droit de dire que le monde qu’il nous décrit n’est pas le nôtre. Mais il n’est pas certain que nous ayons raison ... Les mouvements régionaux occitans refusent de voir notre monde tel qu’il est.

[Vincent P.]

Grans de sau

  • Au passage, j’ai toujours cru que "niaque" était du patois francisé (avoir du "mordant"), à l’instar de "kézako" par exemple.
    Mon instituteur nous l’avait expliqué comme un dérivé de "pugnacité", ce qui me semble peu crédible et récup intello franchouillarde.

    Si j’ai raison (?), il y a de l’ironie, inconsciente bien sûr, dans la démarche du réalisateur.

  • "nhac" (au masculin !) est le 6e mot créé dans le lexique de Gasconha.com ; c’est qu’il était ressenti comme emblématique.nhac = morsure

    Dans le petit fil de discussion associé à ce mot, il est écrit :
    « Le "nhac" est monté à Paris et, du coup, en a changé de sexe. »

    Deux attitudes sont possibles :
     on se réjouit que le gascon* ait quand même fait un legs récent au français, même sous une forme travestie ;
     on s’énerve de cette déformation parisienne issue des médias (je ne retrouve plus la référence, mais je crois que c’est un commentateur de rugby bien connu qui a lancé "la gnaque").

    Moi, en tout cas, je ne veux ni peux dire "la gnaque".

    *Je viens de vérifier : "nhac" et le verbe "nhacar" ne sont pas exclusivement gascons ; le Multidictionnaire occitan les donne en languedocien et même en vivaro-alpin.

  • On trouve apparemment le terme féminin de gnaque en langue populaire lyonnaise, après recherche Google Books.

    Seulement, le livre est de 2003 et il est bien possible que l’auteur ait pris un terme alors déjà répandu dans toute la France pour un terme local, selon le vieil adage du "comme on dit chez nous", pour introduire quelque chose que l’on dit partout ailleurs ...

    Seulement, le dictionnaire en question qui référence ce mot indique qu’il signifie aussi "dent" : est-il un ancien mot de franco-provençal passé en français régional de Lyon ?

    Source : Le Littré du Gourguillon

  • Ce combat de "l’occitanisme béarnais" est peut-être mal engagé, mais il part d’un sentiment que je partage : quand je vois une phrase comme "Attention, aucun accent du Sud-Ouest ne sera toléré !", je vois rouge...

    Ensuite, comme toujours, il faut réfléchir avant d’agir.
    Peut-être d’abord discuter avec la personne qui est à l’origine de l’exclusion de "l’accent du Sud-Ouest"...

    A lire l’encart du journal, je vois que cette exclusion concerne aussi bien les seconds rôles (éventuellement de type européen) que le premier rôle (Nassim).

    Si aucun jeune de Pau stricto sensu n’a un "accent du Sud-Ouest", pourquoi cette exclusion ? Elle est inutilement vexante pour les jeunes de la région de Pau qui ont encore cet accent*.
    Il suffisait peut-être de spécifier qu’on voulait des jeunes "de Pau stricto sensu" (en le disant autrement pour être compris par les jeunes en question ?-)).

    Je devine que le réalisateur du film veut un produit standard, formaté, même si ça ne colle pas exactement à la réalité du lieu de la fiction.

    En tous cas, le débat est intéressant, et vital pour nous, puisque ce type de formatage médiatique conduit à l’éradication des derniers restes de langue gasconne, et plus généralement d’oc.

    *Et il y en a dans la campagne autour de Pau, comme nous le dit Vincent. Or les jeunes de la campagne se retrouvent facilement à la ville, de nos jours, et pourraient avoir envie de postuler pour un casting situé à Pau...

  • La question est donc bien plus de critiquer le projet du réalisateur que de crier à la discrimination, ce qui n’a pas de sens, une fois de plus, au vu de la réalité paloise, qui est celle de toutes les villes françaises.

    Pour quelle raison un réalisateur va-t-il placer son action à Pau et pas ailleurs en France ? Ce sera à nous de le voir, si nous allons voir le film, ce qui n’est par ailleurs pas ma prime intention (le réalisme social français cinématographique m’ennuie profondément).

    Mais ce qui est certain, c’est que contrairement aux arguments occitanistes que j’ai lus, ici ou là, la réalité que décrira ce cinéaste ne sera peut-être pas éloignée d’une certaine réalité paloise.

    J’ai la triste sensation qu’une partie de l’occitanisme béarnais ne veut pas voir les métamorphoses à l’œuvre à Pau depuis les Trente Glorieuses, et se figure encore une ville qui n’existe plus, en tout cas, qui n’est plus que l’une des nombreuses manières de vivre Pau.

    Si je suis critique, c’est qu’une fois de plus, l’occitanisme accorde beaucoup d’importance à un choix, artistique qui plus est, d’un réalisateur français probablement insignifiant, marqué par l’idéologie républicaine nationale (ce qui, à mes yeux, rend dès à présent son travail peu excitant, sur le papier).

    Un peuple fort mépriserait ces projets, car parallèlement, il proposerait des répliques, des alternatives. Mais il n’y a pas de proposition "occitane", "béarnaise" ou "gasconne", juste le moule hexagonal.

  • Evidemment, Vincent a raison quant à la tactique.
    Mais tout de même, il y a quelque chose de profondément choquant dans ce "attention, aucun accent du sud-ouest ne sera toléré", s’agissant d’un casting à Pau (dans le Sud-Ouest donc, pas à Tourcoing !).
    Imagine-t-on un casting à Sarcelles ou Trappes avec "attention, aucun accent beur ne sera toléré" ? Bien sûr que non, la crainte d’une dénonciation à la discrimination aurait retenu la plume de l’auteur !

  • Le point d’exclamation, tel que je le lis, laisse supposer, sous la plume de la journaliste, comme un peu d’ironie, lire : "les rugbymen de Josbaig, c’est pas la peine de venir". Sous-entendre : "on veut un beur avec accent de banlieue".

    Voilà la vérité probable de tout ceci ...

    Il serait intéressant, au demeurant, de lire des études sur les raisons qui expliquent que les "beurs" de Marseille ou Toulouse ont pris l’accent, mais pas ceux de Pau, si j’en crois mon adolescence au "Troisième Lycée" (Saint-John-Perse), où je les côtoyais.

  • Je viens de trouver un article de "Sud-Ouest" qui répond en partie à nos questions :
    « - Le personnage principal : Nassim, âgé de 15 à 16 ans, d’origine maghrébine. La production signale qu’il s’agit d’un adolescent "vif d’esprit, audacieux, qui peut se montrer arrogant..."
    L’acteur ne doit pas avoir un accent du Sud-Ouest, est-il précisé. »
    http://www.sudouest.fr/2015/09/08/pau-avis-aux-jeunes-comediens-des-castings-pour-un-long-metrage-sont-prevus-2118058-4344.php

    Je trouve que dit comme ça, c’est plus clair et sobre, et moins offensant que "Attention, aucun accent du Sud-Ouest ne sera toléré !" qui est donc bien, comme le suppose Vincent, une formulation du ou de la journaliste.
    On voit que l’exclusion ne concerne "que" le personnage principal ; et qu’elle fait partie de la composition de ce personnage, qui est le libre choix du réalisateur.

    Reste quand même une bizarrerie : je suppose que le réalisateur, s’il veut du réalisme sociologique, a dû déjà venir à Pau pour y observer les jeunes d’origine maghrébine.
    Est-il précisément tombé sur certains de ces jeunes qui avaient "l’accent", pour émettre cette exclusion d’un cas finalement peu probable selon l’expérience de Vincent ?


Un gran de sau ?

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