Alava / Araba

Condado de Treviño

- Vincent P.


 

Uzquiano


Pourquoi proposer un tel lieu ? C’est qu’il est intéressant, à plus d’un titre, pour des éléments de comparaison, et la découverte des pays "vascons" du Sud, dans une optique d’ouverture.

Uzquiano est une localité de la municipalité dite "Condado de Treviño" :

 On remarquera que l’Espagne a procédé sans souci à des fusions de communes : Uzquiano, noyau urbain très différencié, relève pourtant d’un plus vaste ensemble municipal. Il ne semble pas que cela ait jamais posé problème, et en tout état de cause, les municipalités ainsi formées semblent cohérentes : souvent une vallée, une entité historique différenciée. L’on est loin de l’éparpillement communal français, hérité du maillage des paroisses.

 Avec une autre municipalité, la municipalité de "Condado de Treviño" constitue une enclave historique castillane en Alava, l’une des trois provinces basques de la communauté autonome, la plus méridionale, et la seule située sur le versant méditerranéen.

L’enclave, dite de Treviño, est d’ailleurs réclamée par le nationalisme basque : il est intéressant de constater que ces questions territoriales sont primordiales côté espagnol, quand côté français, somme toute, tous les découpages sont possibles, par décision arbitraire de l’État central. En Espagne, on s’écharpe sur deux municipalités, en France, une collectivité locale a 30 ans d’espérance de vie avant redécoupage.

La situation de cette enclave, pour dire la vérité, ne diffère pas notablement du reste de l’Alava, outre que seules des raisons assez obscures de droit féodal expliquent le rattachement à Burgos : la langue basque, qui marque nettement la toponymie des lieux, s’est toutefois perdue au fil des siècles. Il semble acquis que déjà au XVIème siècle, l’on ne parlait plus basque sur place.

Carte sur la perte du basque en Alava

Pour dire la réalité, aussi bien d’un point de vue sociologique, notamment politique, que culturel, les "Basques" d’Alava se distinguent des autres Basques. Allez-vous promener à Vitoria, qui est une ville vraiment super, vous verrez les patronymes alavais un peu partout : ils constituent ce que l’on appelle les patronymes composés, une survivance d’un ancien système patronymique de l’Espagne septentrionale.

Apellidos compuestos alaveses

On retrouve donc un patronyme castillan, avec la marque de filiation -ez (génitif latin -is) suivi d’un toponyme, souvent de langue basque, qui indique l’origine. Les Alavais s’appellent donc López de Arechavaleta, Pérez de Landazábal, Álvarez de Amézaga, ... C’est très curieux, et passionnant de métissage.

Dans tous les cas, le basque était en ces lieux une langue morte, et la récupération du basque, en Alava comme dans l’enclave de Treviño, est proprement stupéfiante.

Pour compliquer la situation, notons que l’enclave, et de manière générale l’Alava, sont constituées de terres qui ont pu relever de différents évêchés, dont le siège pouvait se trouver en des terres manifestement pas bascophones (mais qui purent l’être aux premiers siècles), ce qui est assez similaire à la situation côté français avant le Concordat :

Carte de l’évêché de Calahorra

La situation était encore plus étrange à l’époque romaine : clairement, l’Alava, et l’enclave de Treviño, était peuplés par trois peuples, d’où le toponyme Trifinium "trois limites", qui deviendra Treviño.

Carte des peuples antiques au Pays Basque espagnol

La toponymie en pays autrigon marque nettement l’influence celte : Uxama, la Osma moderne, signifie "la plus élévée" en langue celtique. Mais il en va de même chez les Vardules : Segontia ou Tullonium ont une nette apparence indo-européenne.

Ainsi, il semble clair que les lieux ont été soumis à des pénétrations indo-européennes fortes, à tout le moins la vallée de l’Èbre. Pourtant, il est également net que le basque a été la langue de communication du peuple jusqu’au XVIème siècle. Est-ce que le basque, après une période de retrait vers les montagnes, aurait connu une phase d’expansion dans une plaine, d’abord celtisée, puis romanisée ? Faut-il postuler un bilinguisme, voire trilinguisme, généralisé ?

La toponymie d’Uzquiano montre bien les marques de la langue basque :

Cette question n’est pas sans éléments de comparaison avec ce que nous savons de terres, manifestement celtisées comme le Bordelais ou le Condomois, en tout cas de terres, pourtant aujourd’hui - ou disons, hier - de langue gasconne (donc une langue romane sur substrat aquitain). Présence de populations aquitaines dominées par des Celtes en faible nombre ? Dynamisme du roman gascon au Xème siècle ?

Comme on le voit, les questions qui se posent au sud des Pyrénées peuvent nous aider à appréhender certaines énigmes historiques du versant nord.

Revenons à Uzquiano toutefois.

En basque, Uzquiano se dit Uzkio. Comment sait-on le nom basque de la commune alors que le basque est éteint depuis le XVIème siècle ? C’est une reconstruction via la microtoponymie : on trouve dans la localité voisine d’Imiruri le lieu-dit Uzquiaurra au XVIIème siècle, manifestement Uzkio + aurre "à côté de Uzkio".

De toute façon, cela est conforme à la phonétique générale du basque : le -n- intervocalique, tout comme en gascon, chute.

uzkiano > *uzkiao > uzkio

La base est donc bien Uzquiano, et c’est elle, conservée par la forme officielle castillane, qu’il convient d’expliquer. L’attestation Fusquiano de 1257 donne la solution : il s’agit d’un toponyme latin en -anum sur une base qui doit être Fuscius. Autrement dit, le domaine de Fuscius.

F- initial, comme en gascon, va devenir H- (Huçquiano en 1551) puis le phonème du h aspiré initial va se perdre en castillan. En basque, la répugnance pour f initial a plutôt tendance à donner p- ou b- : on a donc un phénomène plutôt de roman castillan.

En revanche, le maintien du groupe -sci- est plutôt un phénomène basque, là où le roman procède par assimilation : l’on aurait en castillan quelque chose comme Ujano, via une étape Uxano (le son "x" s’est perdu en castillan).

En catalan, le domaine de Fuscius donne la localité de Foixà. En Quercy, l’on a Foissac (46), avec le suffixe -acum plutôt que -anum. C’est le Foissy (21) de Bourgogne. Il me semble que l’équivalent gascon, qui doit être Houchac, explique le toponyme de ce nom à Miradoux (32).

Bref, Uzquiano est un toponyme latin formé dans un contexte de métissage castillano-basque : un vrai syncrétisme ! En gascon, l’on aurait probablement quelque chose comme Houchan.

Mais pourquoi ai-je eu envie de proposer Uzquiano plutôt qu’une autre localité alavaise ? Car la sensation qui fut la mienne, en avril dernier, en traversant le village, fut celle d’un enchantement : toute une symphonie de maisons vasconnes !


 

Grans de sau

  • Excellente analyse Vincent, comme d’habitude.
    Quand j’étais à Bilbao nous sommes souvent allés en Alava, notamment à Vitoria mais ailleurs aussi. La reconquête de la langue basque dans cette contrée est spectaculaire, bien plus qu’en Navarre centrale et, a fortiori, méridionale où on se demande même si ce serait justifié (en tout cas ce n’est pas voulu par la majeure partie de la population qui se dit navarraise mais est en fait très castillane). C’est un peu comme si des écoles gasconnes étaient créées partout chez nous et que les gens se réappropriaient la culture et la langue gasconnes avec grande envie, appétit et avec fierté aussi. En Alava on a de la signalisation bilingue partout, les toponymes sont bilingues ou parfois seulement en basque, on peut assez facilement trouver des bascophones à Gasteiz. En tout cas, si vous vous adressez en basque à un jeune, dans la rue, une chance sur deux qu’il vous réponde en basque. Quand on compare, on est tellement loin de ça en Gascogne, l’homme malade de la Vasconie pour tout dire. Je suis persuadé que ce qui se passe en Alava n’arrivera jamais chez nous. D’autant plus qu’avec l’occitanisme nous sommes victimes d’un double brouillage identitaire, en plus du rouleau compresseur français. Autant les Navarrais du Sud refusent catégoriquement de se dire basques autant les Alavais le revendiquent avec fierté.
    Pour Uzquiaurra c’est plutôt devant Uzqui parce que aurre signifie devant, partie avant. Est-ce que ça a la même signification qu’en gascon, c’est à dire à l’est ? Je ne sais pas.
    Je reviens d’un weekend dans le Gers. Les mots gascon et Gascogne sont partout mais, quand on creuse à peine, on s’aperçoit vite que ce n’est qu’une marque, de la com touristique. Il n’y a rien du tout sous cette façade marketing, strictement rien, du vide culturel et identitaire.
    Souvenez-vous la réaction de Martin quand Emmanuelli avait émis le souhait de renommer notre département Landes de Gascogne. Comme si on lui piquait le nom autour duquel toute sa communication est bâtie, une marque de lessive quoi, rien de plus. Un Basque, quand il dit "basque", ça signifie vraiment quelque chose.

  • Je dirais qu’une bonne comparaison serait d’imaginer une Bretagne gallésante qui serait revenue au breton, dans la partie où la langue bretonne a été perdue à compter du Moyen-Âge (en gros, une ligne Mont-Saint-Michel/Saint-Nazaire, qui passe à l’Est de Rennes et Nantes).

    Maintenant, il faut clairement mettre en avant le fait que cette rebasquisation de l’Alava n’a été possible que du fait de l’appartenance administrative de cette province à l’ensemble autonome basque. Sans oublier le coup publicitaire d’y mettre la capitale.

    A la vérité, si l’on regarde la sociologie politique alavaise, l’on constate encore un ancrage assez fort du PP, qui a longtemps tenu Vitoria. La différence est en train d’être comblée, après des décennies d’autonomisme institutionnel (le vote Bildu progresse à gauche, le vote PNV à droite) : il y a fort à parier que l’Alava, encore dans les années 70, était bien moins "basque", dans son affichage comme dans son expression culturelle.

    Dans tous les cas, il existe plusieurs Alava : la vallée de l’Èbre, autour de Laguardia, l’ancienne Sonsierra navarraise, est un pays assez à part, très "roman", si tant est que cela signifie quelque chose, et même si le substrat basque n’y est pas indifférent. Il n’en reste pas moins que c’est un pays qui est en fait tout à fait uni culturellement à La Rioja et la Ribera navarraise.

    Cependant, j’ai remarqué en m’y rendant en avril dernier qu’aussitôt la frontière entre La Rioja et l’Alava franchie, alors même qu’il n’existe aucune espèce de différence, ni paysagère, ni linguistique, ni même véritablement historique, le basque est utilisé, côté alavais, avec fierté, dans l’affichage public (c’est la loi) mais aussi pour le négoce, le tourisme, .. qui sont des activités qui dépendent du secteur privé.

    Bref, l’identité basque a pris en Alava - ou a repris selon la vision que l’on aura - contrairement à ce qui se passe en Navarre où la division très précise de la communauté en zones, monolingue basque, monolingue castillan, bilingue, a empêché l’émergence - ou la réémergence donc - d’une Navarre de l’Èbre basque.

    En somme, tout ceci prouve l’importance cruciale des entités administratives en matière de sentiment identitaire. Maintenant, l’identité basque moderne des médias bascophones colle-t-elle vraiment à la réalité alavaise ? J’ai parfois l’impression d’une volonté d’homogénéisation, un peu comme de notre côté, les Souletins pourraient en souffrir.

  • Excellente mise en perspective de la Gascogne observée d’un point non franco-français.

    Une seule erreur à propos de l’origine des patronymes castillans en -ez. Ils proviennent du suffixe latin -ensis marquant comme le génitif l’appartenance, l’origine.
    Ce suffixe -ensis a donné des noms ethniques : francés en castillan, oc , francès en catalan, francês en portugais, francese en italien ; des noms issus de noms géographiques : garonés, Savés (de la Sava), agenés, Bartés, Jaurés (du Jaur) ; des patronymes issus de patronymes : en castillan H/Fernández, portugais Fernandes (qui sont à l’origine : fils de Fernando), mais semble-t-il ce type de formation est absent en oc, français et italien.

  • D’après Wikipédia, les habitants de cette enclave de Treviño sont majoritairement favorables à un rattachement à la province basque d’Alava. Les consultations et les élections locales le montreraient, mais l’accord de l’Autonomie de Castille-Léon serait nécessaire pour cela, et elle ne veut pas !
    J’ai regardé la carte : le centre de l’enclave est à environ 20 km du centre de Vitoria-Gasteiz la capitale de l’Alava, mais aussi de la CAV (Communauté autonome basque) dans son ensemble.

  • Les études ibériques récentes inclinent à voir le génitif latin, sans choix définitif sur la forme latine de base, mais il semble désormais avéré que le -ez castillan et le -iz basque sont de même origine, quand la base est patronymique bien entendu.

    Topónimos alaveses de base antroponímica terminados en –iz, -ez y –ona / -oa

    Pour ce qui est de la Gascogne, il semble que la mode ibérique n’a pas pris, vraisemblablement car les liens ont été coupés, notamment via l’insertion dans le grand duché d’Aquitaine. Un article a été écrit sur la question, hébergé sur le net, dont j’ai égaré l’adresse. Reste que des prénoms comme Garces ou Gassies montraient peut-être un reste de génitif de filiation à l’ibérique.

  • Un "must-read", comme on dit, autour des diverses modes anthroponymiques dans le Midi de la France, au Moyen-Âge :

    Aspects de la « révolution anthroponymique » dans le Midi de la France (début XIe- début XIIIe siècle)

    • J’ai fait cette lecture annexe - assez rapidement - et je vous livre (rapidement aussi) ce que j’en ai compris ou déduit :
       Les noms de personne disent quelque chose de la société (comme le choix des prénoms de nos jours) et des mutations géopolitiques.
       Les noms attribués par la haute société ne sont pas forcément les mêmes que ceux "du peuple" ; mais le peuple tend à suivre à retardement la haute société (les familles nobles au Moyen âge).
       Vers le début du 2e millénaire, donc les ans 1000, 1100..., le sud de la France semble montrer une certaine unité anthroponymique, avec la suprématie d’un choix très restreint de noms : de mémoire (et sous leur forme française) Pons, Guilhem, Pierre, Bernard, Arnaud, Raymond ; Pons étant plus porté à l’est de la zone (Languedoc...) et Arnaud à l’ouest (Gascogne).
       Cette unité dans le choix des noms semble cohérente avec l’émergence sur la même zone d’une langue écrite que je qualifierai d’occitane.
       Concernant la Gascogne qui nous intéresse en premier lieu : le peuple (les rustici dans le texte de Cursente) restait au même moment plus fidèle à un fond vasco-latin, avec par exemple Loup, Garsia, Aznar/Aner, Sanz, Forto... (excusez dans mon énumération l’hétérogénéité des formes, tantôt française, tantôt espagnole ou latine...).
       L’auteur B. Cursente utilise une formule frappante : l’élite gasconne aurait "voté avec les noms" : en choisissant Guilhem, Per, Bernat, Arnaud..., elle coupait avec son passé transpyrénéen (je dirais "vascon") et devenait occitane (je dirais...), et cela au moment même où les aléas des armes et de descendance (ou non) de familles princières entrainaient la fin de la Gascogne-Vasconie libre ; cela laisserait penser - et l’auteur le suggère - que la dissolution de la Gascogne-Vasconie n’a pas été due seulement à ces aléas, mais à une tendance géopolitique plus profonde : regarder davantage vers l’est et vers le nord, se couper de ses racines vasco-hispaniques.

  • Je viens de lire l’article sur la "révolution anthroponymique" que vient de mettre ici Vincent P.
    Je vois que dans les prénoms répertoriés dans le cartulaire de Saint Mont (seconde moitié XI ème siècle) il y a tant dans l’Aristocratie que chez les "rustici " le prénom Forto.
    J’ai pensé à une question que je vous avais posée en 2015 et à laquelle vous m’aviez répondu sur le prénom "Hourticq" que j’avais repéré à Pouillon.

    "En 1610 je trouve un prénom Hourticq.
    Ai-je bien lu ?
    Est-ce une forme gasconne d’un prénom commun (comme Arramonde de Raymonde), ou est-ce un prénom spécifique ?

    1. Hourticq est gascon, et même fort gascon !, 31 mai 2015, 18:29, par Tederic Merger

    Oui, Hourticq est bien un prénom gascon, de ceux qui existaient avant même le système nom-prénom.

    C’est "Hort" + suffixe -ic
    Gasconha.com l’a dans sa liste de prénoms, mais devrait peut-être aussi avoir le prénom racine "Hòrt", si celui-ci a été attribué isolément, sans suffixe et sans composition avec d’autres prénoms.{}

    Je me demande du coup si ce Hourticq du XVIIème siècle ne serait pas le "Forto" du XIème ?

  • Je trouve les contributions de Phillipe Lartigue souvent tres interessantes, mais il y a un point ou je ne le suis pas du tout, une sorte de complexe..

    "Comme si on lui piquait le nom autour duquel toute sa communication est bâtie, une marque de lessive quoi, rien de plus. Un Basque, quand il dit "basque", ça signifie vraiment quelque chose." a t’il écrit plus haut.

    Quelle illusion ! Je l’ai souvent entendu et ça ne voulait pas toujours dire grand chose, soyez en sur. Le Pays Basque ne s’est il pas vendu ?


Un gran de sau ?

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