A cette journée occitane ou gasconne du Colloque 2018 de la Société Française d’Onomastique à Toulouse, que je n’ai pas fini de vous rapporter, le substrat vascon en montagne pyrénéenne a été interrogé au moins deux fois :
– par Aitor Carrèra, pour le Val d’Aran
– par Philippe Carbonne (Felip Carbona, ancient président de l’Institut d’Estudis Occitans) pour la Montagne du Pays de Foix.
Curieusement, ce substrat vascon, Aitor Carrèra (qui utilise le mot "bascoïde") l’a minimisé pour ce pays gascon qu’est le Val d’Aran dont le nom même veut pourtant dire vallée en basque, alors que Felipe Carbona a voulu le mettre en relief pour son pays de Pyrénées languedociennes !
1) En Val d’Aran avec Aitor Carrèra :
– La langue du Val d’Aran serait plutôt du couseranais dans la partie haute et du commingeois dans la partie basse.
– L’archaïsme pré-gascon du maintien des voyelles finales n’atteint pas Bossòst (Bas Aran). Le Montlude au dessus de Bossòst est un vrai prégasconisme de ce genre (il y en aurait de faux !), mais "exogène". C’est compliqué !
– Autres archaïsmes pré-gascons (mais pas pour autant bascoïdes !) : Albaèth (maintien du l : normalement le gascon aurait Aubaèth), Shishart qui viendait de Saxu Altu, Montardo qui est un archaïsme s’il vient de Monte Altu (alors double archaïsme puisqu’il maintient la voyelle finale)...
– L’article archaïque sa : Sapòda, Salòda, Sasseuba, Sacauva, Sabarta... et même Saplan (cet article peut-il être masculin, ou plan peut-il être féminin ?). Il est très présent en toponymie aranaise, mais pas bascoïde non plus ; à quelle époque de langue se réfère-t-il ? Depuis quand Aran utilise l’article pyrénéen era ?
Dans tout ça, on cherche donc les toponymes bascoïdes... peut-être Lòrit, nous dit Aitor Carrèra, si on envisage une étymologie lur (terre). Sinon, pas grand chose...
Aitor Carrèra semble ainsi se distancier de Coromines, linguiste catalan de renom qui a fait sa thèse sur l’aranais et serait la principale source d’explications sur la toponymie aranaise.
Il faudrait confronter dans le détail leurs interprétations de toponymes aranais.
Mais aussi, on sait que les microtoponymes comme les noms de bòrdes remontent rarement au premier millénaire ; rien d’étonnant, donc, à ce qu’ils soient massivement gascons, et non bascoïdes, si Aran parle gascon depuis 1000 ans ! Il faudrait regarder les macrotoponymes (Bossòst ?), les noms de rivière (dont le plus célèbre, Garona...), les noms de sommets (le Besiberri)... et là peut-être qu’on trouverait du bascoïde !
Notes diverses :
– Une étymologie populaire pour le Tuc de Pedescau : ce nom viendrait de Pe de Caves (caves = grottes) confondu avec Pedescaus (l’ours) ; peut-être que la forme "Pedescau" a même été favorisée par cette étymologie populaire ?
– medan ne serait pas mejan, mais viendrait du celtique meddan (qui veut dire ?)
– baderca (parc à moutons) : prélatin
– un exemple d’espagnolisme :
casau a disparu en aranais au profit de uart
Au passage : le restaurant le plus chic de la Province de Lleida serait "Er Occitan" à Bossòst !
2) En Pyrénées du Pays de Foix avec Philippe Carbonne :
Les trois pays qu’il étudie plus précisément sont le País de Saut, le País d’Òlmes et le Savartés.
Il nous explique avoir depuis longtemps observé qu’une partie de la toponymie de ces pays ne s’expliquait pas par l’occitan :
« Mas avèm tanben noms estranhs e pas estrangièrs ; a l’encòp del país e escurs. N’i a tant e mai. Sense comptar, direm, a vista de nas, que son la majoritat. »
Même réserve que pour le Val d’Aran : il faudrait préciser ce qu’on étudie, les microtoponymes étant, eux, massivement occitans (il suffit de consulter le FANTOIR pour le département de l’Ariège ; d’ailleurs je mets en bas de cet article l’extraction du FANTOIR pour Ascou/Ascon, vous pourrez juger...)
Coromines (encore lui !) lui a fait entrevoir que les toponymes non occitans venaient d’un fond bascoïde.
Coromines s’est surtout occupé du versant sud des Pyrénées, montrant que du Haut Aragon à la Cerdagne, on parlait basque au premier millénaire.
Felipe Carbona fait l’hypothèse que le versant nord parlait basque aussi, et pas seulement en domaine gascon :
« Veiretz que Joan Coromines aviá rason per l’aigavèrs sud. Mas tanben pensam aver probat que çò que ditz pel sud es vertat per l’aigavèrs nòrd. »
Felip Carbona va faire paraitre un livre sur la question... chez un éditeur aranais.
Exemple de ses hypothèses basques :
– Espezel du mot basque ezpel (buis)
– Ascon du mot basque azkun (taishon/blaireau)
– Lasset du mot basque lats (cours d’eau)
– (Clòta de) Garsan du mot basque artz ou gartz (ours)
Présenté comme ça, ça parait un peu léger.
On aimerait avoir des séries avec des racines et des suffixes bascoïdes.
Pour Garsan, F. Carbona nous dit : « Lo sufixe an es locatiu. Alavetz garza + an = garzan » Hum hum... -an est-il vraiment un suffixe locatif basque ? (l’apposition d’un n final est bien une déclinaison indiquant le lieu dans le basque actuel, mais ce n’est pas tout-à-fait la même chose)
Quant à appeler un lieu "Blaireau" parce que les blaireaux y abondent... là aussi, on attendrait un suffixe ou quelque chose... [1]
L’examen de cartes de ces Pyrénées languedociennes ne montre même pas clairement cette majoritat de noms estranhs que Felip Carbona dit constater a vista de nas.
Peut-être que le livre à paraitre apportera des arguments plus charpentés. Et je le souhaite, parce qu’une vasconitat prouvée pour les Pyrénées languedociennes confirmerait leur proximité avec le domaine gascon, dont un mot comme taishon donne déjà un indice.