Les pays gascons : Bonnaud cité par Braudel

- Tederic Merger

Dans "L’identité de la France" de l’historien Fernand Braudel figure cette carte de Bonnaud, avec un commentaire du premier.

Une liste des pays est donnée, la plupart sont classiques, quelques uns inattendus (la Ténarèze).
Les vallées pyrénéennes d’Aspe, Ossau, Lavédan, Aure, Aran, sont considérées comme des pays.
Le Béarn est le seul écrit en toutes lettres sur la carte !
Trois pays basques et trois pays languedociens sont signalés, sans doute comme des pays étroitement liés au domaine gascon. Il faudrait lire Bonnaud ("Terres et langages") pour comprendre...

Tout en me réjouissant de trouver la Gascogne ainsi honorée par le grand historien qu’est Braudel, j’ai essayé d’approfondir ce qu’apporte cette carte.
Pour l’auteur, elle montre la complexité résultant de l’application de causes internes et externes sur un "substrat ethnique aquitain particulièrement individualisé".
Il me semble, par la lecture du contexte, que Braudel soutiendrait que la Gascogne, malgré toutes ces causes d’émiettement qui lui créent une "personnalité multiple", garde toujours (par quel miracle !?) quelque chose de son unité originelle. Il le dirait sans doute mieux que moi, parce que c’est un bon écrivain.

Je comprends aussi que les interventions extérieures (infiltration gauloise, domination romaine, domination française...) ajoutent des différences autant qu’elles en rabotent, en ne s’appliquant pas toujours partout avec la même force.
Là, je serais quand même réservé sur la domination française, qui me semble briller par l’égalité de son application, en tout cas depuis la Révolution.

Grans de sau

  • Les travaux de Pierre Bonnaud sont excellents (ce qui explique l’acharnement de certains à son encontre). La liste des pays gascons qu’il propose indique ce que pourrait être une carte mixte de terroirs ethnographie-histoire.
    Il faudrait en effet lire Bonnaud en détail, ne serait-ce que parce qu’il a fait une partie du travail avec la méthode du géographe élargie à l’histoire culturelle.

  • Oui, Pierre Bonnaud a produit un travail exceptionnel qui démonte (sans que ce soit le but) toutes les théories ethno-linguistiques fumeuses de l’occitanisme. J’ai eu l’occasion de parler avec lui au moment où j’ai acheté sa thèse et, au cours de la conversation, il m’a dit tout ce qu’il avait eu à subir de la part des occitanistes. C’était déjà un vieux Monsieur et il en avait gros sur le coeur. Ils étaient, sont et seront toujours pitoyables et méprisables. Je ne comprends pas qu’on puisse continuer à leur trouver des circonstances atténuantes. La mort de la Gascogne leur est en partie imputable.
    PJM a raison, c’est l’excellence de son travail qui lui a valu autant de haine, et je pèse soigneusement mes mots.
    Les pages sur la Gascogne sont lumineuses.

  • J’ai toujours dit et maintiens qu’il ne faut pas mettre tous les occitanistes dans le même sac et les broyer tous dans la même détestation.
    Cela dit la marginalisation odieuse dans laquelle les occitanistes- apparatchiks universitaires ont maintenu Bonnaud à partir du moment où il a pris ses distances avec la "doxa" imposée n’est pas une invention et il m’en était souvent revenu des échos.

    Si la lecture de Bonnaud est utile et salubre - elle l’est sûrement-, PJM et l’auteur de la dernière contribution (en qui je crois reconnaitre Philippe Lartigue) pourraient-ils nous donner sa bibliographie (disponible, s’ils peuvent le préciser) ?

  • Bonjour Gérard,

    Puisque mon nom est cité.
    C’est peut-être moi qui ai écrit ce commentaire. Si ce n’est pas moi, j’aurais pu l’écrire au mot près.
    Détester les occitanistes ? Pas en tant que personnes mais en tant que porteurs d’une idéologie que je déteste oui, parce que c’est une imposture et une escroquerie.
    Plutôt que de perdre mon temps à ferrailler avec des gens qui, pour des raisons diverses et variées (et pas toujours celles qu’ils avancent), ne changeront jamais d’avis (certains ici semblent ou font semblant ne pas le comprendre), je préfère me consacrer à l’élaboration d’outils qui pourront peut-être, un jour, aider modestement d’éventuels "renaissantistes" gascons (on peut encore rêver). Le reste ne m’intéresse plus. Je dois dire que j’ai fait le vide autour de moi et que mes options radicales en matière d’anti-occitanisme ont un peu éloigné les dernières personnes qui m’entouraient encore de leur sympathie.
    J’ai dit tout ce que j’avais à dire sur le sujet qui pour moi est clos.

  • Halip Lartiga partage avec nous quelques passages concernant la Gascogne du livre de Pierre Bonnaud, "Terres et langages, peuples et régions", où Braudel a puisé la matière dont il est question plus haut.

    Pierre Bonnaud étudie les causes géographiques de "l’échec gascon" à constituer une région forte, malgré son originalité.

    Pierre Bonnaud sur la Gascogne
    Passages de "Terres et langages, peuples et régions".
    Télécharger (22.1 ko)
  • Et si Braudel a puisé dans Bonneau et l’a cité, -Fernand Braudel tout de même !-, c’est que les travaux de Bonnaud ont une certaine valeur.

  • L’historien Guilhem Pépin a "descendu en flammes", sur le groupe Facebook Esprit gascon ces arguments de Bonnaud sur "l’échec gascon".
    En gros, pour lui, les arguments géographiques de Bonnaud ne sont pas pertinents, et l’échec gascon à constituer une région forte, voire une nation, a des causes proprement historiques, par exemple la rencontre du rouleau compresseur français.
    Entre l’adhésion admirative et sans mélange aux arguments de Bonnaud, et leur rejet global, il y a place au débat.
    Je ne comprends pas tout des arguments géographiques de Bonnaud, et ne peux être d’accord avec ce que je ne comprends pas.
    Mais voici deux exemples qui méritent d’être discutés :
     l’éventail des vallées gasconnes qui communiquent peu entre elles, cause historique d’émiettement :
    La Gascogne a l’Adour comme fleuve relativement central, mais une bonne partie de son territoire appartient au bassin de la Garonne ; or la Garonne est frontalière de la Gascogne ! De grandes villes se sont développées sur ce fleuve (Bordeaux, Toulouse), mais n’ont pas été des capitales pour la Gascogne car frontalières.
     l’obstacle du massif landais pour un accès facile à la mer, depuis le pays des coustalats qui est le coeur de la Gascogne :
    Là aussi, l’accès se faisait par Bordeaux et par Bayonne, villes frontalières.
    Un parçan producteur de blé comme le Condomois avait comme débouché maritime Bordeaux ! Or Bordeaux n’a pas joué gascon.
    Je retrouve en filigrane chez Bonneau l’idée - très contemporaine - qu’une région forte a besoin d’une métropole qui en soit le moteur. C’est ce qui aurait manqué à la Gascogne. Nous constatons que ça lui manque encore cruellement !
    A un moment de son argumentation, il laisse entendre - mais c’est un peu flou pour moi - que la Gascogne aurait quand même pu s’en sortir en faisant autrement ; il me semble même qu’il avance l’idée sympathique que c’est encore possible, mais là je dois revenir à son texte...

  • L’histoire, comme son nom l’indique, est une enquête. Mais elle n’est pas une science exacte. Il y a des éléments forts et déterminants qui permettent une certaine prédictibilité : la démographie (implacable) ; la géographie ; le climat. Certains tentent d’intégrer le plus grand nombre de facteurs dans la "géopolitique", mais le second terme est précisément peu saisissable.
    Ce ne sont pas les cultures les mieux dotées qui sont les plus fortes...

    Si la Gascogne a échoué, c’est-à-dire ne s’est imposée comme nation ni dans les formes modernes de l’Etat ni dans celles d’une région forte, on peut chercher, comme toujours, une convergence de facteurs. Sur le long terme on peut estimer qu’il ne pouvait en être autrement, mais ce regard rétrospectif est aussi insuffisant que le renvoi à un discours historique qui n’est de toute façon que partiel, sinon arbitraire.

    Il semble évident que l’absence d’un centre de pouvoir fort au centre du triangle a été déterminant, bien qu’il n’eût pas garanti à lui seul le système des alliances étrangères, la stabilité territoriale, ni fait barrage aux influences culturelles ou dynastiques exogènes.

    Il est clair aussi que les Gascons ont manqué le coche de la langue à plusieurs reprises, mais ici on sait que l’absence d’un pouvoir administratif ou culturel, ou religieux, contraignant, bref d’une instance supérieure, réduit l’usage au profit d’une langue dominante. Les Gascons n’ont pas eu une Eglise nationale pour les garder, ni au XIXe une bourgeoisie nationale. Surtout, la fidélité a été acquise, après bien des vicissitudes certes, à la royauté française, puis aux idées élaborées en français : aucune rébellion sérieuse contre le Centre ne s’est manifestée au XIXe siècle alors que toute l’Europe était agitée de revendications nationalitaires. Quand les étudiants flamands, allemands, hongrois, lituaniens, s’agitaient, leurs homologues gascons devenaient instituteurs et francisaient leur peuple, sans toujours une hostilité marquée envers la langue mais dans le fil du progrès décidé pour eux et par d’autres.

    Un peuple ? Qui s’est épuisé à servir militairement les autres, comme les Castillans, Suisses, Lombards des guerres médiévales, mais sans autre base de repli qu’une terre assez ingrate. Il a manqué aux Gascons une classe ou une caste, du moins une strate dirigeante se définissant par d’autres liens que ceux de l’engagement de service dans les troupes de tel ou tel parti, puis du service dans les troupes du royaume de France, puis de la République.

    L’identité ne s’est pas effacée pour autant, mais la conscience de soi ne se traduit en volonté d’affirmation et de durée que si plusieurs conditions sont réunies, et d’abord la rencontre entre une revendication de dignité sociale, une revendication linguistique, non pas au nom de la langue seule, mais au nom de ce qu’elle véhicule : une tradition, des références mythiques, le sens de la continuité au-delà de l’individu et dans un cercle d’appartenance plus large que le canton ou le département. Un regard sur l’histoire de France explique pourquoi en Gascogne pas plus qu’ailleurs il n’y a pas eu de "cristallisation nationale" (et où il y en a eu, comment elles ont été brisées).

    La géographie explique en bonne partie la distribution de l’habitat et les contraintes qui amènent émigrations ou révoltes, expansions ou désespoir. N’ayant pas créé leur modèle propre à la fin de l’Antiquité, les Gascons ont fourni leur matière aux autres, sont devenus les objets des autres.
    On peut toujours fantasmer sur ce qu’aurait produit un pouvoir central aquitanien fort allié à Rome (un royaume "ami du peuple romain"), ou un Béarn dirigé par une succession de Louis XI ou d’Ivans Kalyta acharnés à rassembler pièce à pièce les territoires et tirant le meilleur parti de la ruine du Languedoc ou de la défaite anglaise, ou encore la création par Louis XV ou XVI d’une province et d’un gouvernement-général de toute la Gascogne ; ou d’un Félibrige dynamique (brisé par 1914), on peut en effet rêver, ça délasse.

    Le socle géographique détermine en profondeur l’histoire des populations mais pas tous leurs appétits (de minerai, de biens matériels, d’espace pour leurs surplus démographiques, etc...). Entre les mode de vie acquis et les changements du monde environnant, les Gascons, et depuis longtemps sans doute, ont fait figure de reliquat ethnographique, de nationalité ethnographique (alors que l’occitanisme est le produit urbain d’un milieu déjà acculturé). Milieu certes vivant, producteur d’hommes de grands talent et volonté, mais pour les autres.
    Le sentiment ethnique des Gascons traverse l’histoire mais les brisures de cette histoire ne lui ont pas permis de fédérer les énergies dans les directions où il était agressé, ni même de se changer en conscience active.

    Bonnaud laisse entrevoir une solution. La naissance d’un axe en croix autour du Centre, à partir du Mont, vers Bazas, vers Dax, vers Pau, vers Auch.

    Le territoire géographique peut alors être considéré non comme cause des faits humains mais comme signe ou reflet de ces événements.

    Camélat a ébauché un roman national et, surtout, avant lui Dastros en a eu l’intuition.
    C’est une autre histoire.

  • Je viens de rechercher dans les extraits de Bonnaud partagés par Halip Lartiga ce qui correspond à des pistes pour l’avenir.
    Je trouve deux passages :

    1) « la lande potentielle, à renouveler complètement, à gagner ou à regagner
    partiellement à l’agriculture, à reconquérir par les bordures, alors que celles-ci, surtout sur le littoral et au Nord-Est, semblent se séparer d’elle de plus en plus. Il est certain que la tâche est rude : mais quelques bourgeons ont germé depuis vingt ans et l’enjeu est à la mesure, tant par l’étendue à améliorer que par l’intérêt de cette transformation pour ressouder le corps gascon. »

    C’est frustrant : on aimerait bien que Bonnaud précise comment "le corps gascon" pourrait être ressoudé par une nouvelle révolution landaise ; de quels bourgeons parle-t-il ? des mises en culture à grande échelle qui ont commencé après les grands incendies, et continué plus tard ?

    2) « Mais n’est-ce pas l’occasion de se demander si le type particulier du mode d’occupation du sol en Gascogne, foncièrement disséminé et inorganique, ne signifie pas une « nature globale autre », nécessitant un autre type de rapports entre les villes et les campagnes qui n’a pas eu l’occasion de se préciser mais qui demeurerait une virtualité d’aménagement de l’espace à explorer ? »

    Je ne comprends pas du tout ce qu’est un mode d’occupation du sol "inorganique", et là aussi, c’est frustrant : quelle est cette virtualité d’aménagement de l’espace à explorer ? cet "autre type de rapports entre les villes et les campagnes" ?
    Ce serait à nous de partir en exploration sur la base de ces quelques mots mystérieux, comme dans les bandes dessinées d’aventures qui partent de quelques mots prononcés à grand peine par un mourant ?
    Région Gascogne Prospective

    Il faudrait en parler à Région Gascogne Prospective !

  • L’organisation repose sur l’habitat, les établissements, les liaisons.
    En géographie humaine la notion relève de l’organisation de l’espace, concrète mais aussi conceptuelle. Un "mode commun d’organisation de l’espace" entre dans la définition de l’ethnie (F. Nadel), pas seulement le territoire mesuré.

    Une occupation inorganique traduirait alors la difficulté du géographe à saisir un type dominant ou directeur. Soit il n’y a pas de plan directeur, soit ce plan est interdit par la juxtaposition des milieux, soit la non-organisation résulte d’autres facteurs. Pour la Gascogne, et surtout la Gascogne centrale, faut-il incriminer la persistance d’un mode de vie favorable à des liens lâches entre communautés (contrairement au modèle romain très construit) ? Petites unités humaines se suffisant à elles-mêmes sur au moins un tiers du territoire ? Les rapports entre les centres féodaux et leurs territoires seraient à considérer dans ce sens.

    Une planification (dite "aménagement du territoire") pourrait-elle créer de l’organicité, interdépendance globale, là où on constate surtout un déséquilibre villes / campagnes ? Donc inventer un modèle centré sur de petits territoires (pays) articulés ? C’est exactement le contraire du mégapoli(ti)sme actuel.

    Sur la fondation des bastides :

    https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1990_num_102_189_3305


Un gran de sau ?

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