Cette ville m’effraie.
Pourtant, Dieu sait si je l’aime, Toulouse : elle est la ville de coeur de bon nombre de Béarnais. Mais le simple fait de rentrer dans Toulouse est un parcours du combattant, entre la nationale devenue autoroute, les deux périphériques...
Le problème de Toulouse et de son agglo, c’est qu’il n’y a pas réellement de frontière naturelle, à la manière de la Garonne et de la forêt à Bordeaux : alors, Toulouse s’étend, s’étend et s’étend encore. Le Tarn a été atteint.
Notre merveilleux attardisme génétique, dont je ne cesse de vanter les mérites, fait que le Gers se défend : viva lo Gèrs ! (Plus sérieusement, il y a une exception gersoise : j’y reviendrai, notamment en agriculture moderne où le Gers fait figure d’irréductible village gaulois).
On connait les raisons : héliotropisme, Aérospatiale... Mais cet afflux soudain de personnes est-il une raison suffisante pour ne pas mieux gérer ?
Tu me demandes de proposer des solutions [1]. Je n’en ai pas.
Peut-être une à vrai dire : cesser de faire de la mobilité une obligation de vie. Mais je n’ai pas envie de creuser cette idée, de peur d’être mal compris. Pour résumer, mon idée est quand même que cet afflux de personnes est avant tout une "déportation economique" organisée : les régions françaises du Nord perdent leur jeunesse et Toulouse, qui les accueille à bras ouvert, snobe sa population locale. Je ne veux pas entrer dans le discours occitaniste de la colonisation française, mais force est d’avouer qu’il y a du vrai.
En même temps, c’est trop facile d’accuser les nouveaux venus de tous
les maux : j’en vois déjà certains me dire que je retombe dans ce vieux travers de "l’estrangèr". En fait, ce n’est pas du tout mon objectif : je dis juste que Toulouse n’est pas faite pour devenir la mégapole que ses édiles imaginent et les départements limitrophes la banlieue dortoir de ce monstre, de briques s’entend.
Nos départements devraient pouvoir développer une économie plus locale, plus proche des habitants. Les ambitions de Toulouse s’opposent à ce principe : Toulouse veut que le Gersois d’Auch viennent acheter ses meubles à Ikéa (et surtout pas chez le menuisier de la ville), veut que l’Ariégeois de Saverdun viennent travailler dans ses bureaux à elle (quelle idée saugrenue que de faire
travailler les gens là où ils habitent !?).
Pour autant, Toulouse ne veut pas de cette population chez elle : elle éloigne les classes moyennes à la lointaine périphérie (de toute façon, elles viendront travailler et faire leurs courses), elle parque les classes
défavorisées dans ses tours (rive gauche si possible) et elle attire
toute la jeunesse bobo française dans son hypercentre rénové (qui pue
l’artificialité, briquettes industrielles toutes roses, colombages alsaciens), tout cela dans un français sans accent.
Quelle différence avec Bordeaux ou toute autre ville européenne ? Je
n’en sais rien, c’est du domaine de l’intime conviction. Tout ce que
je constate, c’est que Talence par exemple est encore loin de devenir
Le Mirail. Bordeaux a encore une certaine aristocratie, et la banlieue
bordelaise toujours ce côté populaire gascon. Toulouse est le symbole
de ces cités parvenues, nouvelles-riches, tout comme ces villages
toulousains qui se découvrent tout à coup ville.
[La photo qui illustre l’article est celle qui illustre le programme "Arc Arena", chez Kaufman & Broad.]