À la recherche d’autres toponymes de frontière *cawo (?)

- Vincent P.

Pour raisons professionnelles, il m’a fallu me rendre cette semaine du Périgord en Agenais : cette frontière est fascinante, elle correspond plus au moins à quelques paroisses près à celle entre les départements de la Dordogne et du Lot-et-Garonne, et l’on sait qu’elle rappelle la frontière des diocèses de Sarlat et Agen, plus anciennement encore celle des cités des Pétrocores et des Nitiobriges.

Elle est d’autant plus fascinante qu’elle constitue, en venant du Sarladais (ce n’est pas le cas depuis Bergerac), une transition abrupte en matière de paysages, l’on passe en toute violence du pays boisé qu’est le Périgord, sans horizon, à l’Agenais des coteaux et des larges vallées fluviales qui filent vers la Garonne, le moutonnement infini. Je ne suis pas assez versé en dialectologie "guyennaise" pour savoir si la langue change également du tout au tout.

J’ai donc eu l’idée, au vu de l’ancienneté de cette frontière, de voir l’allure des toponymes qui la dessinent, au vu de la découverte de la semaine passée. Voilà que je trouve un Cahuzac, toponyme qu’au fond, personne n’a jamais expliqué avec conviction.


Un nouveau toponyme celtique de frontière : *canto Cansac et cie

L’immense apport des études toponymiques contemporaines est celui d’avoir mis fin à la tendance paresseuse consistant à inventer un nom propre antique, jamais attesté, pour expliquer les toponymes en -acum, du celte -ako (qui donnent les toponymes français en -ac, -é, -y, -ey, -at, ... selon les zones linguistiques). Bien des toponymes en -acum sont aujourd’hui clairement analysés comme descriptifs : Évry provient de *eburako sur le celte eburo "if", autrement dit "lieu où l’on trouve de l’if".

Comme Cahuzac m’intrigue depuis longtemps, j’ai vérifié la liste des toponymes similaires ou apparentés :

 Cahuzac (47) : sur le Dropt, en position frontalière en Agenais, face au Périgord.

 Cahuzac (81) : en position frontalière de nos jours entre le Tarn et la Haute-Garonne, face à Revel, dans l’évêché historique de Toulouse, héritier de la cité des Volques Tectosages.

 Cahuzac-sur-Vère (81) : cela ne correspond pas à une frontière à l’heure actuelle (nous sommes au nord de Gaillac), mais nous savons que l’espace tarnais actuel était bicéphale, l’un dans l’orbite toulousaine, avec les Volques, en "Provincia", l’autre en "Gaule chevelue", avec les Ruthènes. C’est à creuser.

 Cahuzac-sur-Adour (32) : nettement, nous sommes sur la frontière entre les anciens évêchés de Tarbes et d’Auch, dans la plaine de l’Adour, sur un gué ; l’on pourrait être surpris de la présence d’un toponyme celte au cœur de ce qui deviendra la Gascogne, mais il est net que la toponymie des environs, côté auscitain (Verdun, Tourdun, Monlezun) fait état de formations indubitablement celtiques, pour lesquelles on ne peut que faire des supputations (on sait que l’élite de l’Auch antique était bilingue, celtique/aquitain, au vu des noms propres des témoignages épigraphiques retrouvés).

 Cauzac (47) : position frontalière de nos jours, si l’on excepte la création médiévale de Beauville, c’est assez nettement la première "agglomération" dans l’ancienne cité des Nitiobriges, qui deviendra l’Agenais, le long de la vallée de la Séoune, en provenance des Cadurques, dans ce qui deviendra le Quercy.

On voit bien l’incertitude de mon hypothèse, qui nécessite une vérification historique complète toponyme par toponyme, outre le fait que la racine à reconstituer est bien complexe. Le son [z] en oc standard peut être obtenu, soit pas -d- intervocalique, soit le groupe -ti- intervocalique, soit évidemment -s- intervocalique.

J’ai tendance à vouloir reconstruire, pour l’initiale, quelque chose comme *cawo, de sens inconnu, mais que j’essaierai de trouver dans les dictionnaires de langue gauloise à notre disposition. Je m’en expliquerai plus bas.

Quid de toponymes similaires à Cahuzac en pays d’oïl ou ailleurs (en tenant compte des modifications propres aux autres zones dialectales) ?

 Chouzac (17) : cela semble être une forme "limousine" ancienne, classique en Saintonge ; j’ai pensé à une ancienne frontière de l’évêché de Saintes, mais cela ne fonctionnerait pas, Cognac était aussi dans le diocèse de "Xainctes". Il ne faut donc pas chercher à systématiser.

 Chouzé-sur-Loire (37) : la commune est frontalière de deux départements, il convient de vérifier si c’est là l’ancienne frontière entre les cités de ce qui deviendra Angers et Tours.

 Chezac (37) : frontière entre le Poitou et la Touraine, à vérifier sur le temps long (étonnant maintien du suffixe -acum, tant au Nord).

Je passe à côté, probablement, de mutations oïliques qui me sont inconnues, outre que je ne suis pas assuré de l’étymon reconstitué. Cependant, je pense formellement que l’initiale est quelque chose comme *cawo.

En effet, en reprenant les dérivés sur *canto, et en suffixant de la même manière (*cant-il-iaco / *cant-in-iaco), l’on a les formations suivantes :

 Cavignac (33) : peut être tiré de *caw-in-iaco, et il s’avère que cette commune est bien sur la frontière ancienne entre la cité de Bordeaux et celle de Saintes.

 Chavignac, hameau de Chaillac (36) : c’est encore sur une frontière départementale, héritière de la division entre Berry et Limousin.

 Chavagnac (24) : c’est encore la frontière entre la Dordogne et la Corrèze, entre l’ancien Périgord et le Limousin. Le nombre de micro-toponymes homonymes est plus que conséquent, Chavagnac à Auriac (15) est à la frontière de la Haute-Loire actuelle, Chavagnac à Gagnières (30) est à la frontière de la Drôme, ... d’autres ne sont à la frontière de rien, là encore, une étude au cas par cas est nécessaire. Cavagnac (46) est frontalier, également.

 Les nombreux Chevigny, Chevigney, Chevignat, ... sont tous à vérifier un par un, mais cela semble à chaque correspondre à une frontière que les hasards de l’Histoire ont fait frontière départementale, notamment en Franche-Comté.

 Cavigny (50) : il s’agit de l’ancienne frontière de l’évêché de Coutances, sur la Vire, face à l’évêché de Bayeux.

 Bizarrement, la forme hypothétique *cawiliaco donne peu de résultats : pas de Cavilhac en pays d’oc. Chevillac à Oradous-Fasnais (16), en revanche, est frontalier de la Haute-Vienne, est-ce l’ancienne frontière entre les évêchés de Poitiers et Angoulême ? Chevilly est fréquent en pays d’oïl, également.

 La forme *cav-en-aco, en revanche, donne des résultats : Cavenac à Castelnau-sur-Gupie (47) est à la frontière entre les anciens évêchés de Bazas et d’Agen, il faudrait vérifier qu’il en était de même du Cavenac de Saint-Pons-de-Thomières (34), dans la partie actuelle du département de l’Hérault qui est en réalité sur le bassin versant de la Garonne.

Je n’ai pas plus le temps de poursuivre ma prospection des toponymes comme des formes hypothétiques, mais pour moi, il est clair qu’il existe une série d’établissements frontaliers nommés en langue celtique sur la base d’une racine *cawo dont j’ignore le sens, suffixés diversement (-iniaco, -itiaco, -enaco, -iliaco, ...). Il conviendra de poursuivre le travail, en vérifiant, cas par cas, l’équation entre un tel toponyme et une frontière : peut-être même alors que nous pourrons dessiner avec encore plus de précision qu’auparavant, les frontières anciennes, parfois imparfaitement reprises par les diocèses médiévaux.

Grans de sau

  • Je me demande si Cahuzac n’est pas aparenté à cauus, c’est-à-dire chouette, hibou (oc. & gasc. caús, cauus, var. gaús, gahús, guèhus) ici pris comme nom de personne (Cauus et Caius comme nom de personne sont attestés en latin classique et haut-médiéval). De même Cauanus est attesté également comme nom de personne (cauanus = hibou, chat-huant). Dans ce cas, ce n’est pas le domaine qui tirerait son nom de la limite administrative, mais cette dernière qui découlerait des limites du domaine.
    Cauo est bien repertorié par Delamarre qui n’en connait pas le sens. Delamarre suggère que le sens pourrait être creux, cauos serait cognat du latin cavus. Je pense qu’on aurait là un doublon homonyme en gaulois. Caus = chouette, hibou (admis par Ward comme kawa, lexique protoceltique -> a. fr. choue (chouette), esp. cava (choucas). Passé du gaulois en germanique al. kauz = hibou). L’étymon serait le même que cauanus, de la racine kaw crieur, hululeur. Ande-caui = les très criards (nom de nation gauloise) > Angers. Ou alors les très creux ? C’est l’autre mot cauos.

  • J’ai trouvé une série semblable : les fameux toponymes Cavarc/Cajarc.

     Cavarc (47), à la frontière Agenais/Périgord, non loin de Cahuzac (47).
     Cajarc (48), à la frontière Quercy/Rouergue, sur le Lot, en amont de Cahors.
     Cajarc, hameau de Vailhourles (12), à la frontière Rouergue/Quercy.

  • Une autre série, suffixée différemment : Cavagnan.

     Cavagnan (47), à la limite des évêchés de Condom et Bazas sur l’Avance, face à Argenton, dont Jacques Lacroix nous dit que c’est le celte ar-kanto pour l’initiale, réinterprété "argent" en latin.

     Cavagnan à Gondrin (32) : à vérifier si ce n’est pas là la frontière entre l’évêché d’Eauze et Auch.

  • Mais cette série "Cavignac", "Chavignac", dont Gérard Loison dis que ça a peut-être à voir avec "creux" et le latin "cavus" (il me semble, mais je ne retrouve pas ce commentaire de toi... que tu as dit aussi que ça pourrait vouloir dire "la frontière en creux")... ça ne désignerait pas tout simplement des vallées encaissées... pouvant servir de frontière à l’occasion (anciennes : gauloises éventuellement reprises par les départements, ou modernes sans avoir été gauloises : département)... et dans d’autres cas ne PAS correspondre à des frontières car décrivant juste le relief... Peut y joindre "Chauvigny" (ex "Chavigny") dans la Vienne, sur une vallée ? Peut-on rapprocher ceci du poitevin "chaver" = creuser, fouiller, ( et = "drageonner" chez moi) ?

  • En face de Gimont (32), l’on trouve le hameau de Cahuzac, sur l’autre rive de la Gimone : il s’agissait de la limite entre les évêchés d’Auch dont relevait a priori Cahuzac et de Lombez, dont relevait Gimont, anciennement diocèse de Toulouse ; il s’agit bien de la frontière entre les Ausques et les Volques.

    https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8441964h/f1.item.r=dioc%C3%A8se%20lombez.zoom


Un gran de sau ?

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