Paysages et lieux disparus de Gascogne Pérégrination romantique

- Vincent P.

Je suis assez fasciné par les gravures anciennes et les cartes tout aussi anciennes, qui donnent à voir, partout en Europe et périphéries immédiates, des lieux qui ne sont plus, au moins avant le XVIIIème siècle.

On se prend à rêver d’une Bordeaux qui aurait gardé un château sur l’esplanade des Quinconces et les piliers de Tutelle, d’une Toulouse qui possèderait toujours l’immense clocher de la Dalbade dans sa "skyline", d’Agen ou Orthez ayant conservé leurs tours de l’horloge, ...

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D’ailleurs, pour ma part, contre la convention de Venise, je crois que nous avons droit, d’une part aux fac-similés quand un bâtiment de qualité a été détruit (les Allemands ont reconstruit Dresde et dotent à nouveau Francfort d’un centre pseudo-Renaissance : https://en.wikipedia.org/wiki/Dom-R%C3%B6mer_Project), d’autres part aux dé-restaurations quand un bâtiment a été trop modifié (c’est le fameux exemple de Saint Sernin à Toulouse, rendu à une plus grande pureté romane après les restaurations abusives de Viollet-le-Duc) : démolissons les églises du cardinal Donnet !

Cependant, la rêverie en Gascogne va au-delà de la perte de patrimoine urbain (et évidemment rural : en ce moment, se joue la conservation des formes architecturales de nos maisons rurales, maltraitées, aussi bien par la loi sur l’isolation que par les pavillons modernes) : elle comprend également une part de mélancolie quant à des paysages disparus.

Vient à l’esprit, immédiatement, la lande : l’immense plaine des bergers transhumants au bout de laquelle scintillaient les Pyrénées, l’horizon à peine barré, désormais entièrement boisé, au cordeau, jusqu’à la suffocation.

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J’ai depuis longtemps proposé sur Gasconha.com que le Parc Naturel régional cherche en quelques endroits à redonner vie à la lande telle qu’elle était. L’on objectera que la lande rase était une création humaine, le produit de plusieurs millénaires d’agro-pastoralisme, je n’en disconviens pas. Il se dit que le camp du Poteau à Captieux (33) serait le dernier endroit où la lande est encore telle qu’elle fut : qu’en est-il vraiment ?

Puisque nous sommes en pays de lande, on peut également penser à l’ancien estuaire de l’Adour, qui venait lécher le cordon dunaire qu’il parvenait à trouer au Vieux Boucau. L’on admire à raison les courants côtiers landais, dont celui d’Huchet, mais le spectacle d’un vrai fleuve qui vient trouer la dune devait être particulièrement magnifique. Pourrait-on encore faire passer l’Adour le long des étangs de la côte ?

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Dans mon pays béarno-bigourdan, il m’arrive de songer à ce que furent les landes des plateaux pré-pyrénéens (Ger et Lannemezan) mises en culture à compter des Trente Glorieuses. L’on m’a parlé toute mon enfance des touyas, mais à vrai dire, je ne sais même pas ce que c’est. Ce que je sais, c’est que le paysage de mon enfance, le mur vert de maïs pendant l’été, roux l’automne, n’avait que quelques décennies. Il avait pris la place d’une plaine âpre et austère, que l’on devine encore l’hiver, dominée par des montagnes qu’on croirait toucher.

"Non loin de mon pays natal, les Pyrénées

Qui jusque-là mêlaient leurs ailes tourmentées

Se posent comme un vol d’outardes sur les prés.

Elles ont la couleur même des minerais

Qu’elles portent, avec quelques filets de neige.

Cantaou-Tuzaguet ! Combien mon coeur s’allège

Quand je vois que ta plaine est mêlée à tes cieux

Et qu’il me suffirait pour arriver chez Dieu,

D’être comme l’enfant que j’étais au village

Et qui touchait du doigt les monts et les nuages ..."

(Francis Jammes)

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Bien plus au Nord, la Gascogne a perdu ses îles : les îles de Cordouan, mais surtout de Talais et de Jau dans l’estuaire de la Gironde ont disparu. Si les marais asséchés selon les techniques néerlandaises ont leur charme également (je conseille la traversée du Médoc en TER, l’arrivée vers Soulac n’est pas sans magie), l’on ne peut que regretter ces environnements insulaires. Posséder une maison de vacances à Jau n’aurait-il pas été le dernier chic bordelais ?

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En Béarn, le Pic de Rébénacq a disparu, on ne peut visiter le village sans trouver que quelque chose manque. Et si l’Ossau demain devait perdre l’un de ses deux pics ? Et si Pau retrouvait sa vue sur le Gave ?

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Reverrons-nous un jour ces lieux et paysages ? Il est délicat de faire de la prospective. Partie de ces paysages ont disparu compte tenu de progrès techniques, en liaison avec l’utilitarisme agricole. Que sera l’agriculture de demain ? L’on voit bien combien la forêt reprend ses droits en montagne, après 3 siècles d’humanisation intense ... Rien n’assure que la montée des eaux ne reconstituera pas des îles en Médoc. Et peut-être les touyas reprendront-ils pied au pays de mes ancêtres.

Grans de sau

  • Merci Vincent pour cette promenade évocatrice des paysages disparus. On se prend à rêver... Mais s’agissant d’un château sur l’emplacement de la place des Quinconces, euh...pas vraiment. C’était le fameux château Tropeyte, devenu Trompette, qui servait autant à menacer les bordelais restés un peu pro-anglais et rebelles qu’un potentiel ennemi venu de l’estuaire. Au reste, ce château, détruit par les bordelais pendant l’Ormée fut reconstruit sous Louis XIV sous la forme d’un vaste bastion à la Vauban efficace mais à l’esthétique toute militaire et sans charme .
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_Trompette_(Bordeaux)

    Par contre le château dont l’évocation avive ma nostalgie chaque fois que je passe dans ce coin du vieux Bordeaux, c’est l’ancien château des ducs d’Aquitaine, situé sur l’esplanade en arrière de la Porte Cailhau et en particulier son fameux donjon, l’Arbalesteyre. Jusqu’en 1790, ce château, quelque peu décati certainement, abrita le Parlement de Bordeaux (cour de justice et non instance délibérative). Sa destruction fut décidée par le jacobin planificateur qu’était le Premier Consul, alias Napoléon Bonaparte.
    Dommage pour nos rêves, à moins que justement ce soit cette destruction qui les aura suscités.