Quelques traits saillants et gascons de la toponymie du Médoc

- Tederic Merger

Depuis quelques mois, par le FANTOIR, le Cadastre napoléonien et Géoportail, je scrute méthodiquement (enfin, le plus qu’il m’est possible !) les noms de lieu du Médoc, toujours pour y débusquer ce qui est le plus medoquin, le plus gascon, ou pour l’expliquer [1].

Comme partout en Gascogne, les noms en -a(r) abondent, pour mon plus grand plaisir, et peut-être le vôtre ! Ils indiquent le plus souvent une particularité botanique ou agricole. Ils dressent donc un tableau de la nature et de la culture médoquine, enfin, celles d’autrefois.
Exemples :
 Lina(s) (champ(s) de lin), Le Garrouilla (taillis de chênes...), Le Paléna (graminées, mauvaises herbes), Lou Henna (le champ à foin), etc.
 non expliqués : Ligondra (rapport avec la "licorne" qui figure aussi dans des lieux proches ?), Laurina, le Bonita et bien d’autres...
Comme il fallait s’y attendre, les noms écrits avec un simple a final ont souvent été compris comme des féminins ; on peut donc voir écrit "La Laurina"...

Souvent, ces noms en -a(r) sont écrits -at :
Le Juncat, Freychinat (lieu où il y a des frênes), Saudinat (lieu où il y a des saules) ; le t est fautif, donc il ne doit pas se prononcer, contrairement, en gascon, aux t finaux qui ne sont pas fautifs !)

mais - là je m’adresse aux spécialistes - il m’a semblé en retrouver aussi en -ac, ce qui est surprenant (si c’est bien les mêmes) :
Saudinac
(le) Hagnac (Couquèques), Hagnac (Brach), où je vois quand même lou hagnà/lo hanhar (lieu boueux)
Regueyra, Regueyrac
Cassanat, Casséna, Cassanac, Cassénac
Le Preuilha, Preuilhac
Soustrac (Brach)
Tauziac
Le Maragnac (?)
Saussac (?)

Quelques noms récurrents, quasi emblématiques du Médoc :
Long Regat (qu’on retrouve presque dans chaque commune), Arregat, Carregat... un regat est un sillon ou un ensemble de sillons ; d’après le Cadastre napoléonien, il semble que de nombreuses parcelles étaient constituées d’un seul sillon, tellement elles sont étroites, tout en longueur.
La Bory (la bòria - il doit falloir mettre l’accent tonique sur bò... qui le sait et le fait encore ?) : les Labory abondent, ou des composés, par exemple Boribeille (bòria velha = ferme vieille) à Saint-Estèphe...
La Houdide, Vignes houdides... du verbe houdí/hodir (bêcher...).
Le Gartiou (Gartiu)
Le Treytin
La Tiouleyre (téouleyre/teulèira ailleurs en nord-Gascogne = tuilerie)

Plus rare, mais qui montre la vie religieuse d’autrefois :
lo Camin gleisau (en français ça donnerait "le chemin écclésial", de l’église ? j’imagine de petits groupes qui vont à la messe par ce chemin), hélas appelé maintenant au Porge Le Chemin de Gleysaou, quand ce n’est pas le Chemin de Lizaou !
Même "de" injustifié à Listrac-Médoc : chemin de GLAIZEAU, chemin de GLEIZEAU (Listrac-Médoc)
chemin de GLAIZEAU, chemin de GLEIZEAU

A Carcans, c’est mieux : Chemin Gleysau
gleisau c’est du gascon... alors un Médoc fier de lui-même mettrait tout en gascon : camin gleisau ! (prononcer "caming gleÿzàw")

Très imagés ou très médoquins :
Piche-Leibre, le Garique espourgat (lou garric espourgat = le chêne pelé)... la Hosse de l’Estïou, Riou de Maoutems, Gartiou de Beautemps (mau temps = mauvais temps, par opposition à bèth temps : les mauvais et beaux temps de l’année pouvaient nommer des lieux, intervenant sans doute dans les installations destinées au bétail), Coue de Moulue (Queue de morue) à Grayan-et-l’Hôpital...

En parlant de hosse, justement : des noms ont été confondus avec du français :
La Hòssa / Hosse (fosse) -> La Hausse (Saint-Laurent-Médoc)

ou mal coupés :
L’Arenèir / L’Areneÿ (endroit sableux) : La Renney (Blanquefort)
L’Abuuradèir(a) / L’Abuwradeÿ(re) (l’abreuvoir) : La Buradeyre (Pauillac), Laburadey (Cissac-Médoc)
(lo) Dehés / Déhés : Bois de Hesse (Saint-Laurent-Médoc), craste de Hesse (Carcans / Carcan)
L’Alongar / L’Aloungà : plusieurs "La Longua", "La Longa" en Médoc (mais il y en a aussi, avec la mauvaise coupure, en Entre-deux-Mers et Fronsadais)

Erreur de transcription :
Soc / Loc : c’est Loc qui est bon, mais il semble que certains Loc sont devenus des Soc par mauvaise lecture des anciens cartographes
Exemple :
Lou Soc de la Laoude (Grayan-et-l’Hôpital) : doit être Lo Lòc de l’Alauda/ Lou Lòc de l’Alàwde.

Les noms en -ingue, qui reviennent ici et là :
La Métingue, la Houringue, la Martiningue (Martinens), la Peyringue, La Bertingue, Les Charlingues, Garringue, la Martingue... Pas vraiment trouvé d’explication ; on dirait qu’il y a souvent un prénom en radical

Noms en -aduy (prononcés -aduÿ, -adeuÿ ?) :
Eygaduy à Arsac ; on a vu l’Aburaduy plus haut.

Traits particulièrement gascons :

 Avec le Hr gascon (qui remplace de Fr latin) :
Reysinet (Hreishinet), Reysse, Reyche (Hrèishe)... Richenède (Hreishineda), Villeranque (Vilahranca)
à Avensan et Cussac-Fort-Médoc.

 Passage du nd au n :
"Le Branna" (on n’a jamais "le Branda")

 S chuinté noté ch :
La Chaussouze pour la Saussouze

 Le a prosthétique devant un R :
par exemple La Prise des Arrouquets (et pas Rouquets) à Grayan-et-l’Hôpital

Quelques mystères, parmi un grand nombre :
 Boulibranne à Cantenac ; j’ai pensé à Boulilande à Queyrac (alias Borilande, Borylande), aussi mystérieux et qui montre un passage possible entre bouli et bori (donc bòria)...
 Chit, Lachit, Lechit, Leuchit (dans les dunes du Porge)
 Méogas à Lacanau, Meugas à Vendays-Montalivet : un nom en -a(r)s ?
 Les "La Hille" qui ne sont peut-être pas des "Hilhe" (fille) mais des Hile (file, mais quel sens ?)

Enfin, mention spéciale pour Grayan-et-l’Hôpital : les différentes feuilles du Cadastre napoléonien (pas le Tableau d’assemblage) conservent mieux qu’ailleurs les formes gasconnes :
Lou Henna (B2)
lous Prouens (B2)
lous Haougueyrounes (B3)
la Hosse de l’Estïou (B3)
Les Pins d’aou Pelous
Lou Reysse
Lous Pingoulëous (B3)
Pan Perdut
Terrey d’aou Loup
Cazaou d’aou Bosc
Exemple du FANTOIR :
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOC DU GRAND RAMON
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU BLANCHET
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU BLANCHET SUD
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU CLAOU NORD
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU CLAOU SUD
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU COUMMANDAYRE
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU HENNA
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU MAYNE
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU REYSSE
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU ROUSESAT
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU SOC DE LA LAOUDE
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOU TRETINOT
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOUS GARTIOUS
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOUS PELOUS
33193 Grayan-et-l’Hôpital LOUS TERREOUS
33193 Grayan-et-l’Hôpital TERRES DE LA HILLE
33193 Grayan-et-l’Hôpital TERREY D AOU LOUP
33193 Grayan-et-l’Hôpital VIGNES BARADES

Notes

[1J’ai prévu de traiter ainsi la totalité des lieux-dits gascons du FANTOIR-Gascogne, ce qui devrait bien m’occuper jusqu’à la fin de ma vie !-)

Grans de sau

  • À propos des terminaisons en -ac : Grosclaude dans son livre sur la toponymie béarnaise, postulait que le village de Méracq en Béarn, était L’Omerac "l’ormaie", donc qu’il existait un suffixe botanique -ac.

    Je n’ai pas à disposition l’ouvrage, là où je me trouve, il faudrait vérifier la démonstration de Grosclaude, notamment quant à l’étymologie proposée. Auquel cas, on pourrait imaginer que nombre de toponymes en -at sont en fait des toponymes en -ac, avec la prononciation [t] du -c final en nord-gascon et gascon garonnais.

  • La prononciation [-t] du -k ne concerne pas le Médoc, juste l’Agenais et peut-être le Cubzadais.

  • La Hille : je pense que c’est bien la fille (terres léguées à une héritière a partir du partage d’un domaine). Cf les noms de lieux et de famille du type Hillon, Dufilhot, Lahillonne ...

    Méogas : je pense soit à une coquille pour Heugas (mais ça m’étonnerait parce que c’est huuguèira) soit à un collectif de mauga "mauve".

    Lechit &cie : relique du verbe eishir "sortir" ? Donc un écoulement, un passage... A voir.

     aduy en sud Médoc
     œduy je ne sais plus où
    — > ces formes en -uy concernaient aussi l’agglo de Bordeaux, la majorité de l’Entre-deux-Mers, la Lande bordelaise, le Buch
     œdèy en garonnais-bazadais
     adèy En nord Médoc ?
     adœy vers Pauillac je crois, et rive droite de la Dordogne
    Cf. La carte ’"lavoir" de l’ALG.

    Les noms en -ingue (aussi la Flamengue je crois) m’intriguent aussi . Cf la Martingue près de chez moi : les attestations remontent très loin (XIVe il me semble) et à l’époque c’était la Martienga, la Hont Martienga. J’interprete ça comme Martin > adj. martinenc,-enga. Qu’en pense Vincent ? Est-ce un indice pour des toponymes particulièrement anciens ?

    Le Maragnac : très intrigant et intéressant car je me souviens d’avoir noté en Bazadais des toponymes du genre Maraing, Maragnot . Maranh, omaranh, lomaranh, aumaranh ?? Mystère.

    Régueyra : règa + suffixes : lieu cultivé (tranchant avec la lande ?)

    Laurina : contraction de *l’ahorenar, cf le Houréna !! (Lieu-dit dans un angle paumé du territoire de St Laurent Médoc) Peut-être à rapprocher de lahòra "là-bas, là-dehors" , lieu à l’écart.

    Ligondra s’écrit aussi Ligondras. J’y vois un dérivé de luc ( cf Liglon, Liposthey, Lipomé...) Hypothèse très très hasardeuse : luc (daus) Audrauds > *lugandraus/ligandraus. Ou alors chercher le sens de Ondras ou Gondras.

  • J’en trouve un en Guyenne, près de Miramont, à Montignac-Toupinerie :
    L’IGN donne à la fois "le pignera" et "le pignérac".
    IGN 1950 : "Pignera"
    Cadastre napoléonien : "(le) Pignera"
    J’ai envie d’y voir un "Pinherar" (cependant peu attesté : un autre cas par le FANTOIR : 47014 Armillac PIGNERA ? non, c’est le même !), avec un c rajouté par les scribes comme une correction (sachant qu’en Guyenne les vrais -ac se prononcent peut-être -a).

  • En Duraquois et Bergeracois tout au moins, -ac, -at, -às se prononcent -a. Ainsi dit-on : Brazeyrà, Shoumenshà, s(h)ey (a)nà a Durà, Owrià... D’autre part il me semble (à vérifier) qu’en Guyenne on a des collectifs végétaux en -ade (Boissonade, Castagnade...) ce qui laisse penser qu’on peut écrire le masculin avec -at.

  • Après ce Pignera+Pignérac troublant en Guyenne, je reviens en Médoc et trouve le doublet graphique Castera+Casterac à Avensan !
    Ce n’est pourtant guère possible de douter de Casterar...


Un gran de sau ?

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