J’avais amorcé une réflexion ces jours derniers dans un autre fil de discussion (« On veut être landais de la tête aux pieds ! ») au sujet des arts taurins et de leur relation avec la culture gasconne et son évolution.
Rappelons qu’ils ont été codifiés seulement au XVIIIe siècle pour la corrida espagnole et au XIX voire au XXe pour la course landaise. Je voudrais aujourd’hui signaler, un peu à titre d’exemple, un développement tout récent (depuis 2013) encore totalement ponctuel mais qui pourrait bien permettre un nouveau tournant pour la course landaise (gasconne en fait puisqu’elle effleure à peine le territoire géographiquement landais et déborde largement du territoire départemental).
Un éleveur de vaches et taureaux du pays d’Orthe, en marge des quatre grandes ganaderies chalossaises, Clément Grenet*, également cavalier de haute tenue, a créé il y a quelques années l’association Chevaux Toros (sic) Emotion et promeut depuis trois ans dans quelques villages de la région (le dernier en date Soustons le 22 août dernier) un spectacle total réunissant art équestre (cinq superbes cavalières et une dizaine de chevaux employés avec maestria dans une perspective de spectacle peut-être puisée chez Bartabas quoiqu’avec beaucoup moins de moyens), flamenco réinterprété ** et course landaise (écarteurs, sauteurs et – innovation - cavalier à l’image de la corrida portugaise ou du rejoneo espagnol à la différence que le taureau n’y subit aucun châtiment et que tout est dans l’art de l’esquive, comme dans l’écart finalement).
Si la première partie (le spectacle équestre) est totalement déconnectée de l’art taurin et relève, comme la seconde, d’une imitation de la culture andalouse, la troisième a davantage attiré mon attention : pourrait-elle préparer l’évolution de la course gasconne (landaise), lui adjoignant un troisième moment (pour ne pas dire un troisième « tierço »), équestre celui-là, après les interventions traditionnelles des écarteurs et des sauteurs ? A dire vrai, cela n’aurait sans doute que des avantages : élargir le public de la course en attirant ceux que l’esthétique équestre motive plus que des prestations parfois jugées austères et répétitives par le grand public non aficionado et permettre l’entrée des femmes dans le jeu taurin ; or on ne compte que très peu (2 ou 3) femmes écarteurs et aucune dans le saut alors que les arts équestres sont devenus, tout comme le public des centres équestres eux–mêmes, largement féminins.
Ajoutons à cela que la course deviendrait un débouché de certains cavaliers et cavalières des très (trop pour être rentables ?) nombreux centres équestres de la région à l’image des associations de gymnastique de nos villages chalossais, pépinières de sauteurs…
Dans un entretien à Sud Ouest avant le spectacle de Soustons, Clément Grenet disait vouloir ainsi « sortir de la course landaise », peut-être un lapsus ne correspondant pas vraiment à ce qu’il avait en tête d’ailleurs (son jeune frère Etienne, autre acteur de ce spectacle, n’est-il pas un des espoirs du saut ?).
Ce pourrait bien au contraire un enrichissement de celle-ci à condition que cette initiative « prenne » et ne soit pas perçue comme un ajout momentané tout juste apte à satisfaire les touristes d’un soir. Evidemment cela ne concernerait qu’un certain type de représentation à côté d’autres qui sont déjà très longues par nature (concours landais, challenges ...) et dont la durée ne saurait être allongée.
Que faudrait-il pour que cela « prenne » ?
Si la culture gasconne est morte, peut-être les motivations citées ci-dessus, pour extérieures qu’elles soient à la culture en question, suffiront-elles (ou pas ; ça peut aussi tomber à plat en raison de l’inertie d’un système)...
Sinon, qu’est-ce qui susciterait l’étincelle dans ce premier quart du XXIè siècle où tout a l’air moribond de nôtre côté ? Peut-être le désir collectif de démentir cette mort annoncée par une création – fût-elle comme un troisième acte d’une pièce inachevée. Paradoxalement, la volonté de créer quelque chose qui ne doive rien à une banale espagnolade et ne soit pas davantage un clonage des manifestations extérieures de la culture basque voisine en puisant au contraire dans un fond commun ibérique.
Rêve, tout cela ? C’est sans doute le public de la course « landaise » qui en décidera.
* Les frères Grenet sont des petit-fils d’Henri Grenet,longtemps député–maire de Bayonne, Girondin d’origine et devenu plus basque que les Basques ainsi que son fils Jean. Bref,une famille vasconne qui retrouve ce qu’il y a de gascon en elle …
** Pas besoin de redire ici l’ambigüité des spectacles d’inspiration andalouse dans une Gascogne oublieuse de ses propres traditions. D’autant que le mélange flamenco / « pole dance », celle-ci plus souvent repérable dans les films érotico-pornographiques américains, n’est pas des plus heureux et sera, espérons le, sans lendemain (tout ceci sans nier la qualité des danseuses l’école de flamenco embauchée pour l’occasion).