"Qu’il était beau, ma sœur, le doux pays de notre enfance ! La « Terre de Béarn », chantée par Charles de Bordeu !
Oui, « était », car ceci est mon pays avant le Pétrole.
Maintenant, plus rien n’est et ne sera comme avant.
A mes compatriotes, lous amics, chers compagnons du merveilleux autrefois, on a offert des millions ; ils se sont laissé tenter, car en Béarn, on n’a jamais été riche.
Après avoir donné leurs terres et touché cet argent, ils ont cru un moment posséder les royaumes du monde et toute leur gloire, puis ils ont été comme s’ils avaient perdu leur âme.
Dans la plaine féconde les Etrangers se sont mis à l’œuvre : bâti des usines, domestiqué le Gave, fait de l’utile et du productif, de l’industriel.
Les beaux champs de maïs ont été saccagés.
Ces champs, un petit canal d’irrigation les traversait. Enfants, nous nous baignions dans son eau limpide et peu profonde.
Dès que s’annonçait la venue d’un adulte, nous nous cachions en hâte, entre les hautes tiges, moins par pudeur ou honte de notre totale nudité, que refus de voir un « grand » pénétrer dans notre paradis de verdure, d’eau, de soleil.
A tout prendre, c’est peut-être ce sentiment-là qui poussait Adam et Eve à se cacher dans les fourrés de l’autre paradis, avant que ne retentit l’indiscret et terrible : « Adam, où es-tu ? ».
Les bois, les coteaux demeurent inchangés, et aussi la mémoire !"
[L’abbé Bilhère
Revue de l’Agenais n°4 (1964) p.325]