Haussmann d’Albret Note de lecture sur "Haussmann d’Albret" d’Hubert Delpont et Hervé-Yves Sanchez-Calzadilla (Amis du Vieux Nérac - 1993)

- Tederic Merger

Haussmann a été une dizaine d’années sous-préfet à Nérac, et le pays a dû lui plaire, puisqu’après avoir quitté cette fonction, il s’y est constitué, dans les landes, autour de Houeillès et de la maison de Bertranet, une véritable seigneurie.

Haussmann, ce protestant parisien, du parti de l’ordre, successivement au service de Louis-Philippe puis de Napoléon III, "s’est plu à Nérac. Comme Henri IV, il y a passé les plus belles années de sa jeunesse. Comme lui, il a été fasciné par sa lande". [Haussmann d’Albret, p.262]

Il a remarqué l’originalité de l’Albret lot-et-garonnais, qui coïncide à peu près avec l’arrondissement de Nérac, circonscription du sous-préfet, par rapport à Agen et "la rive droite" de Garonne :

"Après avoir souligné l’hétérogénéité de son paysage qui oppose lande et terrefort, la diversité de ses appartenances anciennes (évêchés d’Auch et Lectoure, généralités de Bordeaux et Auch, sénéchaussées de Nérac et Condom), il insiste sur "les préventions singulières qui existent dans l’arrondissement de Nérac contre les trois autres arrondissements du département", qu’il attribue à son originalité". [Haussmann d’Albret, p.218]

Comment explique-t-il cette originalité ?
Caractère plus agricole de l’Albret, extrême division de la propriété, "manque presque absolu de communications"...
La présence en Albret (surtout à Nérac) d’une communauté protestante, à laquelle Haussmann était très attaché, a pu jouer dans le sentiment de Haussmann d’avoir affaire à un particularisme local [1].

"L’étonnant, c’est qu’Haussmann épouse d’emblée ce particularisme : deux mois à peine après son arrivée, regrettant le départ du préfet Croneau avec lequel il s’entendait très bien, il écrit "serait-ce un coup de la rive droite ?", s’identifiant ainsi complètement au particularisme de celle de gauche." [Haussmann d’Albret, p.220]

"En mai 1839, il va plus loin encore et parle "d’un département gouverné par une coterie d’ignobles spéculateurs dont notre arrondissement a eu tant de mal à refréner l’esprit d’envahissement".
Les souvenirs de la guerre de religion entre l’Albret et l’Agenais, entre la reine de Navarre et le "saigneur" Montluc seraient-ils en train de se rallumer ? Même si les fleurets sont plus mouchetés, il n’est pas interdit de le penser, et l’identification d’Haussmann à son arrondissement lui coûtera son poste de sous-préfet de Nérac.
Gardons-nous cependant d’imaginer que, devenu ce défenseur de l’Albret, Haussmann cherche à se donner les allures d’un parfait Gascon.
Au contraire, ce bourgeois parisien qui affiche volontiers des airs d’intellectuel à la mode ne manque pas une occasion de railler les Néracais, quand ce n’est pas de les mépriser. Ici, il leur reproche "une mollesse incroyable", là leur "manque d’idées" ; ailleurs il parle de Nérac comme de "la plus maussade des villes", et plus loin de la difficulté de manier "des populations aussi grossières et d’un esprit aussi à rebours que les nôtres"... " [Haussmann d’Albret, p.221]

On remarque dans ce commentaire fait par les auteurs, l’entrée en scène du type "gascon" avec les clichés qu’on devine.
Il est tentant, dans l’opposition rive gauche / rive droite ou Albret/Agenais, de déceler une opposition entre gascons et non gascons.
Les auteurs y pensent visiblement. Il serait intéressant de savoir si Haussmann faisait clairement ce rapprochement Albret/Gascogne, à une époque où l’Agenais se disait aussi gascon [2].
Dans le livre "Haussmann d’Albret", aucune allusion n’est faite à l’originalité lingüistique gasconne de l’Albret par rapport à "la rive droite". Haussmann en avait-il eu connaissance ? On peut imaginer qu’il ne s’intéressait guère au "patois".

Autre passage qui explique l’attachement du sous-préfet à son arrondissement, et qui nous renseigne aussi sur la vision que se font les auteurs et Haussmann du "parfait gascon" :

"Sans doute la présence d’une communauté protestante minoritaire mais dynamique, dans laquelle (et au service de laquelle) il s’est plu, a joué dans cette greffe.
On nous permettra cependant de croire qu’à l’origine de cet attachement se trouvent des raisons encore plus profondes : ne se défend-il pas d’être un Gascon parce qu’il en partage trop les travers ?
Flambeur, secret, calculateur, s’il n’en a pas la gouaille il en a au moins la verve. Surtout, c’est un bagarreur né, qui n’existe que dans l’action, et ne vit que dans l’affrontement. Quel meilleur pays que celui des mousquetaires pour livrer ses batailles ? Si une récente thèse a fait d’Henry IV un "Gascon très parisien", on peut dire d’Haussmann qu’il fut au contraire un "Parisien très gascon"...
[Haussmann d’Albret, p.262]

Mais Haussmann n’est pas seulement devenu gascon : il est devenu landais !
Sa "fascination" pour les landes a dû se combiner avec un esprit d’entrepreneur, au moment où la mise en valeur des landes par le "pignada" prenait de l’ampleur.
Il y a une ressemblance curieuse entre Haussmann et Napoléon III, dans leur intérêt pour cette exploitation des landes [3].

Le gendre de Haussmann, Dollfus, prendra sa suite à Bertranet, dont on a ci-dessus une vue contemporaine.
Henriette Dollfus, la fille de Haussmann, ne semble pas avoir reçu de son père une tendresse prononcée pour "les gascons" :

"Pendant l’automne 1870, Haussmann villégiaturait en Italie et à Monaco. Tant de haines s’étaient accumulées contre le symbole de l’Empire ! De Houeillès, sa fille envoie à sa tante un curieux écho de la triste ambiance de la "seigneurie" de Bertranet.
« Les prussiens chassés... j’ai bien peur que nous ne fassions le coup de fusil pour notre propre compte. Dans nos campagnes, les paysans ou les messieurs rouges ne s’occupent qu’à accaparer les places de toute espèce ... Les gascons sont une triste race, lâches et méchants, et nullement reconnaissants du bien qu’on essaie de leur faire. On ne nous a pas pillé, c’est encore quelque chose, ce n’est pas l’envie qui leur a manqué, mais ces quelques fusils que l’on sait tout prêts à les recevoir, leur ont donné à réfléchir. Nous nous tenons (tranquilles) le plus possible. Le mieux est de ne pas faire parler de soi. »" [Haussmann d’Albret, p.348]

Curieusement, à propos du passage "Les gascons sont une triste race", les auteurs ont cru bon d’insérer une note de bas de page : "d’évidence, Henriette Dollfus parle des lanusquets".
"lanusquet" veut dire "landais" en gascon [4].
Le terme était d’usage généralisé. Haussmann lui-même l’utilisait.
Les lanusquets sont gascons. Pourquoi les auteurs, néracais, donnent-ils l’impression de vouloir dissocier les deux, comme si Henriette Dollfus avait fait une confusion fâcheuse ?
Peut-être parce que la description des gascons comme "une race, lâche et méchante" leur parait tellement inappropriée qu’ils corrigent Henriette Dollfus, en supposant qu’elle pensait seulement à une partie bien particulière des gascons ?
Mais le cliché du gascon du gascon bagarreur et gouailleur doit aussi être mis en question.

Pour finir, un regret :
Malgré sa "greffe" gasconne et sa sympathie ambigüe pour le particularisme qu’il constatait en Albret, Haussmann a appliqué, comme sous-préfet, une politique autoritaire et jacobine qui ne pouvait que faire reculer la gasconitat et ce particularisme.
Mais le contraire était sans doute impossible, et aucune force politique ou même sociologique ne défendait clairement une politique d’affirmation gasconne, ou même d’autonomie locale ou régionale.

Comme grand propriétaire landais, il a par la suite participé à une modernisation qui a aussi brutalement mis fin à une organisation économique et sociale originale.

Au même moment, l’abbé Dardy préparait à Durance, à 10 km de Bertranet, son "Anthologie de l’Albret" qui recueille le parler populaire, ses contes et ses proverbes.
Lui aussi oppose les Landes d’Albret à la "rive droite".

Voir en ligne : Amis du Vieux Nérac

Notes

[1Mais Clairac et Tonneins avaient aussi une forte communauté protestante sans faire partie de l’Albret, et tout en étant rive droite de Garonne.

[2Jasmin le célèbre écrivain d’Agen se disait aussi gascon.

[3Napoléon III a créé le domaine de Solférino et surtout organisé à grande échelle le passage des Landes de l’économie agro-pastorale à l’économie forestière. Les auteurs se demandent si Haussmann n’a pas influencé l’empereur à ce sujet.

[4Une chanson populaire opposait les "lanusquets" aux "cameligats", ces derniers étant les habitants du "Terrefort".

Grans de sau

  • Bien intéressant,tout ça .
    En arrière-plan, la différence entre esprits éclairés et vulgum pecus et plus crûment entre bourgeois francophones et peuple encore gasconophone, vivant des conditions encore à des années-lumière les uns des autres et donc étant dans l’impossibilité de s’enrichir de leurs connaissances réciproques voire simplement de communiquer...Ce mur -souvent un mur de mépris,d’ailleurs- s’observe dans tout le XIXè siècle en Gascogne ,comme sans doute ailleurs.

    • La question du rapport de Haussmann avec "l’occitan" est traitée ici ("Georges Eugène Haussmann, un sous-préfet géographe", de Jean-Pierre Méric, de la Société Archéologique et Historique du Médoc ; IV- S’adapter au milieu) :
      Le mieux est de citer Jean-Pierre Méric, qui cite lui-même les Mémoires de Haussmann :

      Avant Saint-Girons, au printemps 1840, la question de la langue n’apparaît pas dans ses Mémoires. À peine s’il évoque l’accent des jeunes Néracaises, corrigé par un séjour dans les pensionnats d’Angoulême

      C’est à propos de la fin de son séjour à Saint-Girons qu’Haussmann évoque enfin cette langue largement parlée dans tout le sud de la France. Préparant les bagages, son cocher Dominique Elie, le Néracais - qui parle sûrement gascon aux juments percheronnes de l’attelage du sous-préfet – ne regrette ni les isards qu’il n’a pas réussi à abattre, ni les ours qui s’invitaient au bivouac. Haussmann note alors :
      Quelque chose l’horripilait encore plus, si possible : c’était le langage des habitants qui choquait ses oreilles, gâtées par le gascon harmonieux dont Jasmin, le poète agenais, a tiré un si grand parti. Et l’espagnol ! – « Quel patois », disait-il avec dédain, « c’est tout au plus si j’en comprends la moitié » (I-186).

      En clair (bien que finalement Haussmann ne soit pas si clair que ça ici), le cocher néracais, gasconophone, était pourtant horripilé par le parler (gascon) du Couserans, et encore plus par l’espagnol... on peut comprendre que le cocher trouve que le patois du Couserans est déjà un peu espagnol, qu’il a du mal à le comprendre et que finalement il le méprise...
      Donc, pas de conscience gasconne éclairée chez le cocher néracais... et un brouillage par le prestige, connu de Haussmann parce qu’il avait atteint jusqu’aux hautes sphères parisiennes, du poète agenais Jasmin, qui se disait gascon tout en étant de langue agenaise tirant vers le languedocien.

      Haussmann comprend-il l’occitan, ou mieux encore, le parle-t-il ? Que les débats du conseil d’arrondissement se déroulent en français, voilà qui est probable. Que le sous-préfet baragouine quelques mots avec les conscrits quand il est « en tournée de révision », voilà qui est tout aussi plausible. Et comment s’adresserait-il à ses paysans et ses métayers d’Houeillès ou de Cestas ? Ainsi, on dirait qu’après dix ans de carrière, quand il se trouve à Blaye, la langue gasconne de ses administrés lui est devenu très familière, leur état esprit également. Il note d’ailleurs avec finesse la frontière linguistique, singularité de son arrondissement :

      Particularité bien curieuse : dans ce canton de Bourg, sis autrefois en Guienne, le patois bordelais se parle couramment encore ; partout ailleurs, c’est le français, avec l’accent traînard de la Saintonge, qu’on entend. Il n’y a pas de transition : un petit cours d’eau qui se jette dans la Gironde au pied de la Roque-de-Thau, sépare les deux idiomes. En deçà, du côté de Blaye, sur le calcaire d’eau douce, la langue d’oïl ; au-delà, du côté de Bourg, sur le calcaire marin, la langue d’oc. Les habitudes des populations se montrent aussi tranchées (Vol. I, p. 215).

      Le dernier paragraphe est de Haussmann.
      De tout ceci ne se dégage pas de mépris caractérisé envers le gascon. C’est le cocher gascon de Haussmann qui est méprisant envers le gascon du Couserans !

  • Au sujet de 4 : chanson populaire opposait les "lanusquets" aux "cameligats".

    Une collègue de travail originaire de Mezin m’avait dit que le surnom donné au habitants du Gers voisin était "cameligat".
    Je ne sais pas si elle avait raison ou tort.

    • Cette chanson est celle-ci, chantée par ma mère :

      Cau pas estar un camaligat
      Per dançar au son de la bigueta, cau pas estar un camaligat*,
      cau aver la cama lesta e lo pè bien desligat,
      per dançar, dançar...
      *Les "camaligats" (jambe-liés) étaient selon notre chanteuse les habitants du Terrahòrt (terres fortes ou riches), par opposition aux lanusquets (landais).
      Cantat per P. Gasc
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      Oui, elle atteste une opposition entre lanusquets et cameligats, en prenant parti pour les premiers, qui se vengeaient ainsi des seconds.


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