Sarkozy et Napoléon III (mis à jour en 2020)

- Tederic Merger

Les français semblent vouloir se donner un nouveau monarque, que certains comparent à Napoléon III (Edwy Plénel sur France Culture) : liens étroits avec la grande bourgeoisie d’affaires, volonté de réforme par le fait du prince...

Or, Napoléon III avait un intérêt particulier pour la Gascogne maritime : villégiature à Biarritz et Arcachon, village expérimental de Solférino dans les Landes, politique autoritaire de remplacement de l’économie agro-pastorale landaise par la monoculture du pin...

Sarkozy, lui, aime Arcachon, mais on n’a pas d’autre signe d’un intérêt pour la Gascogne maritime.

Peut-on tirer, cependant, des enseignements de l’époque du second Empire en Gascogne maritime ?
Est-ce que les mentalités politiques en ont gardé l’empreinte ?
Est-ce que le massif landais (40 % de la surface de la Gascogne) peut connaître une nouvelle révolution : remplacement de la forêt par une agriculture industrielle axée sur l’irrigation et les fertilisants de synthèse (malaÿe !)...

Historiens, géographes et autres, que ne pensatz ? Ou ma question est-elle saugrenue ?

Mise à jour 2020 :

La comparaison Sarkozy-Napoléon III, que j’ai risquée en 2007, n’a pas été validée par l’histoire, concernant la Gascogne.
Mais les actions particulières de Napoléon III en Gascogne, et les traces qu’elles ont laissé, viennent d’être évoquées par un des mousquetaires de ReGasPros. Ecoutez ci-dessous (en gascon !) :
Tederic M.

Grans de sau

  • L’idée que je me fais de l’aventure landaise du Second Empire, c’est celle d’une épopée coloniale intérieure : civiliser le landais.

    Il me semble que les mentalités n’ont guère changé :
    toujours ce même discours, aussi bien pour justifier des autoroutes bien inutiles que pour faire avaler la pilule de la Californie française.
    Il est malheureux que les "autochtones" intériorisent ce discours.
    Pour autant, il doit s’agir là du sens de l’histoire.
    Du Mali à la Thaïlande, les modes de vie convergent, les langues, les modes de pensée...

    Je ne crois pas, sinon, que nous nous dirigions vers une politique agricole :
    à terme, l’agriculture française est vouée à disparaître.
    Par contre, la densification paraît inéluctable. Certains maires semblent mettre tous leurs espoirs dans le pétrole : qu’ils aillent du côté du Lacq pour apprécier le charme tout gazier du Béarn des gaves.

    Je pense également que la période bénie du "socialisme municipal" est achevée : c’est lui qui a fait l’identité landaise aux XIX-XXèmes siècles. Il avait permis l’entrée dans la modernité en la rendant moins âpre.

    Donc, à mon avis, pas de révolution, mais une lente métamorphose qui si elle n’est pas accompagnée, achèvera l’identité gasconne.

    Réponse de Gasconha.com :
    Je trouve deux points obscurs dans ta réponse, Vincent : "la densification" de quoi ? Et le pétrole ? Penses-tu à la culture intensive de biocarburants ?
    [Tederic]

  • La densification au sens de la rurbanité.
    Rendre constructibles des terres agricoles, en gros.
    Ce à quoi l’on assiste dans la plus belle anarchie depuis 10 ans finalement (combien de pavillons inondés parce que construits près de ruisseaux ?).

    Pour le pétrole, c’est une allusion à l’arlésienne landaise des forages.

    Sinon, la métaphore que j’affectionne, c’est celle des marais d’Orx : la possibilité d’un retour en arrière raisonnable.

    Si l’avenir est aux paysagistes qui égayeront les lotissements entourés de campagnes et bien délimités par des haies infranchissables, alors que ces paysagistes songent à retrouver les essences de la lande autres que le pin !

    Réponse de Gasconha.com :
    L’orientation présumée libérale, mais aussi peu écologiste, de notre Napoléon IV laisse entrevoir une poursuite du phénomène de rurbanisation.
    La compétence en matière de PLU est cependant décentralisée, ce qui permet en théorie des politiques diversifiées selon le lieu.
    Mais le prix du carburant automobile est peut-être plus déterminant pour l’avenir que la réglementation.
    Le développement prévisible du télétravail influence aussi le pronostic : en compensant le renchérissement du carburant, il brouille définitivement la frontière ville/campagne.

  • En effet, les deux ont en commun de s’être cachés derrière les valeurs républicaines pour être élus, avant de révéler leur caractère dictatorial.
    On ne fait plus de coups d’état de nos jours, mais on sent que si les temps s’y prêtaient... on se laisserait tenter.
    Napoléon III n’avait aucun amour particulier pour la Gascogne.
    Les Landes, terres sauvages, mal connues et non francophones, demandaient, selon lui, à être disciplinées et totalement annexées.
    Il savait que la Gascogne, pays de plaine dans sa majorité, pays de petits propriétaires indépendants (ex-alleutiers d’Ancien Régime) était un terreau républicain.
    Que les idéaux du grand capitalisme libéral n’y prendraient pas.
    Il a choisi les Landes comme terrain d’expérimentation, parce que c’était la partie la plus "latifundiaire" de la Gascogne.

  • Lo Segond Empèri (Athos, Porthos... sus Ràdio País)

     Bravo pour l’accent tonique mis sur le a de Biàrritz ! Acò qu’es gascon !

     Après avoir retiré ma comparaison Napoléon III / Sarkozy 2007, j’en introduis une nouvelle : le second empire / la Chine communisto-capitaliste que nous connaissons depuis quelques décennies, qui combine gouvernement dictatorial et dynamisme économique impulsé par l’Etat mais assuré par l’entreprise privée.
    Ce n’est pas ici le lieu d’une critique générale d’un tel modèle politico-économique ; mais nous pouvons observer son application locale en Gascogne.

     Les réalisations en Gascogne du second Empire, présentées par ce mousquetaire de ReGasPros (je crois qu’il s’agit d’Athos), concernent notamment le chemin de fer, donc une révolution dans les transports, des essais de mise en valeur nouvelle du milieu landais (assèchement, pinhadar...), du développement touristique, thermal, religieux (Biarritz - on pourrait rajouter Arcachon, Eugénie les Bains - on pourrait rajouter Luz Saint Sauveur, Lourdes...).

     Sans intervention extérieure et autoritaire, un bassin de vie gascon autocentré aurait aussi, probablement, mais moins vite, intégré l’innovation du chemin de fer. L’évolution de l’exploitation du massif landais aurait été moins rapide, mais comme le dit Athos, elle était déjà engagée.

     Sur le côté touristique, thermal, et religieux, je vois le "fait du prince", ici le fait de l’impératrice, dont l’origine espagnole a pu créer une préférence pour une région de France frontalière avec l’Espagne ; le Languedoc l’est aussi, frontalier, mais la mode de la blancheur de teint pour les femmes favorisait les contrées un peu moins ensoleillées.

     Jacobinisme :
    Il n’a fait que continuer sous le second Empire et après : l’ancien Régime était déjà centraliste en diable, et la troisième République l’a été de plus belle !

     La dynastie Cassagnac :
    Lire ceci.
    Un exemple de famille gasconne qui augmente sa puissance grâce à son accointance avec le pouvoir parisien, pour les Cassagnac celui de Napoléon III...
    Les hommes politiques de cette dynastie (surtout Paul et Georges, fils de Bernard-Adolphe ami de Napoléon III, industriel et entrepreneur agricole devenu député, et eux mêmes députés et conseillers généraux - bonapartistes, donc en opposition sous la 3e République) sont évoqués avec sympathie et admiration dans La Lettre patoise de l’Indépendant du Gers, précisément dans "Lou Cassagnac", "A la Paillèro" et "Aou Counseil général" ; rechercher "Cassagnac" sur la page, par la zone recherche du navigateur.

    Conclusion provisoire :
    Le second Empire a accéléré la mutation de la Gascogne, avec des effets durables pour le meilleur et le pire ; il a pu donner l’impression de choyer la Gascogne, mais cette préférence était le fait du prince, donc exogène, fragile, hasardeuse, capricieuse (l’échec de Solférino !), surtout pas soucieuse du tissu culturel gascon, dangereuse enfin, en renforçant l’habitude de la population à la dépendance : le progrès vient d’ailleurs, de Paris, centre de la France, et nous praubes gascons, incapables de nous gouverner, devons dire merci, et aussi envoyer nos cadets pour servir de mousquetaires, en espérant qu’ils auront la réussite de d’Artagnan et (en 2020) de Jean Castex !

  • En tant que Landais, je ne suis pas admiratif de l’intervention de l’Empire chez nous. Il s’agit d’une spoliation, d’une immense privatisation au profit de quelques notables qui ont su tirer leur épingle du jeu aux dépens des communautés villageoises. Ni plus ni moins. On a habillé tout ça de bons sentiments teintés de mépris et même de vrai racisme vis à vis des autochtones, comme on l’a fait dans les colonies d’Afrique ou d’Asie. On est venu civiliser les sauvages et les éduquer tellement ils étaient primitifs et faisaient honte à la France. Le Landais c’était un nègre de l’intérieur.
    C’est surtout que leur mode de vie et leur organisation sociale quasi communiste était en conflit violent avec les valeurs du capitalisme moderne en pleine expansion.

  • Athos a voulu mettre une réalité de l’action de Napoléon III, voire du couple impérial dans les pays gascons en face de la caricature trop systématiquement propagée née dans les milieux parisiens dès le Second Empire et surtout sous la III République, le célèbre « Napoléon le Petit » de Victor Hugo. Cette réalité est bien sûr diverse voire contrastée, comme toute réalité.
    D’un côté il est vraisemblable, comme le montre l’exposition de Biarritz, que le couple impérial s’était pris d’une réelle affection pour le pays (pas seulement Biarritz) et ses habitants alors que les préjugés des bourgeois évolués de l’époque contre les simples paysans, pêcheurs et habitants des bourgs gascons étaient souvent terrifiants de mépris (écrits du temps évoquant Landais vus comme des sauvages, par exemple, comme le rappelle Ph.Lartigue).
    La vie aventureuse et nomade de Louis-Napoléon avant 1851 l’avait en fait amené à rencontrer à peu près toutes les couches sociales en Italie, en France et ailleurs et sa fibre sociale était nettement plus forte que celle de la moyenne des classes dirigeantes de son époque (cf « L’extinction du paupérisme »).
    Mais bien sûr son action peut être contestée, en particulier celle qui accéléra la métamorphose de la Lande (qui fit le désespoir et entretint la nostalgie de Félix Arnaudin) avec la loi de 1857 comme Athos l’a rappelé.
    Cela dit, les communautés rurales landaises, isolées les unes des autres comme elles l’étaient, auraient-elles été capables de lancer un développement endogène, à leur rythme (plus lent) comme l’envisage Tederic ? Même si Région Gascogne Prospective aime bien ce genre de réflexion (la prospective du passé aussi bien que celle de l’avenir), personne n’en sait rien. Et la Lande n’est pas toute la Gascogne où le développement économique améliora sensiblement la condition des gens.
    Alors bien sûr,tout cela était le « fait du prince » (ou d’un dictateur éclairé, si l’on préfère) et non l’expression de programmes démocratiquement établis par des communautés locales. Mais y en avait-il à l’époque (pour ne pas parler d’aujourd’hui) ?
    GSG( alias Athos)

  • Un échange un peu rapide mais vraiment intéressant.
    Une question cependant qui dépasse le cas de la Gascogne, la remarque de Vincent P. touchant la disparition, à terme (mais quel terme ?) de l’agriculture en France. On perçoit bien quelques évolutions se dessiner, l’agriculture hors-sol, "des" changements d’ordre civilisationnel, la mondialisation poussée aux extrêmes, etc. Mais si des scénarios peuvent s’imaginer, des possibles, je vois mal ce qui aujourd’hui, nous permettrait de considérer le triste avenir ouvert par Vincent P. - cette disparition - comme probable.
    Je serais curieux de connaître les éléments qui lui permettent d’y voir clair.
    En toute sympathie.

  • Quand Macron préconise tout d’un coup 10 RER métropolitains*, nous sommes peut-être dans la continuation de cet interventionnisme "du haut de l’Etat" :
    RER girondin Confrontation avec la réalité : l’exemple de Caroline

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  • A propos de la disparition de l’agriculture française prophétisée par Vincent il y a 15 ans (il était très jeune quand il écrivit cela) :
     j’ai relayé ici l’alerte lancée par l’association "Terre de Liens" :

    « Une France d’immenses exploitations agricoles productivistes où l’humain se fait rare et l’environnement se dégrade ». Entre 2010 et 2020 on aurait perdu 80 000 équivalents temps plein d’emploi agricole.
    Une vague de départs à la retraite d’agriculteur risque d’ici dix ans d’accentuer la tendance...


     d’un autre côté, il me semble voir (grâce aux infos de Sud-Ouest par exemple), ici et là, des initiatives agricoles qui ne rentrent pas dans une logique hyper-industrielle, et renouent au contraire avec les circuits courts... ce ne sont pas toujours des héritiers d’exploitation agricole qui les lancent.
    Il est difficile de peser l’une et l’autre de ces tendances contradictoires ; si on observe la consommation alimentaire autour de soi, on a peut-être une première approximation...

  • Ces données rapportées par Tederic étaient (déjà) valables avant 2020, c’est à dire avant les confinements dus à la politique anti-Covid et avant aussi la crise actuelle menaçant gravement la rentabilité des entreprises (du moins celles qui ne sont pas en position dominante pour répercuter la hausse de leurs couts et sauvegarder leurs marges sans perdre de chiffre d’affaires).
    Les confinements ont provoqué de nombreuses remises en cause de carrières professionnelles réelles ou esquissées au bénéfice d’une recherche de sens. De ce point de vue l’agriculture a la côte et attire des jeunes souvent hors monde agricole.
    Le hic est qu’en général ces mêmes jeunes ne veulent plus que le travail déborde d’un cadre limité (parfois très limité : on parle maintenant de recherche de "tracance" mélange de travail et de vacances... ). Or le travail dans une ferme est justement à l’inverse et prend presque toute la vie quotidienne. Qu’est ce qui l’emportera ?
    Quant à l’effet de la crise, nous ne le connaissons pas. Ce qui est clair c’est qu’elle menace la rentabilité des entreprises (voir ci-dessus).
    La néo-agriculture familiale évoquée par Tederic est menacée de ce point de vue car elle n’est pas en situation de force et qu’en plus ses prix étaient souvent dans la fourchette haute du marché, contrepartie de la qualité et des petites quantités produites. Tout cela est donc devenu bien fragile quand le budget des consommateurs se réduit aussi du fait de l’inflation.
    Ajoutons pour ce qui concerne la Gascogne l’effet financièrement et psychologiquement désastreux pour les petits éleveurs de volaille des restrictions/enfermements/abattages décidés en haut lieu pour combattre la grippe aviaire alors qu’une part élevée d’exploitations ne voient pas de succession apparaitre à des agriculteurs prochainement retraités.


Un gran de sau ?

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