Bordeaux : l’anglomanie galopante des noms de magasins

- Tederic Merger

Le soft power anglo... ça fait longtemps que ça dure, et pas seulement à Bordeaux.
Comment on fait pour acquérir du soft power (pouvoir doux) ?
[Tederic M.]

Voir en ligne : [Sud-Ouest]

Grans de sau

  • On constate un phénomène tout aussi ridicule dans la dénomination des sociétés. Les SARL Lapeyre et fils qui deviennent GEOTECH AQUITAINE 2000.

  • Heureusement qu’il y a encore des habitants de LA BASTIDE... qui vont au centre commercial ST CHRISTOLY... à côté de PEY BERLAND...

  • Le phénomène est ancien en France mais s’est accentué depuis quelques années en raison de sollicitations très explicites des milieux de la publicité (et pas seulement). Le ’show-biz’ est depuis longtemps acquis : presse, mode et cinéma donnent le ton. Le changement est très net dans la réclame audiovisuelle, notamment télévisée : l’accompagnement "musical" est à plus de 80 % fait de chansons américaines. Pour les produits de luxe certes mais aussi pour les eaux minérales, les produits laitiers, les voitures françaises (!).
    Intervention aussi des milieux du tourisme, toujours très serviles envers la grosse clientèle aisée, censée anglophone. Le secteur bancaire est converti depuis longtemps. L’Université suit.

    Pression qui relève d’une guerre culturelle et économique consciente et méthodique.

    Constat : les références françaises ont du plomb dans l’aile, comme tout ce qui s’exprime en français, et avec elles les références dites régionales, qu’il s"agisse des pays d’Oïl, d’Oc, de la Corse ou de la Nouvelle-Calédonie.

    Que la France en tant qu’individu historique s’efface tous les jours un peu plus sur la scène internationale contribue à ce remplacement : on ne peut pas être et avoir été. La conception française de la culture la condamne à une certaine stérilité. "La province" étant devenue un déserts francophone, on ne voit pas pourquoi ni comment elle ferait mieux que la capitale, qui donne plus que jamais le ton à ses élites.
    (La loi Toubon sur le français est souverainement inefficace, sauf contre des adversaires à sa hauteur : les langues régionales.)

    L’idée d’employer un nom indigène connu ou de donner une couleur locale sincère ne vient pas à l’esprit. La déculturation est maximale et se fait au profit d’une world culture bas de gamme qui suit l’ambiance médiatiquement et scolairement imposée et suggérée.

    La question dépasse donc largement les dénominations.
    Dans le même temps on note l’adoption telle quelle de mots du sabir americano-anglais, langue de l’innovation médiatique. La morphologie est atteinte : adoption de la désinence -ing, et de traits de syntaxe : Modern’café au lieu de ’Café moderne’ (ce n’est pas d’hier) ainsi que des jeux de mots bilingues ou des travestissements graphiques. Amusez-vous à les relever.

    Au passage : les gens se font beaucoup d’idée fausses sur les Etats-Unis, la langue anglaise et l’impact de ce changement de langue affichée. Quand aux capacités linguistiques réelles...
    Le caractère factice de cette mode est patent : loin de propulser ses utilisateurs à la pointe d’une grande culture mondiale créative et énergique, elle les classe dans la catégorie des petits imitateurs. Après le naïf "Au chic de Paris" des années 1960, on a les Supermarkets de quartiers et les Good time Restau, pour compléter l’amusant Shopi (Xopi !). C’est la pseudo-Amérique du ringard. Cette servitude volontaire et générale ne rencontre guère de résistance. Il y a beau temps que l’éducation à la française a déraciné le sens du local et du concret au profit de modèle abstraits, universels et "meilleurs qu’avant". Tout se paye.

    Si le patrimoine gascon, pour en venir à lui, perd la guerre des noms, c’est parce qu’il a perdu auparavant son (relatif) pouvoir d’attraction et de séduction emblématique, mythique. On mettra en parallèle la vogue, même restreinte mais effective, des panneaux bilingues (ou digraphes hélas) en oc et l’atonie culturelle de la population (je reprends l’expression de Vincent à propos de l’article d’E. Pène). Si la société civile, le tissus dynamique des PME, etc., ne fait pas d’elle-même le travail d’insertion sociale de la langue ou simplement des dénominations vernaculaires connues (mais la transmission fait souvent défaut), les services officiels planteront un décor oc sur du vide.
    Encore faudrait-il que les commerçants trouvent des conseils (ou encourent des reproches) auprès de leurs clients.

    Bref, nous n’avons plus affaire à l’anglomanie haut de gamme du XIXe siècle, ni même à la vague proaméricaine d’après 1945, mais à une déculturation accrue par la mondialisation. Toutefois il ne faut pas croire que cela soit spontané. Pour ce qui nous préoccupe la situation est que le logiciel gascon, a fortiori le gascon, ne jouent pas leur rôle d’alternative et d’ancrage.

    Question qui dépasse évidemment le cadre régionale et étatique, et qui se pose mondialement. Il faut la poser : Que restera-t-il de l’identité gasconne, ou occitane, ou bretonne, etc. ? Cette histoire de raisons sociales est un symptôme.


Un gran de sau ?

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