Je reviens comme annoncé vers les « Letras au nin », de Didier Tousis, plus spécialement sur le long avant-propos en français ; restons donc dans cette langue.
Cette longue méditation un peu amère s’interroge sur des questions fortes qu’un père gascon (ou attaché à quelque autre langue « régionale » que ce soit ) peut se poser alors qu’un enfant s’annonce puis parait : quelle langue lui parler, comment et pourquoi ?
Pour quoi faire aussi ? Question difficile, il faut le reconnaitre, la plus difficile de toutes aujourd’hui, liée à une question encore plus troublante, angoissante même dans le contexte des sociétés occidentales, la française en particulier. La question de la transmission, de toute transmission, carrément abandonnée comme un vieil outil hors d’usage ces cinquante dernières années au moins.
Tousis s’appuie sans la discuter, comme une évidence, sur l’opinion du philosophe (normand) Michel Onfray : en gros, les langues régionales correspondaient au vécu de sociétés rurales et comme l’antique ruralité est morte, les faire revivre aujourd’hui est vain. Sauf à tout ré-inventer en marchant vers une nouvelle ruralité radicale et post-moderne dans laquelle la vielle langue pourrait retrouver sa validité.
Soit : cette théorie éveille bien quelque assentiment au fond de chacun de nous. Qui n’a pas à certains moments vécu l’inaptitude des vieux mots, si variés, si nuancés pourtant (dans la mesure où ils n’ont pas été oubliés) quand il s’agit de dire autre chose que les choses de la nature, de la terre. Seul qui n’a pas feuilleté longuement les pages du Palay ne me comprendra pas.
L’occitanisme a certes fait de son mieux, en tous cas mieux que le félibrige avant lui, pour traduire en langues d’oc les réalités d’une société nouvelle, inédite, en changement perpétuel ; il en faisait même sa fierté face aux félibres attardés dans le vieux monde. Les mots nouveaux, que nous nous efforçons d’utiliser, puisqu’il faut bien dire ce que nous vivons aujourd’hui et ne pas limiter nos conversations à des considérations sur les différentes sortes de charrue ou les diverses techniques de pêche, nous semblent souvent manquer de patine, être dénués d’affectivité et de sel.
Mais au-delà de cette perception initiale, on ne peut s’empêcher de déceler une sorte de sophisme caché derrière cette position philosophique extrême : si les mots de l’ancien monde ont perdu leur validité d’usage, pourquoi cette invalidité ne s’appliquerait-elle qu’aux langues régionales ? A beaucoup d’égard, toutes nos littératures occidentales, nos mémoires culturelles sont bien aussi liées très étroitement à ce vieux monde dont nous ne cessons pas de regretter la disparition tout en mesurant bien ce que le nouveau peut nous avoir apporté.
A y bien réfléchir, les mots des techniques nouvelles en français ou en anglais n’ont pas beaucoup plus d’épaisseur affective que des mots gascons du même registre. Et resteindre une hypothétique résurrection de la langue à un changement radical du paradigme sociétal dans nos pays, à un « regain » à la Pagnol revisité par Pierre Rabhi, n’est-il pas un choix très hasardeux, laissant en grande partie ce qui reste de la société gasconne (ou occitane,etc…) au bord du fossé, tout juste bon pour la pratique de ces langues de la trahison, gagnées au mondialisme capitaliste que seraient le français, l’anglais ou quelque autre langue dominante européenne ?
Non, la seule vraie question qui peut se poser au père ou à la mère en telle situation est celle des locuteurs que l’enfant trouvera pour échanger avec lui à l’avenir si le gascon (ou toute autre langue régionale minorisée) lui est enseignée comme langue paternelle ou maternelle.
Plusieurs pères l’ont exprimé ces dernières années dans Gasconha.com. C’est en effet un sacré pari que de former un enfant à une langue dont les locuteurs se font si rares, c’est comme les préparer à traverser un long désert où ils n’auront qu’eux-mêmes à qui parler avant de rencontrer des personnes en situation identique.
Et pourtant c’est certainement les doter d’une belle richesse intérieure.
Bien sûr la difficulté ne doit pas être surestimée puisque d’autres langues (dans notre cas, le français en premier lieu) lui seront enseignées dans la foulée mais la vraisemblance de devoir affronter des regards hostiles dans une société encore très jacobine ne doit pas être sous-estimée.
La famille gasconophone de demain doit être munie d’un solide blindage ! C’est ce qu’on souhaite à celle du Nin, évidemment.
Du reste on voit bien que l’auteur n’attend pas la naissance d’une société rurale idéale pour parler gascon à son fils : tant mieux !