Langues en péril et institutions

- PJM

Une manifestation pour défendre la place institutionnelle des langues "régionales" aura lieu à Paris le 30 novembre 2019.
Il m’a paru intéressant de citer des extraits d’un article de Ch. Haegen dans le Volksfreund/L’Ami-Hebdo, 18.11.2019 /12796.

1. Nos langues (régionales) sont l’âme de notre identité et de notre culture. Précieuses pour appréhender le monde et assurer le devenir de ce que nous sommes. Il faut les défendre sans pusillanimité.
Savent-ils que les « territoires » qu’ils évoquent avec une imbécile froideur, (hier, ils disaient « la province ») ont une âme ? Ce sont les langues qui échappent à la tutelle étatique et qu’ils appellent parfois « dialecte » ou « patois ». Les langues sont les voix et les sanctuaires de notre identité. L’Etat ne veut pas les reconnaître, car il prétend, dans la logique jacobine de l’enfermement, être le seul à définir la langue. Ce que le Conseil d’Etat aime à traduire par cette formule : « la Langue de la République est le français. »
Dans la conception française, l’Etat est le créateur de tout, de la langue, de l’identité, de la culture, de l’intelligence et de la raison. Cette conception partagée par Emmanuel Macron et quelques autres, est ancienne. L’abbé Henri Grégoire (1750-1831), qui repose au Panthéon depuis le 12 décembre 1989 et dont l’un des hauts faits est d’avoir présenté en 1774 à la Convention son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les Patois et d’universaliser l’Usage de la langue française ». Un texte qui affiche cette ambition : « On peut uniformiser le langage d’une grande nation. » Et précise : « Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté. »

2. Les termes de ce manifeste guident les pas du jacobinisme. L’Etat préside à la « massification » culturelle en invoquant la centralisation. Alexis de Tocqueville (1805-1859) avait bien vu cela : « Les guerres, les révolutions, les conquêtes ont servi à son développement ; tous les hommes ont travaillé à l’accroître. Pendant cette même période, durant laquelle ils se sont succédé avec une rapidité prodigieuse à la tête des affaires, leurs idées, leurs intérêts, leurs passions ont varié à l’infini ; mais tous ont voulu centraliser en quelques manières. L’instinct de la centralisation a été comme le seul point immobile au milieu de la mobilité singulière de leur existence et de leur pensée (De la démocratie en Amérique, IVe partie, chap. V. 1835, 1840. »
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Le Suisse Pierre Maugué observe : « En fait l’Etat est loin d’être considéré comme un instrument que l’on peut, si besoin est, modifier et remodeler selon les aspirations humaines ; au contraire, les peuples sont considérés comme une propriété des Etats ; ils sont appelés à célébrer leur culte et à sacrifier sur leurs autels. En sacralisant l’Etat , le croyant omet d’ailleurs de se demander s’il ne fait pas acte d’idolâtrie, et l’athée oublie soudain toute l’hostilité qu’il nourrit à l’égard de la superstition. Il suffit pourtant de consulter un atlas historique pour voir combien les frontières des Etats peuvent être changeantes, même durant des périodes de temps relativement courtes, et pour réduire à néant le mythe de l’immuabilité et de la pérennité des Etats. Mais ce mythe n’en reste pas moins ancré dans la conscience collective, et le droit à l’autodétermination, bien qu’il soit, en théorie reconnu comme un droit fondamental, demeure, en fait, suspect d’hérésie » (Contre L’Etat-nation, Denoël, Paris, 1979).

« Le français, la langue du progrès et de la raison. Les « patois », l’obscurantisme. La prétention à régenter « toutes les branches de l’organisation sociale », comme disait l’abbé Grégoire, s’est développée. L’économisme a vampirisé le politique. » Les « winners » préfèrent s’exprimer dans un sabir inspiré de l’anglais... Façon de manifester leur allégeance à la « grande centrifugeuse ».

« La prétention jacobine à disposer du contrôle des langues et de leur enseignement s’est manifestée régulièrement depuis l’abbé Grégoire. Natif de Bazas en Gironde, Anatole de Monzie (1876-1947), qui s’était illustré pour son action en faveur de la reprise des relations diplomatiques avec le Saint-Siège, puis pour la reconnaissance de l’URSS par la France, sera ensuite ministre de l’Education nationale à plusieurs reprises. Le 14 août 1925, répondant à la demande de la Fédération régionaliste de France, il se dressera pour lancer : « L’Ecole laïque, pas plus que l’Eglise concordataire, ne saurait abriter des parlers concurrents d’une langue française dont le culte jaloux n’aura jamais assez d’autels. » Dans le même élan de fanatisme furieux, il déclarera en 1925 , lors de l’inauguration du pavillon de Bretagne de l’Exposition internationale des Arts décoratifs industriels modernes de Paris : « Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître. »

3. Un faible espoir fut suscité par la Loi Deixonne du 11 janvier 1951, première loi française autorisant l’enseignement des langues régionales de France. Initiée par le socialiste Maurice Deixonne (1904-1987), soutenue conjointement par les communistes et les démocrates-chrétiens, elle autorisa l’enseignement facultatif du basque, du breton, du catalan et le l’occitan. (…) L’Elsässerditsch ne fut pas prévu. De vives critiques saluèrent cette loi. Le linguiste Albert Dauzat (1877-1955), connu pour ses attaques contre les défenseurs de l’occitan, développa dans les colonnes du Monde l’idée traditionnelle des « dangers » courus par la langue française. La loi Deixonne fut abrogée en juin 2000. »

4. Les langues estampillées « nationales » définissent la « nationalité juridique ». Les autres ne sont pas, pour autant, n’en déplaise aux élèves de l’ENA, quantité négligeable. Elles contribuent à la vitalité culturelle de ces espaces que le pouvoir jacobin appelle « territoire ». Elles stimulent les relations avec les régions voisines, appartenant aux mêmes communautés linguistiques.
« La symphonie de nos langues traduit la vigueur de nos identités et de nos appartenances. Nos langues contribuent à maintenir des liens très anciens qui se moquent des frontières étatiques. Ce sont des toponymes, des expressions, des qualificatifs. La symphonie de nos langues est un atout pour la cohésion et la diversité européenne.
L’idéologie de la « réduction à l’unité », quant à elle, est une menace mortelle, car la langue est le sanctuaire et la clé de notre identité. Elle détermine l’intime, les affinités, les croyances et la perception du monde. Alors que nos contemporains s’inquiètent à juste raison des menaces pesant sur la bio-diversité, ils négligent d’assurer la survie de nos langues même et surtout lorsqu’elles ne figurent pas du registre des langues étatiques. Se souvenir de l’affirmation du philologue et lexicographe suisse Walther von Wartburg (1888-1971) selon laquelle « la communauté linguistique est l’une des formes et probablement la forme la plus importante de toutes les communautés » (Problèmes et méthodes de la linguistique, PUF, Paris, 1963).

Le pouvoir politique dispense souvent une réponse invoquant la surcharge des programmes. L’excuse de Jean-Michel Blanquer qui se dit contraint de revoir les horaires dévolus à l’enseignement des langues dites « régionales », était déjà invoquée en septembre 1936 par le ministre du Front populaire Jean Zay (1904-1944) : « Les programmes sont déjà trop chargés pour qu’il paraisse possible d’y introduire l’enseignement des langues et littératures dialectales, d’autant plus que cet enseignement ne pourrait être donné qu’au détriment des enseignements réglementaires indispensables à tous les enfants de France » (cité dans Henri Giordan (dir.), Les Minorités en Europe, Editions Kimé, Paris, 1992. »
Blanquer qui passe pour bénéficier de tous les éloges de son prédécesseur Jean-Pierre Chevènement, a été plus loin. (…) en disant : « On doit favoriser les langues régionales, mais on ne doit pas passer de l’autre côté du cheval (...), c’est-à-dire les favoriser à tel point qu’on ne parle plus français à l’école » (France Info, 27 mai 2019). François Alfonsi, député européen, a alerté les élus corses : « Il y a danger, pour le peu qui existe en matière d’enseignement des langues régionales » (Corseinfos 16 novembre 2019). Des restrictions considérables seront apportées, par rapport à la loi d’orientation et de refondation de l’école de juillet 2013 (...).
Le collectif "Pour que vivent nos langues" a donc adressé au ministre de l’Education nationale, une pétition disant que ces langues « résistent en France pour ne pas disparaître car elles figurent toutes à l’inventaire des « langues menacées de disparition » établi par l’Unesco. Malgré l’élan mondial pour que biodiversité naturelle et biodiversité culturelle soient enfin considérées et préservées, malgré les textes internationaux (...), l’Etat français, en dépit de multiples condamnations de l’ONU, continue son œuvre de destruction du patrimoine immatériel millénaire que sont nos langues et nos cultures. Au point de faiblesse qu’elles ont aujourd’hui atteint, c’est leur survie dont il est question. Ce qui est en jeu, c’est l’existence même du patrimoine culturel que nous portons. »

Le rendez-vous est fixé le samedi 30 novembre à 11 heures devant l’église Sainte Clotilde, 23 B rue Las Cases, Paris VIIeme arrondissement. De ce lieu, marche vers le ministère de l’Education nationale, 110, rue de Grenelle. Réunion à l’Espace Grenelle de 14 à 15 h 30.

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