Angoulême, ville du Sud Ouest ? Débat sur la culture Angoumoisine

- Fawksy

Bonjour.
Cela fait maintenant un moment que je me pose une question : Angoulême est-t-elle une ville du Sud Ouest ?

De par mes origines Gersoises j’ai depuis petit été attiré par cette région, et vivant à Angoulême depuis ma naissance j’ai toujours senti une réelle proximité avec elle, que ce soit par le parler général, les expressions, l’architecture (semblable à celle de Bordeaux sur beaucoup de monuments), le côté Occitan de la Charente etc...
J’en ai d’ailleurs parlé avec nombre de Gersois, Albigeois, Toulousains, Agennais, Bordelais (et d’autres) et tous m’ont dit qu’ils considéraient Angoulême comme une ville du Sud Ouest, ce qui me confortait donc dans mon idée de base, d’autant plus que je trouve la ville très similaire à Bordeaux sur beaucoup de points.

Cependant c’est en faisant des recherches sur ce site que je me suis rendu compte que visiblement, pour beaucoup de gens sans doute plus renseignés sur la question, les Charentes font partie du Centre.
J’ai été intrigué car en tant que Charentais je ne me suis jamais reconnu dans la culture de villes comme Nantes, Tours, le Mans ou même Poitiers et au contraire bien plus dans celle de Bordeaux, Agen, Mont-de-Marsan etc... (même si je n’exclus pas le fait que mon éducation "Gersoise" y soit pour quelque chose).
Il semble donc que beaucoup de gens ne considèrent pas Angoulême comme une ville du Sud Ouest car le Saintongeais n’est pas vraiment une langue d’Oc, les Charentes ne sont pas non plus réellement sur le bassin Aquitain, la ville est trop proche de Poitiers, les gens n’ont pas trop d’accent etc...
Bien que je ne remette pas en cause tous ces arguments je ne les considère pas vraiment fondés non plus, c’est pourquoi je me tourne vers vous.

Est-ce donc faux de dire qu’Angoulême est une ville du Sud Ouest ? (incluant bien sûr les Charentes).
J’attends bien entendu des réponses constructives et je suis impatient de découvrir votre avis.

Merci d’avance et bonne journée.

Grans de sau

  • Le débat déborde quelque peu la thématique gasconne de ce site, mais je vais vous donner mon opinion, qui est multiple.

    En pure géographie abstraite, à la française, il est difficile de dire que le bassin de la Charente ne serait pas au Sud-Ouest de la France, dans son quart Sud-Ouest disons, mais cela n’avance pas à grand chose, pas plus que de dire que le Pays Basque tout comme la Catalogne sont au Nord-Est de la péninsule ibérique. Maudit pays que la France qui parle d’Ouest, de Sud-Ouest, de Nord, de Sud-Est, ...

    Cependant, il est vain de nier que le concept peut avoir un sens, c’est celui du sentiment "Sud-Ouest", difficile à cerner, autour duquel nous tournons régulièrement sur ce site, pour bien souvent arriver à la conclusion raisonnable que le fait gascon qui nous est cher est pour beaucoup une composante d’une identité propre au bassin aquitain, gasco-guyennaise pour simplifier, en gros autour de la Garonne et de ses affluents, les anciennes régions Aquitaine et Midi-Pyrénées. Le pays des bastides médiévales !

    L’ensemble d’entre Loire et Gironde possède une identité complexe, le fruit d’un métissage sur le long terme entre Nord et Sud, où viennent converger toutes les influences historiques. J’accepte au demeurant que l’on fasse une distinction plus précise encore entre l’ensemble méridional composé de l’Angoumois et de la Saintonge, et l’ensemble poitevin proprement dit, même si je trouve que c’est avec excès que les Saintongeais par exemple disent n’avoir rien en commun avec le Poitou (les mêmes toponymes, les mêmes patronymes, la même langue, les mêmes traditions culinaires, ...).

    Toujours est-il que pour ma part, il y a irrémédiablement quelque chose de septentrional dans les Charentes, à mes yeux de Béarnais : joue tout à fait particulièrement l’absence totale d’une quelconque trace d’accent méridional, lui-même héritier de la présence peu ancienne d’une langue d’oc. À titre personnel, une cousine de mon père avait épousé un Charentais, déjà tout petit, je trouvais sa manière de parler, son être au monde (désolé d’être dans l’essentialisme) tout à fait étrangers, comme un reste, possible, de ce que mes ancêtres béarnais éprouvaient au contact du "Gavache".

    (Je ne mets évidemment aucun racisme dans ces sentiments, c’est là une sensation évanescente, à l’étude de laquelle je m’essaie).

    Bref, avec tout l’intérêt historique que je porte aux Charentes (je hais ce nom, mais soit), je ne peux pas me défaire d’un sentiment net de pénétrer à chaque fois un pays foncièrement étranger à mon "Sud-Ouest", sentiment cependant qui peut être le mien aussi en Périgord septentrional, ou en Limousin. Angoulême, plus précisément, malgré la forme "bordelaise" de son architecture du XIXème siècle (qui ne dénote jamais qu’une influence "moderne", d’ailleurs, les gravures anciennes montrent à Angoulême un bâti ancien parfois plutôt périgourdin), est pour moi d’une tristesse septentrionale infinie.

  • Une analyse rationnelle cependant, fondée sur un archipel de traits culturels, montre qu’Angoulême est une ville qui au fond, n’a jamais rayonné, mais est au contraire un lieu des convergences locales. La ville a perdu l’usage d’une langue d’oc de type limousin au XVIIème siècle, si l’on croit quelques attestations de l’époque, parlant d’un changement de langue dans le peuple. Si elle a perdu l’oc, elle reste cependant bien au contact de la dite "Charente limousine", qui avait conservé l’oc. Tout ça pour dire que pour ma part, je ne suis pas de ces occitanistes qui tracent une frontière nette entre Angoulême et les villages à l’Est, au prétexte du meilleur maintien d’une variété linguistique romane sur 4 siècles : l’existence des parlers d’oc à quelques kilomètres est sans incidence sur mon ressenti émotionnel, il ne le conforte pas plus qu’il ne l’infirme, c’est sans importance dans le cas d’espèce (d’autres frontières linguistiques sont plus marquantes).

    Bref, la question est moins l’identité d’Angoulême que la notion de "Sud-Ouest", à géométrie variable. En lisant quelques critères (langue et accent, mode d’occupation du sol, architecture urbaine, architecture rurale, architecture religieuse, traditions culinaires, ...), on verra que tantôt Angoulême et l’Angoumois tirent vers un espace du Massif central, tantôt vers l’espace poitevin, tantôt vers un petit "Sud-Ouest", dont Bordeaux au demeurant est un exemple bien mauvais (Bordeaux est extérieure depuis 4 siècles à son environnement immédiat, qu’elle acculture).

    Et puis, il faut aussi tenir compte du fait que l’esprit Sud-Ouest est un phénomène culturel du XXème siècle, voire du XXIème siècle : oui, un peu partout autour d’Angoulême, fleurissent les lotissements à tuiles romanes, oui, il y a un univers esthétique contemporain que l’on assimilera plutôt au Sud-Ouest.

    Alors au final ? Je me fiche assez de savoir si Angoulême est une ville du Sud-Ouest. Je sais que la plupart des gens autour de moi, originaires du "Sud-Ouest", trouvent la ville foncièrement septentrionale, relevant d’un espace indifférencié, disons le centre-ouest, sans grande différence de caractère avec la Vendée ou Limoges pour dire la vérité. Je sais aussi que des générations moins sensibles aux questions identitaires ne voient pas en quoi Angoulême ne serait pas une mini-Bordeaux sans le lustre, ce en quoi ils auraient raison tout à fait.

    Tout ce que je puis dire, en conclusion, c’est qu’Angoulême n’est pas "mon" Sud-Ouest. Que ce qui fait que la ville ne l’est pas peut être aussi ce qui fait que Bordeaux, par certains côtés, ne l’est pas, ou plus.

    En somme, c’est là un dégradé qui cesse net aux frontières du Poitou au Nord, face à l’Anjou, quand l’on entre nettement dans la France de l’Ouest. Un dégradé, donc, fait de multiples micro-pays, qui chacun fait transition vers un autre, de la même manière que je me sens plus dans mon "Sud-Ouest" à Montauban qu’à Cahors, pourtant deux villes du Quercy, plus dans mon Sud-Ouest "béarnoïde" en Astarac qu’en Lomagne, plus chez moi en Vic-Bilh qu’à Oloron.

    L’identité se fait de proche en proche.

  • J’apprécie cette conclusion sur l’identité progressive, très juste à mon goût.

    Pour rejoindre ta sensation évanescente face aux Charentais, j’ai une sensation de ne pas arriver à cerner l’accent de ma grand-mère qui, rappelons-le, est originaire de Chenaud, en bordure de la Double périgourdine, on ne peut plus à la frontière de l’Angoumois. Elle a un peu cette prosodie saccadée (qui est vraiment typique de l’espace poitevin-saintongeais de manière frappante quand on écoute les enregistrements de l’atlas sonore de France, tu l’as remarqué aussi ? Alors que vers la Bretagne ils avaient carrément les mots, et que dans le nord-est c’est traînant) mêlée de sonorités légèrement occitanes, avec p.ex. "autre" avec un "o" mi ouvert mi fermé.

  • J’ai effectué mon service militaire à Angoulême puis à Toulouse. Autant je plaçais Toulouse dans le "sud-ouest" autant Angoulême n’en faisait pas partie.

  • Je viens de relire l’article de Fawksy, et les réponses qu’il a eues.

    Il est question de sentiment d’appartenance ; le mot sensation est aussi utilisé.
     Sentiment des angoumoisins ("habitants de l’Angoumois" et pas seulement d’Angoulême, je viens de vérifier) : Fawksy donne le sien, qui peut être aussi influencé par ses origines "gersoises" ;
     sentiment des non-angoumoisins (ici on aura plutôt celui de ceux qui sont plus au sud) sur l’appartenance de l’Angoumois au "Sud-Ouest"...

    Quels sont les critères d’appartenance, les faits culturels qui peuvent nourrir ces sentiments ? dans ce qui est dit ici, je relève :
     le paquet linguistique hérité (toponymes, patronymes, l’ancienne langue et ce qu’il en reste : l’accent) ; peu d’affinités de ce point de vue entre l’Angoumois et l’espace guyenno-gascon ;
     l’architecture (Fawksy n’en parle pas explicitement, mais je pense qu’il l’inclut quand il écrit qu’il trouve Angoulême "très similaire à Bordeaux sur beaucoup de points" ; Vincent mentionne les tuiles romanes (qui pour moi ont été longtemps un marqueur, qui finalement n’est pas un marqueur gascon, mais réunit bien l’Angoumois à la Guyenne et à une grande partie de la Gascogne, donc l’ancre visuellement dans le "Sud-Ouest") ;
     Vincent mentionne les "traditions culinaires" qui pour lui seraient partagées entre Angoulême et le Poitou.
     une manière d’être : là on est selon moi dans l’ultra-subjectif, donc difficile d’apprécier de ce point de vue la "sud-ouestité" de l’Angoumois ! On pourrait parler par exemple de l’existence ou non d’une tradition festayre...
     sport : le rugby ?

    Maintenant, au delà de ces traits culturels hérités, il y a les envies des nouvelles générations. La mode basque qui touche Gascogne mais aussi Guyenne peut très bien aller jusqu’à Angoulême voire plus loin...
    Voir s’il n’y a pas des bandas qui se forment de ce côté là sur le modèle gascon...
    Voir si les jeunes angoumoisins ne sont pas friands des fêtes de Bayonne, Dax...
    L’attraction de Bordeaux doit jouer aussi, et Bordeaux est quand même, en même temps qu’un foyer de francisation et maintenant de mondialisation, un lieu de rencontre et une capitale du "Sud-Ouest" (voir le nom de son quotidien régional...).

    La Gascogne dans tout ça ? je défends le triangle gascon mar-Garona-montanha pour les raisons qui font Gasconha.com depuis 20 ans.
    A priori, la notion de "Sud-Ouest" est concurrente de cette vision gasconne.
    Mais il est salutaire de passer en revue les faits culturels qui nourrissent ces visions ou sentiments, qu’ils soient gascon, guyenno-gascon ou "sud-ouest". Il n’y a pas d’évidence définitive !

  • Je vis à Angoulême depuis de nombreuses années. Je n’ai pas connaissance d’un réel tropisme festayre, ou de bandas — et pour l’imaginaire basque, on oublie… je soupçonne l’Angoumoisin Lambda d’en savoir autant sur le sepak takraw ou le curling que sur la cesta punta. Il y a bien aux Halles quelques fans de rugby et du SA VX, sans plus, mais le lien des Charentais à l’Ovalie est autonome par rapport au grand sud, et historiquement plus centré sur Cognac qu’autre chose. Si certains longs weekends la ville se vide ce n’est pas tellement Bordeaux l’attracteur, mais plutôt Royan, semble-t-il.
    Quelques vieux Occitans de l’est du département peuvent bien lâcher de temps à autre un “Mefia-te, goiat” ou un “Comprengue pas”… et voilà pour la présence occitane (cela dit, on n’entend quasiment jamais parler saintongeais non plus).
    Bien sûr la ville ne vit pas dans une bulle, surtout avec Bordeaux à une heure, Paris à deux, mais tous ses festivals et événements (BD, Musiques Métisses, Film Francophone, Gastronomades, Circuit des Remparts…) jouent sur une optique résolument internationaliste bien plus que sur un ancrage local.
    Au final c’est peut-être une “porte” du sud, mais c’est surtout une ville qui vit sa propre histoire et sa propre identité.