De Hambourg, Brême et Lubeck, Bruxelles, Barcelone et autres lieux en relation avec nos thématiques régionales...

- Gerard Saint-Gaudens

Quelques uns des noms de villes européennes ci-dessus reviennent fréquement ces temps derniers comme autant d’exemples quand il s’agit de prôner leur autonomisation plus ou moins radicale face aux territoires adjacents.

Essayons donc de voir d’un peu plus près - du plus lointain au plus proche - ce qu’il en est.

Les villes hanséatiques d’abord :

Depuis quasiment le Haut Moyen Age, elles ont déployé leur influence et accumulé leur richesse en créant un empire maritime de comptoirs, à la façon des Phéniciens et des Grecs de l’Antiquité. Cet empire s’étendait de l’Islande à Arkhangelsk et se désintéressait des terres fermes de leurs hinterlands. Elles en laissait la possession et les guerres de bornage qui vont avec aux princes territoriaux voisins, à l’intérieur d’un Empire romain germanique aux structures lâches qu’on traiterait aujourd’hui de confédéral.
Tant que ce modèle a duré, en gros jusqu’à la fondation du Reich bismarckien, il arrangeait tout le monde. Essentiellement l’oligarchie dirigeante bien sûr, le peuple y obtenant une satisfaction minimale, comme à Venise, à base d’emplois plus ou moins modestes, au moins assez pour ne pas souhaiter se révolter.
A partir du moment où ni la Hanse ni ses comptoirs lointains n’existaient plus et qu’il fallait compter avec un Etat modérément (jusqu en 1933) puis férocement (de 1933 à 1945) centralisateur, la donne changeait alors que la concurrence internationale commençait à affaiblir les grandes fortunes des négociants et armateurs (voir les « Buddenbrock » de Thomas Mann et la comparaison avec ce qu’il est advenu de beaucoup de maisons bordelaises au XXè siècle).

Depuis la fondation de la république fédérale en 1948 un compromis a été trouvé tant socialement à l’intérieur des Villes Etat qu’avec « le Bund » :
contrôlées par des majorités social-démocrates ayant redonné aux couches populaires et moyennes une meilleure part du gâteau, ces villes sont aujourd’hui partagées entre un goût héréditaire de l’indépendance municipale depuis un bon millénaire et la nécessité croissante d’habiter un espace commun avec le « Land » de Basse Saxe, héritier du royaume de Hanovre. Celui-ci n’est pas indifférent à la dimension de grand large et à une certaine diffusion de prospérité qu’il pourrait en
retirer au cas où les « Villes Etat » lui seraient réunies d’une façon quelconque : depuis 1948 l’essentiel des ressources bas-saxonnes proviennent en effet de l’empire Volkswagen où le Land est lui-même capitalistiquement intéressé et, sans pour autant vaciller, le saint-empire automobile voit sa rentabilité et ses perspectives stratégiques s’amoindrir au vent de la crise et de la mondialisation.

Des deux côtés, l’actualité est donc plutôt au resserrement des rangs à travers des structures de coopération régionale et va vers la création d’une région élargie de fait sans mettre formellement fin à la séparation institutionnelle. Dans tous les cas, d’un côté, la République fédérale résiste parfaitement aux tentations françaises « néo-jacobines » de création de nouvelles méga-régions « de taille européenne » (une stupidité puisque les grandes régions européennes, allemandes en particulier, ne sont pas toutes si grandes que ça et respectent, justement les constructions
historiques et culturelles anciennes !) ; de l’autre, les micro-sécessions ne sont pas du tout recherchées même pour d’anciennes cités libres d’Empire maintenant intégrées à des « Laender » plus vastes : la création de nouvelles Villes-Etat n’est clairement pas à l’ordre du jour et celles qui demeurent le sont par simple respect de leur propre histoire quasiment ininterrompue, période hitlérienne mise à part.

Bruxelles

C’est là une toute autre histoire, héritée des conflits nationalitaires du XXè siècle. Bruxelles, capitale du Brabant, entrée avec celui-ci dans l’héritage bourguignon puis, tout naturellement, dans l’empire très décentralisé de Charles Quint, connut sa période de plus grande splendeur et son rayonnement maximal comme capitale des Pays-Bas espagnols puis autrichiens aux XVIè et XVIIè siècles, des Pays-Bas qui comprenaient l’ensemble des 3 pays qu’on n’appelle plus guère le Benelux depuis que l’intégration européenne l’a emporté sur l’héritage bourguignon.
Seconde et très mineure ville du nouveau royaume des Pays-Bas, de 1815, devenue 15 ans après capitale de la jeune Belgique, elle n’est devenue l’espèce bizarre de « corpus separatum » que nous voyons aujourd’hui qu’à partir des années 1970 à la faveur des multiples compromis entre Flamands et Wallons au gré des majorités électorales changeantes ( la forme actuelle de l’institution datant de 25 ans).
Aucune tradition donc, dans ce cas-ci, aucune volonté collective bruxelloise si ce n’est négativement, pour échapper à la flamandisation que lui promettent les autorités de la région flamande voisine (et englobante) le jour où la capitale européenne, espèrent-ils, tombera dans leur escarcelle quand les bruxellois se lasseront de leur enfermement, supposé d’abord protecteur et devenu au fil des années de plus
en plus étouffant. On a présent à l’esprit les querelles constantes autour des communes à statut protégé (ie la possibilité d’y pratiquer le français dans les usages publics malgré leur intégration dans la région flamande) et les négociations sans fin sur le district Halle Vilvoorde, deux tentatives désespérées des francophones bruxellois (dont les plus autochtones pratiquent aussi un peu le « brusselaar ») d’élargir en catimini leur territoire, déjà limité en interne par la nécessité de faire
place aux investissements immobiliers d’eurocrates à fort pouvoir d’achat (50 000 employés ) et à leurs institutions ; les uns et les autres ne paient aucune sorte d’impôt et ne contribuent donc pas aux finances publiques de la Ville Région, déjà très endettée pour pallier la faiblesse de ses revenus fiscaux puisque 50% de ses résidents actifs sont domiciliés dans les deux régions voisines et ne
contribuent pas non plus. Séparation institutionnelle ou pas, l’habitat s’étend en conformité à nos modèles urbanistiques actuels et les villes centrales dépérissent si elles ne peuvent compter sur les rentrées de la périphérie ...
Bruxelles survit donc dans un statut bancal, entre capitale européenne, celle d’un royaume aux compétences fédérales de plus en plus limitées et ce statut de ville « libre », si peu finalement, mais toute remise en cause coûtant probalement plus cher, sa population s’en contente et ne vit pas trop mal.

Rien d’exemplaire en tout cas, plutôt du bricolage à la belge, donc pas bête quand même malgré ce qu’en pensent les Français mais enfin ... du bricolage !

Barcelone :

L’exemple contraire ou quasi : celui d’une ville aux traditions marchandes et expansionnistes n’ayant rien à envier aux cités hanséatiques (cf les expéditions militaires voire sanglantes des Almogavars au Moyen Age, se taillant un petit
royaume dans ce qui était autrefois la Grèce aux dépens de l’empire byzantin bien malade) mais surtout celui d’une ville attachée mordicus à son rôle de capitale d’une Catalogne elle-même volontairement distante de ses rattachements souverains, Couronne d’Aragon où Saragosse faisait peu figure de capitale à côté d’elle et Royaume d’Espagne ensuite.
On connait l’histoire, tantôt glorieuse tantôt humiliée comme en 1704 ou en 1939, des hauts et des bas de la fierté barcelonaise vis-à-vis de ses maitres extérieurs. On connait moins il est vrai les constantes mesquineries dominatrices des barcelonais « als quatre cognoms » vis-à-vis tant des 50% de la population de la ville aux origines non catalanes que des habitants du reste de la Generalitat [1], « pagès » mal dégrossis aux yeux des habitants des habitants de cette ville cosmopolite, espagnole et catalane tout à la fois, caractère hybride qui, paradoxalement, la fait regarder d’un œil méfiant par les catalanistes les plus enragés, en particulier les indépendantistes de l’ERC qui n’y font pas leurs meilleurs scores.

Pour ceux-ci, pas moyen bien sûr d’envisager seulement de déloger Barcelone de son rôle de capitale tant la ville a réussi toutes ses opérations de relations publiques et imposer au monde l’équation Catalogne = Barcelone. D’où la constante rivalité des deux pouvoirs qui s’équilibrent à peu près depuis la restauration des libertés catalanes en 1978 : la Généralité de Catalogne et la municipalité de Barcelone, en abrégé la Generalitat contre l’Ajuntament, celui-ci étant constamment resté (en bonne part grâce aux descendants d’immigrés espagnols depuis le début du siècle dernier) aux mains des socialistes catalans du PSC alors que la Generalitat passe des catalanistes centristes de CIU au PSC avec depuis une dizaine d’années un rôle d’appoint d’ERC à l’un ou l’autre camp.

Cette ville sert-elle finalement les 50% de la population catalane située hors de son agglomération ou plutôt s’en sert–elle ? Je n’ai pas la réponse et la dialectique entre les deux est certainement très complexe, comme les Catalans eux-mêmes. Je suspecte qu’on est là dans le genre « les deux, mon Général ! »

Lyon :

On peut s’étonner de trouver une ville française dans cette liste disparate mais dont le point commun est de recenser des villes plus ou moins souveraines, principe que la France jacobine n’admet pas, on s’en doute. Et pourtant, si une ville française pouvait trouver en elle-même le ressort, les ressources et les motivations pour s’affilier au club, ce serait bien l’ancienne capitale des Gaules. Ne serait-ce que depuis que l’irruption des Francs fit de l’antique capitale une ville frontière entre Royaume et Empire, en principe, au moins, une Ville de celui-ci entre carrément libre et principauté ecclésiastique.
Depuis l’intégration à la monarchie française Lyon joua à fond sa carte commerciale internationale et nationale, pré-industrielle aussi (la soie et les tissus, entre autres).
A partir de la Révolution et au XIXè siècle, la ville manifesta un éloignement marqué voire une opposition au pouvoir centralisateur parisien : en commençant par les révoltes contre la Convention (la ville fut aussi « fédéraliste » que Bordeaux à la même époque avec les mêmes tragiques résultats), suivies par une répression sanglante, puis par les révoltes des couches populaires (les célèbres canuts), ruinées par les innovations technologiques, dans les premières décennies du siècle suivant et particulièrement sous la Monarchie de Juillet : il est clair que la ceinture de fortifications (forts Saint-Laurent, SaintJean, rempart de la Croix Rousse) établie à partir de 1830 visait au moins autant les remuants quartiers populaires qu’une improbable invasion suisse ou prussienne par la principauté de Neufchâtel !
Et pourtant on ne décèle guère alors ni depuis d’ambitions républicaines locales.
Il faut dire qu’en France celles-ci furent toujours efficacement réprimées par le pouvoir central, qu’il s’agisse de la république marseillaise ligueuse de Cazaux ou de l’Ormée frondeuse à Bordeaux. Au XXè siècle c’est une ville sagement intégrée à la république radicale (voir l’emblématique figure lyonnaise que fut Edouard Herriot) tout en étant l’autre capitale du catholicisme français, que la primature des Gaules n’a jamais cessé d’être.
Depuis une quarantaine d’années Lyon a même obtenu ce qu’aucune grande métropole française n’avait obtenu jusqu’aux projets de réforme territoriale actuellement discutés entre gouvernement et assemblées parlementaires : une région purement métropolitaine, artificielle à souhait, regroupant son ressort historique - l’ancien Lyonnais et le département de l’Ain voisin - avec la Savoie et les deux tiers du Dauphiné. La seule unité de Rhône- Alpes est finalement d’être la zone d’influence lyonnaise et rien d’autre avec, semble-t-il, pour seule opposition notable celle du mouvement savoisien, le Dauphiné rattaché, à moitié nord-occitan, restant totalement atone.

Rhône-Alpes et Lyon à sa tête s’affichent aujourd’hui comme la région la plus prospère de France (avec une meilleure qualité de vie et de maintien des paysages, ruraux en particulier si l’on compare avec ce qui fut l’Ile de France et n’est plus que la Région parisienne ) et a développé une réelle vocation européenne.
On ne peut cependant exclure, si par exemple la Savoie obtenait un jour un statut de région à part entière, que le Dauphiné se réveille et cherche à son tour à constituer une région à part entière peut-être avec la Drôme, jumelle de l’Ardèche « côté royaume » comme disaient autrefois les bateliers du Rhône, l’un et l’autre départements partageant de nombreux traits et en particulier le même dialecte provençal–alpin. Enfin, l’ayant partagé plutôt car il est douteux que la spécialisation démographique du territoire particulièrement avancée dans le sud-est français ait laissé à ces deux départements d’accueil des semi - marginaux et néo-ruraux soixante-huitards une forte empreinte d’oc....

Alors, Lyon dans un tel cas ? Peut-être redécouvrant la quasi solitude d’une mini-région, après tout de taille très supérieure à celles des cantons suisses voisins (la « dimension européenne serait ainsi symboliquement préservée, non ?). Mais pour l’instant, rien de tel à l’horizon...

Des villes - régions à court ou moyen terme en France (et ailleurs en Europe), dans ce contexte ? Douteux, très douteux...

Un peu long, tout ça et apparemment loin de la Gascogne : que les gasconhautes peu intéressés par la géographie veuillent bien me pardonner !

Notes

[1pour ne rien dire du mépris affichés pour les Valenciens qui osent dire que leur langue –la même - vaut celle de Barcelone en osant l’appeler autrement !


Un gran de sau ?

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