La luxueuse revue "Le festin" embrasse maintenant la "Nouvelle-Aquitaine" - c’est logique pour une revue soutenue par l’Institution régionale ; mais dans ce numéro 99 deux articles concernent la Vasconie et la Gascogne :
– "Contemporain par nature" de Julie Gimbal décrit six villas contemporaines dans le Lot-et-Garonne (il se trouve qu’elles sont toutes dans sa partie gasconne - de justesse pour celle de Savignac de Duras)
– "Quelle architecture basque aujourd’hui ? La « ritournelle » [1], la modernité et le chaos" de Jacques Battesti
L’architecture régionaliste #1 Le débat sur le régionalisme architectural en France de 1900 à 1950
Les six villas lot-et-garonnaises "proposent un subtil dialogue avec le bâtiment local".
Quatre d’entre elles s’inspirent du, ou font penser au, séchoir :
– celle de Savignac grâce à son bardage de pin Douglas, "réminiscence des séchoirs à tabac" ;
– celle de Mauvézin sur Gupie "reproduit" tout bonnement un séchoir ;
– celle du Mas d’Agenais (qui domine le canal) "associe deux segments bardés de bois avec toiture à deux pans". "Allusions au séchoir" !
Cette dernière a bien une large ouverture vitrée sous pignon qui fait "vascon"... là c’est moi qui le dis : Julie Gimbal, l’historienne de l’art qui écrit l’article n’a pas intégré ce concept ; pourtant le bâtiment local rural est souvent vascon par ici, et les maisons de Savignac et de Buzet sont vraisemblement de ce type dans leur partie "ferme réhabilitée".
Celle de Buzet est au Bédat. J’étais passé à côté lors d’une de mes explorations de ces collines qui mélangent délicieusement bosquets de pins et de chênes et vignobles ; ce lòc en témoigne.
(Buzet-sur-Baïse / Busèth de Vaïsa)
Vignes de Buzet en automne Je l’aurais bien prise en photo si la maison n’était pas protégée des regards extérieurs. Dommage que ces prouesses architecturales soient ainsi masquées au public...
Celle du Mas d’Agenais qui regarde le canal, je l’aurai (en photo) ! Par la voie verte qui longe le canal, je ne peux pas la louper !
– La "maison-cabane" de Casteljaloux : une cabane très très haut de gamme quand même !
Elle est faite de parallélépipèdes (quel mot !) horizontaux habillés de bois noir. Pas question de séchoir ici : c’est le pignada landais qui enchante le lieu !
Mention spéciale pour la clôture, que Julie Gimbal appelle judicieusement « un filigrane de bois qui vient redoubler le rythme de la futaie ». Voici qui devrait donner des idées de clôtures qui ne cassent pas l’esprit airial...
– La maison de Moirax, qui « associe la réminiscence vernaculaire du séchoir à l’abstraction moderne », s’appelle "L’Estelle", nom d’oc qui veut dire L’Etoile, mais n’apparait pas sur les cartes anciennes ; l’IGN donne actuellement une impasse de l’Estelle et Géoportail une vue aérienne qui permet de voir la maison.
Sur ces six maisons, au moins deux sont des agences... d’architecte ! Les architectes construisent beaucoup pour eux-mêmes, et relativement peu pour le grand public... Julie Gimbal s’inquiète d’« une culture de l’habitat en train de péricliter avec une offre relativement manichéenne, entre néorégionalisme d’un côté et « formes Légo » de l’autre ».
Jacques Battesti, attaché de conservation au Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, auteur du deuxième article du "Festin" dont je fais part ici aux gasconhautes, aborde aussi, heureusement sans condescendance, la question du néorégionalisme (qui est cependant beaucoup plus actuel au Pays basque qu’en Gascogne "lot-et-garonnaise" - d’un point de vue gascon, c’est même inquiétant...).
Au Pays basque, les « formes Légo » seraient plutôt celles des modernistes, alors que le grand public réclame du néo-basque, et l’obtient !
Jacques Battesti évoque le cas d’une résidence des Hauts de Sainte Croix à Bayonne dont les habitants consultés par enquête ont obtenu la création de couvertures en tuiles sur les toits terrasse ! Il fait le parallèle avec les transformations infligées par leurs habitants non initiés aux maisons Le Corbusier de la Cité Frugès à Pessac.
Le Corbusier : l’échec* de Pessac Restauration d’un article de "Gasconha.com vielh"
Certains élus, comme Odile de Corral, maire d’Urrugne, "militent afin d’éviter de diluer l’authenticité du Pays basque". Résultat : par exemple le lotissement des Hauts de Kalitxo qui arbore en 2000-2010 des faux colombages aux "couleurs basques", comme si le temps s’était arrêté depuis l’époque de Godbarge (1910-1930...) !
Un autre élu, le maire de Saint Pierre d’Irube, Alain Hiriart, refait un centre-bourg en néo-basque, dont une surprenante nouvelle mairie qui se réfère à l’architecture des bastides ! Il s’agit de compenser "la perte de repères induite par l’architecture peu valorisante des années 1970" dans ce qui est devenu une cité-dortoir de Bayonne.
Saint-Pierre-d’Irube / Hiriburu / Sent Pèr d’Irúber
Le maire de Cambo, Vincent Bru, voudrait, lui, « oser une architecture contemporaine qui tranche, mais pour que ça fonctionne, il faut de la qualité » et la qualité est trop chère pour le budget communal.
Dans la construction privée, les toits-terrasses, emblématiques de la modernité, sont interdits.
Jacques Battesti évoque « la réduction de l’architecture au signe qui a pu aller dans les années 1960-1970 jusqu’à l’installation de pavillons de type labourdin dans la périphérie de Mauléon, alors que la Soule relève d’un tout autre mode constructif ».
Nous avons sur Gasconha.com pas mal de bastisses néo-basques un peu hors contexte, "La Récompense" à Lourdes par exemple...
(Lourdes / Lorda)
La Récompense
Il donne un autre exemple d’architecture fondée sur le « signe local » : le hangar néobasque aménagé vers 2000 pour la conserverie Bipia. « Plaqués sur un bâtiment de type industriel, toit débordant et faux pans de bois suffisent à planter le décor ».
Mais au moins, à Larressore, le signe est-il à peu près local !
Enfin, il esquisse une "voie intermédiaire, à la fois basque et contemporaine". Il montre alors de récentes maisons d’architecte, et on retrouve l’esprit des six maisons lot-et-garonnaises de Julie Gimbal dans le même numéro du "Festin" [2] !