["L’occitan dins las trencadas" est un recueil de lettres envoyées par des soldats du front de la guerre de 14-18, qui contiennent des passages en langue d’oc, ou au moins des allusions à la pratique de leur langue native par les soldats des pays d’oc, ou à leur perception dans les pays lointains où avaient lieu les combats.]
La lettre suivante est en gascon "negue". La graphie est celle de la lettre d’origine, telle qu’Ives Rauzier l’a transcrite (sauf la correction sur "beudeu").
La particularité negue est de prononcer "eu" ce qui est "é" ou "o" en gascon "clar". ("eu" et "é" étant ici des notations franco-phonétiques)
Notre Yorye écrit son parler negue en franco-phonétique .
Par exemple, il écrit "nadeu leuttreu" ce qui pourrait être en gascon clar "nado léttro" ou (forme intermédiaire entre le clar et le negue) "nadeu léttreu". Noté en graphie alibertine, ce serait "nada letra".
Texte de la lettre :
Cher Ray
« Et queu dits Maritouri ? » Queugn teu leus bires dap leu Mari et leu cabalotte et pots deusamara capbat aqueureus bariboundeus
N’ey pas recebut nadeu leuttreu de leus tous queu careu beudeu* de trouba eun moment. Queum diseuras s’an tuat lou porc e queu cara meu mïa leu mèbère tripe eun ta beudeu* se soun bieun bounes. Eumbrasseras toute leu famille peur you. Eun attendeun deu reuceubeu de leu tous noubelles dap leu tripe receup cher ray mille pots ( : pas de confiture heu :)
Yorye lou veulocipeudiste
Georges DUTIN
Cycliste
14ème d’artillerie, 43ème batterie
A Paul Dutin, Maître de chien St Vincent de Tyrosse (landes)
Commentaire de l’auteur Ives Rauzier :
"Notre cycliste, enrégimenté à Tarbes, s’adresse entièrement
en occitan à un membre de sa famille (son frère ?).
Il demande des nouvelles de Marie et de la petite jument et précise qu’il n’a reçu
« aucune lettre des tiens ».
Il souhaite savoir si on a tué le porc. Si oui il faudra lui amener la plus belle tripe, pour la vendre.
Remarquons la conclusion humoristique. « Mille pots » signifie mille baisers..."
Commentaire du commentaire :
Oui, "cher ray", c’est bien "cher frère", vu l’identité des noms de famille (Dutin) et que "ray" (raÿ) est bien la transcription franco-phonétique de "hrair", "frère" en gascon.
Je pense que là où Ives Rauzier a lu "bendeu", il fallait lire "beudeu" (véder = voir).
Du coup, il ne s’agit plus de vendre la tripe, mais de la voir, et surtout de la goûter !