A la recherche du Béarn perdu Vincent.P [Forum Yahoo GVasconha-doman 2013-02-03 n° 10735]

Bonjour,

Je suis béarnais. Du fait de ma naissance et de mon ascendance. Cela n’a pas été toujours évident : je n’ai pas le souvenir, avant le collège, de m’être su béarnais. Mes camarades d’enfance aux ascendances basques, eux, l’étaient déjà, depuis la maternelle. "Je suis basque". Ils l’étaient d’autant plus que seul un grand-père qu’ils ne voyaient jamais l’était.

Mon propos n’est pas de parler de la force de l’identité basque. Je me suis découvert béarnais en lisant, peu avant l’adolescence. Béarnais au sens où le Béarn a signifié quelque chose pour moi. Pour autant, j’avais été en contact avec la culture autochtone mais celle-ci n’était dans mon esprit que celle du canton de Morlaàs. La culture vernaculaire de mes grands-parents avait pour extension géographique leur univers personnel, celui des clients de mon grand-père, artisan-plombier, celui des attaches familiales paysannes de ma grand-mère, femme au foyer. Morlaàs, Thèze, Soumoulou, guère plus loin, Lembeye est déjà un autre monde, Nay n’en parlons pas, et passer le gave de Pau n’est pas envisageable.

Quand parlait-on du "Béarn" ? Quand ma grand-mère chantonnait "Bèth cèu de Pau", mais c’était rare, elle préférait la java et Pascal Sevran. Quand mon grand-père s’essayait aux analyses économiques : pour lui, le Béarn se résumait au pays des Luys. C’est la raison pour laquelle il disait toujours qu’il pensait que le Béarn avait été un pays très pauvre. Il disait cela en comparaison de ce qu’il connaissait ailleurs dans le Sud-Ouest : il avait toujours été impressionné par la sensation d’opulence qui se dégageait des bourgades et villes du Midi toulousain (moi aussi d’ailleurs, jusqu’à ce que je vive à Toulouse, ce sera pour mon autobiographie ça). Mon grand-père se trompait : il généralisait au Béarn la situation de son micro-pays défavorisé, pays de landes, de touyas.

Bref, le Béarn était absent, il n’y avait dans ma famille maternelle aucune conscience d’un tout. La montagne était à ce titre un pays irréductiblement différent. Un pays que l’on connaissait, certes, car ma famille étant "évoluée" (que l’on m’excuse ce terme, c’était celui qui était employé), il était de tradition d’aller passer la journée à Laruns et aux Eaux-Bonnes, ce que n’auraient jamais fait les paysans, avec lesquels ma famille cousinait. Le Vic-Bilh ? C’est compliqué, il y a clairement une frontière après Monassut, c’est la zone d’influence de Lembeye, on s’y fournit en vin à la rigueur.

Ces réflexions n’ont pas grande valeur, je les écris sans les formaliser véritablement, j’entends juste faire ressentir l’ambiance identitaire dans laquelle j’ai baigné dans les années 90, au sein d’une famille pourtant ancrée localement : le Béarn, cela n’existait pas. Je pourrais dire la même chose du côté paternel, mais comme il s’agit d’instituteurs, l’exemple est moins frappant.

Le Béarn n’existait pas, le béarnais, encore moins. L’école de Saint-Jammes où j’étais scolarisé au cours élémentaire, proposait des cours dits de "béarnais", assurés par un occitaniste bien connu. Pour l’anecdote, sachez qu’en CM1, les élèves firent grève pour ne plus assister aux cours de béarnais. Gain de cause. Par peur de me retrouver seul en cours de béarnais, j’ai suivi mes camarades. J’ai fait l’expérience, pour la première fois de ma vie, du rejet par les allochtones et les autochtones acculturés (en minorité dans ce village résidentiel) de la culture locale.

Bref, j’allais manger tous les midis chez mes grands-parents à Morlaàs. Il m’arrivait de les interroger pour avoir de quoi dire en cours de béarnais, puisque l’on nous demandait de sonder nos familles afin de collecter des mots (pff, la plupart n’était pas des gosses du coin). Mon grand-père corrigeait constamment le terme de béarnais dans ma bouche pour celui de patois. Je ne comprenais pas. J’étais comme aujourd’hui les jeunes calandrons avec le terme d’occitan, à expliquer à mon grand-père qu’il fallait dire béarnais. Que c’était le vrai nom de sa langue. La dignité !

En réfléchissant à cette question, j’ai compris plus tard que la popularisation du terme de "béarnais" pour désigner le patois devait beaucoup au mouvement occitaniste des années 60-70, ainsi qu’à la dernière mouture du félibrige version Siros. On a tort de croire que les gens ordinaires restent insensibles aux modes : j’affirme que si aujourd’hui la dernière génération de locuteurs naturels qui a plus de 60 ans dit parler "béarnais", elle le doit aux proto-occitanistes qui avant de s’engager dans un tout-occitan fou à partir des années 70, avait relevé avec succès l’idée de Béarn, son drapeau, le béarnais dans l’après-guerre.

Le félibrige, lui, avant Siros, était resté assez élitiste en somme. On faisait jouer Palay certes. Une anecdote amusante : ma grand-mère paternelle des environs de Lembeye se souvenait avoir joué La Reyente Mancade au théâtre à l’école. Il y a 10 ans, j’ai pu trouver sur le net un exemplaire de cette pièce, je l’ai offert à ma grand-mère. Elle a essayé de le lire. Elle n’est pas parvenue à lire la graphie fébusienne ! Et sa réflexion fut la suivante : "non, non, ce n’était pas ça". Elle n’a pas reconnu son patois !

Pour quelle raison fais-je état en vrac de ces histoires familiales ? C’est que je ne comprends pas d’où sortent les béarnistes béarnisants. Ceux qui disent en 2013 que les Bigourdans sont un autre peuple que les Béarnais (j’ai l’impression de lire les petits nobles de 1789, qui défendaient leur petit terroir et leurs privilège, quand le peuple ne voulait que devenir français, il suffit de lire les cahiers de doléance), qui trouvent que le "béarnais" (lequel ?) est une langue distincte du gascon de Chalosse ou de Bigorre, ...

Longtemps, je n’ai pas compris le contexte sociologique qui avait créé cette drôle de race. J’ai pensé que ma famille, passablement francisée, plus qu’ailleurs, avait perdu son "béarnisme", j’ai théorisé un esprit ethnique évanoui chez les miens. Mais cet esprit ethnique, je l’ai cherché parmi les paysans, et je ne l’ai pas trouvé non plus, je n’ai constaté une fois de plus que du localisme, exacerbé parfois, un village comme centre de vie, l’ancien monde en somme, face à un Béarn éthéré, absent, palois, bourgeois.

Oui, bourgeois et là j’ai compris. Le béarniste béarnisant est un intellectuel qui joue au paysan. Son Béarn, son béarnais, c’est le fruit de lectures. Son patriotisme est construit, il n’est pas naturel. Il n’y a rien de désobligeant sauf qu’avec le recul, je trouve cette volonté de faire peuple un peu pathétique. Je n’aime pas qu’on me mente. Je n’aime pas qu’on se déguise derrière le bon-sens populaire quand ce que l’on écrit est en fait un combat littéraire, une conviction idéologique, louables au demeurant.

Bref, le béarniste béarnisant des années 2010 est le dernier avatar du félibrige, mouvement intellectuel romantique du 19ème siècle. Et Dieu sait si le 19ème siècle a dit des bêtises. Parmi ces bêtises, le Béarn éternel, celui d’Henri IV et des baquétes, celui que les félibres jusque dans les années 30 vantaient dans le confort de leurs bibliothèques.

Voilà les raisons pour lesquelles mon Béarn n’existait pas : je suis issu du peuple béarnais, certes passablement francisé, et ma famille, comme l’immense majorité des Béarnais, est passée à côté des débats autour du patriotisme béarnais, animés par quelques littérateurs.

Dans un prochain envoi, j’essaierai de résumer brièvement les raisons qui me font dire que le Béarn n’a jamais vraiment existé, plus précisément qu’il n’a jamais été une réalité ethnique, économique, linguistique, géographique, juridique, sentimentale, ... Culturelle en somme. Juste une création politique. Et cela ne me rend pas moins fier de me savoir béarnais.

Grans de sau

  • Votre quête d'identité, Vincent est passionnante et parfois d'une sensibilité touchante. 
    On a envie de vous dire :
    Bien sûr que le patois c'était grosso modo la langue des pauvres, très largement paysans (ceux qui faisaient le paysage hors des villes) tant qu'ils ont existé en marge de l'industrialisation française.
    Bien sûr que ce peuple a aujourd'hui disparu !
    Bien sûr que l'intérêt intellectuel des années 70 pour le patois (appelé ici occitanisme) venait directement de l'utopie d'inspiration socialiste, via l'intérêt pour la culture du peuple. Et bien sûr que les militants étaient pour beaucoup des fils ou petits fils du peuple paysan qui avaient pris l'ascenseur social, souvent dans l'enseignement ou la fonction publique française. Ils avaient bien conscience d'être monté dans la machine qui broyait leurs racines, mais ils voulaient croire au pouvoir des mots et des souvenirs pour changer l'avenir.
     
    Nous aussi, nous voulons croire que notre langue et notre passé populaire gascon font partie de nous. Simplement on ne voit pas bien comment ils pourraient faire partie de notre avenir.
    On compte d'ailleurs un peu sur votre quête, Vincent, pour esquisser des projets.
     
    PS : Vos réflexions sur le sentiment d'usurpation du béarnais me rappelle la réflexion de Bourdieu (déjà citée ici) :

    Dans Question de Sociologie, il commente la célébration officielle du
    centenaire d'un poète de langue béarnaise, en septembre 1974, durant laquelle
    M.Monfraix, préfet des Pyrénées-Atlantiques de l'époque et André Labarrère,
    maire de Pau, s'adressent à l'assistance dans « un excellent patois
    béarnais » écrit le journaliste de la République des Pyrénées.

    Pierre Bourdieu y voit l'indice d'un effet de condescendance, mais aussi la
    différence entre le désir d'un préfet de parler le béarnais, qui parlant un
    béarnais élaboré et savant peut mériter d'être de « qualité », et la
    seule pratique du béarnais acceptable, celle des paysans, qui ne pouvant désirer
    parler béarnais car ils en ont héritée, conservent un
    « franc-parler », dit autrement « un îlot de liberté arraché aux
    lois du marché ».

     qui rejoint étonnamment la réflexion du Dr Jean Lafitte (autre grand béarnais) dans son message du 28/12/12 :
     
    ...."Mais quand une société a abandonné sa langue ancienne, depuis des siècles de la part des "locomotives sociales" que constituent les classes supérieures, il est IMPOSSIBLE de faire revivre la langue par une transmission artificielle......."
     
     
    Désolé d'avoir été long, adichats,
     
    Didier L.
     
    ----- Original Message -----
    From : Vincent.P

Un gran de sau ?

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