Stéphane Iriberri peut-il vraiment rouvrir la route de la transhumance ? La mudo / la mude / la muda

- Tederic Merger

La transhumance ("la muda" en gascon) a beaucoup compté en Gascogne. Peut-être même qu’elle lui a servi de trait d’union, entre montagne et plaine.

Saluons d’abord la performance, l’endurance, la persévérance (que de mots en -ance ! on pourrait ajouter "espérance"...) de Stéphane Iriberri : l’article de "La Dépêche" qui rapporte sa première transhumance date de l’an 2000 !
Et 11 ans après, ça continue ! Et son fils serait prêt à prendre la relève...

Le gasconhaute attentif remarquera que le présent article est dans la rubrique "Prospectiva" et non dans la rubrique "Tradicions", qui d’ailleurs n’existe pas sur Gasconha.com.

Pourtant, les commentaires du web parlent surtout de "tradition". On est dans le registre de la reconstitution historique, genre "fête des moissons à l’ancienne".

Mais y a-t-il un modèle économique viable de la transhumance à pied ? Hors d’un évènement touristique et festif, ou d’un projet pédagogique ?

Rouvrir une route, c’est réinstaller une routine, un usage régulier et ordinaire. Dans ce sens, la route de la transhumance à pied n’est toujours pas rouverte.

L’article de l’an 2000 de "La Dépêche" faisait une brève allusion aux obstacles, par ces paroles de Patrick Geneste, de l’association girondine Adipp, qui est à l’origine du projet :
« Beaucoup de bergers qui font habituellement la transhumance en camion étaient intéressés pour rouvrir à pied la route, mais ils ont renoncé devant la difficulté pour obtenir les autorisations »

On voit ici deux acteurs :
 le camion, qui nous rappelle la suprématie des transports motorisés, depuis que le pétrole coule à flot ;
 l’Administration, qui organise cette suprématie, en réservant les routes aux transports motorisés.

Réfléchir à la réouverture de la transhumance à pied, c’est réfléchir à l’après-pétrole.

"les deux régions et les quatre départements traversés"

Si les commentaires du web sur cette réouverture de la route de la transhumance manquent de profondeur prospective, ils ne brillent pas non plus par leur aptitude à dépasser les limites administratives qui ont été imposées à la Gascogne :

Parler de "deux régions traversées" sans dire que ces régions (pour ne pas nommer "Aquitaine" et "Midi-Pyrénées") n’existaient pas pendant les siècles (les millénaires ?) de la transhumance, c’est une faute !
Ne pas mentionner la Gascogne, comme région qui réunit les deux bouts de la transhumance, c’est aussi une faute, la même en fait : un manque de profondeur historique.

Voir en ligne : Stéphane Iriberri rouvre la route de la transhumance [10/09/2000 | La Dépêche du Midi]

Grans de sau

  • Adishats Tederic,

    Ton article sur la transhumance et son devenir m’a incité à revenir sur le
    livre de base, issu d’une thèse de géographie humaine de 1931, La
    transhumance pyrénéenne et la circulation des troupeaux dans les plaines de
    Gascogne par Henri Cavaillés
    , ouvrage réédité par Cairn en 2003.

    C’est un ouvrage de référence, tant sur le plan historique (l’évolution au
    cours des siècles) que géographique (l’adaptation de l’homme à son milieu
    naturel et le parti qu’il en tire vers 1930).

    Cavaillès distingue d’abord tout ce que l’on met sous le vocable transhumance
    en deux grands paquets :

    1) la transhumance estivale c’est à dire la montée des troupeaux de la plaine
    vers les vallées pyrénéennes de Barétous à Louron

    Il constate que le nombre en est relativement faible et décroissant vers 1930.
    Bien que variables les effectifs sont en moyenne toujours inférieurs au
    bétail des vallées montagnardes.
    Leur origine n’est pas bien lointaine : depuis les communes du Piémont en ne dépassant jamais une ligne Sauveterre, Oloron, Bruges, Nay, Ossun, Tournay (point extrême) et les Baronnies.
    Pour le cheminement c’est une dizaine de km en piémont puis les grandes vallées transversales les plus prôches ou en 2 ou 3 étapes on rejoint les pacages d’altitude.
    Et il indique que ces mouvements se font, certes à une période rapprochée, mais par petites unités. " Ce n’est pas une invasion en masse du type de celle qui se produit dans les Alpes......mais plutôt une lente infiltration...
    Pour ces troupeaux, la Compagnie des Chemins de Fer du Midi
    n’a jamais eu à organiser de transports spéciaux car personne jusqu’ici ne le lui a demandé" page 49.
    Or je souligne que 1920-1930, c’est l’age d’or du ferroviaire en France.

    Et il corrobore cette affirmation en note de bas de page pour les Pyrénées ariégeoises du Couserans à Ax les Thermes.

    2) la transhumance hivernale des montagnes vers les plaines
    ( je l’ai connue jusqu’en 1995 environ dans la plaine de Tarsac 32, jusqu’en 2000 environ dans mon quartier des landes du Mas au Sud de Aire... sans parler de Stephane Irribery ...... berger de plaine entrant dans le cadre précédent de la transhumance estivale à moins qu’il ne soit un berger transhumant fixé dans le bas pays, ce qui est un cas de figure évoqué par Cavaillès.

    Cavaillés fait le point en 1931.Il explique que les vallées d’Aure et de Luz ne fournissaient pas historiquement de gros effectifs car ils avaient des fourrages suffisants ( c’est l’un des effets de l’irrigation très développée en Bigorre).
    Les effectifs transhumants augmentent vers l’Est Azun, Ossau,
    Aspe, Barétous et globalement tout le Pays Basque.
    Les effectifs se composaient initialement de bovins, ovins, caprins, equins et même porçins mais en 1930 déjà ne se composent plus que de brebis, parfois chêvres et animaux de bât.

    Historiquement cette transhumance est qualifiée de "béarnaise" : elle est encadrée par des accords entre seigneurs des vallées et ceux des plaines et culmine lorsque la maison de Foix Béarn contrôle aussi le Marsan, Gabardan, Tursan ce qui évite le paiement du droit de "guiit" (guidonnage) qui permet le passage entre seigneuries.

    La présence des bovins commence à diminuer avec Colbert qui encourage surtout les bêtes à laine pour l’industrie drapière et continue son déclin au XVIII° siècle où les physiocrates prêchent pour l’abandon de la vaine pâture, le défrichement et la clôture des terres. La grande épizootie de 1774-5 ne fait que confirmer le déclin.

    Si les bovins fréquentaient la Grande Lande (Lanegran des béarnais), les ovins l’évitent car les brebis sont habituées à une herbe autrement fine et riche. Les parcours s’infléchissent tous vers le N-N E :Les ossalois dévient vers Bergonce, Maillas, Bazas et s’établissent dans le Bordelais, Entre Deux mers, et même aux confins de la Dordogne et Saintonge.

    Le déplacement se fait exclusivement à pied mais le chemin de fer joue un rôle important dans la destination choisie :
    " La transhumance pyrénéenne n’a pas encore fait appel aux voies ferrées, que les troupeaux utilisent si facilement dans les Alpes et en Espagne. Mais elle en bénéficie pour le transport de ses produits. C’est la facilité des communications qui attache le troupeau pyrénéen à la région des rivières et des côteaux girondins ( p 106-107).......
    La meme industrie roquefortaise qui s’est installée dans les montagnes d’Aspe et d’Ossau, dans les lieux d’hivernage des rivières d’Oloron
    et de Navarrenx, a suivi les béarnais dans les rivières girondines. profitant de la forte densité du troupeau transhumant, disposant d’un réseau serré de voies de chemin de fer, de lignes de banlieue et de nombreuses gares, une de ces maisons a organisé tout un système de ramassage de lait et de fabrication du fromage. Le lait de chaque troupeau est porté, chaque matin, par le berger à la gare la plus voisine. De là, il gagne l’une des trois stations de ramassage installées à Bordeaux-Bastide, Langon et Libourne. Arrivé aux premières heures de la matinée, il est immédiatement filtré, caillé, brisé, mis en moule et salé. Six ou sept jours après, il est expédié sur les caves
    de Roquefort" (p 103-104)

    3) Le cas particulier des chêvres et le rôle de la VF

    Si l’on veut parler de transports ferroviaires dans la transhumance, il faut regarder vers l’élevage caprin mais ce n’est pas une transhumance au sens propre car les chêvres ne quittent pas la montagne par manque de nourriture l’hiver.

    Ce mouvement s’effectue selon une saisonnalité particulière
    D’octobre à février les troupeaux s’établissent dans le pièmont pyrénéen où se font les mises bas.
    Les chevreaux sont vendus sur place et très rapidement les troupeaux se dirigent vers les villes où les chevriers sont surs de trouver du débit et de bons prix pour leur lait et dérivés. Au 20 mars, ils ont tous rejoint
    Bordeaux, Toulouse, Paris, Bretagne, Normandie, Nord, Belgique..... Souvent, ils prennent le train. Les troupeaux stationnaient à la lisière des villes pour se nourrir et le chevrier en blouse bleue, grand béret, flute aiguë n’emmenait en ville qu’une petite partie du troupeau "pour la mise en scène" . En septembre, la lactation étant terminée, le troupeau revenait dans sa vallée d’origine.....jusqu’en février.

    Cette transhumance est surtout le fait des communes de la vallée de l’Ouzom + le haut Ossau à partir de Bielle.

    Je pense Tédéric qu’il serait intéressant de voir dans nos VF de Gascogne s’il y a eu des transports de ce genre vers nos villes (Agen, Bordeaux, Toulouse) qui sont les plus éloignées de la chaîne.

    Bonne journée à toi et tous tes lecteurs. Je pédale en Pays de Born.... mais quand il fait mauvais, je relis les classiques de l’histoire rurale !

  • L’éditeur Cairn a aussi publié "L’ours et les brebis - Mémoires d’un berger transhumant des Pyrénées à la Gironde", d’Etienne Lamazou.
    On y retrouve plusieurs des informations que Charles L. nous avait diffusées ici à partir du livre de Cavaillès.

    Concernant l’usage du chemin de fer pour la transhumance hivernale de la montagne béarnaise jusqu’en Gironde (précisément à Adore (?) en Entre-deux-Mers), Etienne Lamazou nous dit qu’il a bien eu lieu (p. 196-197 : "Mon père et moi entreprîmes des démarches auprès de la compagnie qui assurait les transports dans le Sud-Ouest [...] ce fut donc dorénavant en chemin de fer que nous nous rendîmes sur les lieux d’hivernage et rentrâmes au printemps dans nos montagnes"). Ce doit être au début des années 1930.

    Etienne Lamazou était d’Aydius, près de la vallée d’Aspe.
    Dans sa préface, Alain Bernard souligne que les transhumances ont résisté plus longtemps dans les Pyrénées occidentales, en gros basco-béarnaises que plus à l’est. Il attribue ça à la culture de "la etché" (etxe) basque.

    Du point de vue de la langue, le livre donne bien par ci par là quelques phrases en gascon, mais pénibles à lire, par les choix graphiques ou les erreurs de l’auteur ou de l’éditeur (mauvaises coupures, confusions... : le lot habituel...).
    Exemples :
    « Jamey plus en Aydius nous hourarey parquio, car lou mey beth capiroü qu’ey pétaré de poü dé s’y coupa l’esquio »
    « Médiche eth a t’a heyt » (pour « Médiche e’t at a heyt » - "Médiche" étant un nom de personne dans l’histoire !)
    « Qué mé lhéby, qué mé chaby, qué mé baou lhébà »
    « Ca minyat toutes las tripos »

  • Une fête de la transhumance aura lieu à Villenave d ’Ornon le dimanche 3 Octobre avec des groupes musicaux gascons,dont Bouheyrins Bouherines de Labouheyre.


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