Je ne pensais pas revenir sur les questions de graphie qui empoisonnent durablement la vie du monde culturel gascon depuis des décennies.
Mais la question revient toute seule ou quasi au fil de petits évènements ponctuant la (modeste) vie en question. C’est ainsi que le dernier numéro du bulletin de la Société de Borda (troisième trimestre 2018,numéro 531) intègre un article de M.Jean-Pierre Brèthes sur « les travaux et les gens d’une ferme en Chalosse dans les années 1950 », évocation nostalgique d’une époque pourtant récente mais qui semble maintenant à des années-lumière du monde d’aujourd’hui.
Le professeur Brèthes indique que cet article bilingue a été conçu en gascon et écrite en une graphie telle que « les derniers locuteurs qui la parlent depuis leur naissance puissent la lire sans difficulté ». Du reste c’est dans une graphie à peu près semblable que M. Brèthes avait ces dernières années publié un utile manuel d’apprentissage de la langue (parlers du Chalosse et du Tursan ).
Je ne sais si de nombreux locuteurs natifs liront ce document mais les autres le feront, sinon avec difficulté - ce n’est en effet pas bien difficile - mais avec le sentiment d’une gênante lourdeur. D’autant qu’en plus du choix graphique, l’auteur utilise des formes très locales comme des finales en gn (nh en graphie alibertine) au lieu du « lh » général en Gascogne (exemple : trabagn au lieu de tribalh, cabegn pour cabelh, hin pour hilh,etc..) alors que tous pourraient comprendre hilh ou trabalh, même s’ils sont peu familiarisées avec notre langue.
On dirait bien que l’auteur a de toutes façon fait l’impasse sur les nouveaux locuteurs mais c’est un sujet plus large. Du reste ces choix tout comme l’article en général, qui ne manque pas d’intérêt documentaire autant que linguistique, mériteraient d’être plus longuement analysés .
Pourtant, parallèlement, les ambiguités créées par la graphie alibertine ne cessent d’être gênantes elles aussi, par exemple lorsque des mots gascons sont cités dans des articles en français par des journalistes peu au fait de la langue, sans des guillemets pouvant faire penser qu’on entre dans un autre champ linguistique.
Tout cet été nous aurons vu dans les colonnes de notre journal régional habituel évoquer des « encantada », des « amassada », etc … et plus récemment des « Claverina » et « Sorita » *, tous mots que le lecteur non prévenu aura forcément soit pris pour de l’espagnol soit prononcé à la façon de celui-ci en faisant effectivement sonner le « a » de la dernière syllabe.
Evidemment il faudrait une immersion gasconne à tous ces journalistes mais ce n’est sans doute pas pour demain (mais, tiens, ça peut donner des idées à nos associations !)
En tous cas, c’est peut-être un biais tout personnel mais ce « a » final m’irrite de plus en plus. Certes le souci de retrouver une orthographe classique pour notre langue dans des manuscrits du XIIIè siècle est louable mais ma lecture de Jean Lafitte, un peu lointaine maintenant, me fait souvenir qu’à cette époque le « a » était presque partout passé au « e » dans les documents gascons ou en tous cas cohabitait avec lui. Réformer les finales féminines ne contreviendrait pas à cette recherche d’une orthographe authentique et seule la volonté d’un arrimage « interdialectal » du gascon à l’occitan l’empêcherait**.
Mais je suppose bien aussi que ce genre de réforme pourrait vite tourner au château de cartes qu’un souffle renverse, ce que je ne souhaite pas puisque je reconnais, pour l’essentiel, les bienfaits de la graphie classique (ou « alibertine »).
J’aspire personnellement à une prudente réforme accouchée par un groupe de linguistes qui seraient légitimés par leurs travaux antérieurs et leur reconnaissance de l’autonomie du gascon dans l’ensemble d’oc. Et qui travailleraient à l’évolution des pouvoirs publics, Education Nationale en tête, pour cette reconnaissance fondamentale n’excluant nullement une collaboration de toutes les organisations travaillant pour les langues et cultures d’oc, dans une optique confédérale.
* un journaliste a proposé qu’on appelle Sorito un ours mâle, ce qui montre bien qu’il prenait ces noms pour de l’espagnol.
** aveu trouvé dans le texte d’ « Alternativabiarnesa » (qui est derrière ce collectif, d’ailleurs ?) qui mélange vérités et procès d’intention sur le thème IBG et assimilés : AB revendique cette motivation « interdialectale » au premier rang de quelques autres, pour le choix de la graphie classique. Voir www.alternativabiarnesa.com