Jules Ferry frappé par la différence de ce qui était au sud de la Garonne

- Tederic Merger

Je l’avais déjà lu dans "Composition française" de Mona Ozouf, et signalé sur quelque site gascon...
Mona Ozouf, invitée au "matin" de France Culture le 07.04.2014, l’a redit :
"[Jules Ferry] a la sensibilité des paysages... mais la France lui parait faite d’une seule étoffe... y a juste la petite frange du Sud de la Garonne qui est un peu une autre France, une quasi-Espagne, exubérante, où il ne reconnait pas le tempérament français"
http://www.franceculture.fr/player/reecouter?play=4829078 (à partir de la minute 5:30)

Grans de sau

  • Oui, même si le constat n’est plus tout à fait le même du fait de la francisation (des gens mais aussi des paysages, avec la disparition massive des maisons vasconnes un peu partout et l’imposition dans nos paysages des odieuses églises du 19ème siècle), il reste pour qui a voyagé en France, dont en Gascogne, un vrai exotisme gascon, quelque chose qui nous rapproche de l’Espagne dans l’ampleur des horizons, qu’ils soient landais ou pyrénéens, un quelque chose qui s’éloigne irrémédiablement de la petite préciosité française, les maisons du Val de Loire si propres, si rangées, si chiantes.

    Les clochers-murs loufoques, la teinte de la garluche ou de la pierre ocre, les villages immaculés des Pyrénées, les airiaux landais, ... Tout ceci est formidablement varié, étrange dans un contexte uniforme français. La France est belle, elle n’est pas la première destination touristique au monde pour rien, mais c’est un paysage anthropisé à outrance, dressé, ordonné, classique, un jardin à la française, oui.

    La Gascogne est plus folle, à tout le moins celle que je fantasme, celle qui au détour d’un chemin de crête me jette à la gueule des façades sous pignon en torchis ou des toits complètement exubérants béarnais couverts de tuiles picous rousses, la Gascogne des étendues désertes avec des coton-tiges à l’horizon (le pin maritime isolé est le plus bel arbre au monde), celle des anciens plateaux à ovins écrasés par la barrière des montagnes en Lannemezan ou sur le plateau de Ger, ...

    On s’emmerde en France. Même dans cette France qui nous est si proche, le Périgord, le Quercy, tout ceci est beau mais compassé, viollet-le-duquisé, un peu terne, et foncièrement mortifère en hiver.

    Loin de moi l’idée de faire du chauvinisme, car on retourne aisément les qualités : la Gascogne est parfois pouilleuse, trop large, suffocante. Les vallées dissymétriques de l’Astarac ou les plaines des gaves sont trop vastes, elles n’ont pas le charme du Sarladais. La lande est mortifère par endroits. Nos paysages sont foutraques, difficiles à lire en comparaison de la netteté des lignes française. Mais voilà, l’âme qui se dégage encore, partiellement, très partiellement, n’est pas française.

  • Pas mal, cette synthèse.

    Voyons la vision d’un "Guyennais" (moi-même) : la Gascogne que je connais est assez angoissante. Sitôt traversé les Graves perpendiculairement à la Garonne, on arrive dans un paysage très différent où ça manque de larges panoramas ouverts. Il y a quelque chose de sombre, même dans les maisons. Bref, je ne me sens plus chez moi ! (Mais j’aime aussi, dans une certaine mesure)

  • Je n’ai pas bien compris Gaby, tu parles du passage des Graves vers la lande ou du passage des Graves vers la rive droite de la Garonne ?

    Dans les deux cas, il y a des ruptures paysagères nettes, c’est clair. C’est le charme des Graves d’ailleurs de n’être ni l’un ni l’autre.

  • Vers la lande, bien sûr.

    Il y a une continuité pédogéologique et d’occupation des sols entre Graves et Côtes de Bordeaux.

  • "Notre" explorateur David MacAninch [1] cite l’historien Weber qui cite le récit d’un visiteur britannique aux franges occidentales de la Gascogne dans les années 1860 :
    Les gens, là, écrit le visiteur, « vivent sur le sol français, mais ne peuvent être appelés français. Ils parlent un langage aussi inintelligible par un français que par un anglais ; ils n’ont aucune des caractéristiques nationales - little, perhaps, of the national blood [2] »

    David MacAninch re-cite Weber quand ce dernier met au compte de "l’insularité du sud-ouest de la France" l’absence de pont sur Garonne entre Bordeaux et Toulouse jusqu’à la moitié du 19e siècle.
    Puis il se dit fasciné par le fait que malgré cette différence initiale, les gascons soient devenus des français modèles though they remain quite happily a nation unto themselves in certain ways [à vous de traduire !].

    [1David MacAninch, "Duck season", chapitre « Aux Armes, Citoyens »

    [2« peu de choses, peut-être, du sang national » - je ne suis pas sûr de ma traduction

  • " que malgré cette différence initiale, les gascons soient devenus des français modèles though they remain a nation unto themselves in certain ways"
    Ce "in certain ways " est très bien trouvé mais je me demande,en lien avec le fil concernant l’appellation "Sud Ouest" si depuis le début du XXè siècle ,en gros, cette "nation unto ourselves" n’est pas plus vécue sur le mode englobant"Sud Ouest" que sur le mode gascon stricto-sensu. Notre défi est de faire reconnaitre ( connaitre à nouveau) la gasconnité à l’intérieur de ce sentiment SO indéniable ,sans totalement répudier celui-ci ,qui a sa légitimité dans pas mal de domaines .D’où notre intérêt pour une union Aquitaine-Midi Pyrénées comme alternative à celle d’une Aquitaine-Gascogne également envisageable.

  • =) 6
    Si le RIC (référendum d’initiative citoyenne) voit le jour et si les modalités du RIC le permettent, cela pourrait être un sujet de consultation des citoyens à l’initiative des citoyens :
    Est ce que vous souhaitez une région Aquitaine-Midi-Pyrénées plutôt qu’une région occitanie et nouvelle aquitaine...
    Mais je n’y crois que très très peu. Mais sait-on jamais ?

    • Il y a plusieurs dizaines d’années, je devais écouter la radio suisse romande, pour avoir assisté de loin à la lutte, finalement victorieuse, pour la création du canton du Jura.
      Je vais vous raconter de mémoire, sans vérifications Wikipédia, donc il y aura peut-être des erreurs :
       Le canton de Berne, majoritairement alémanique, comprenait une partie jurassienne, francophone (peut-être autour de La Chaux de Fonds).
       Le Rassemblement Jurassien luttait pour la création d’un canton du Jura, donc pour la séparation d’avec Berne.
       Mais une zone francophone intermédiaire entre le Jura et la partie bernoise alémanique hésitait entre rejoindre un nouveau canton du Jura ou rester dans le canton de Berne. Le mouvement qui exprimait le désir de ces francophones de rester dans le canton de Berne s’appelait, si je me rappelle bien, Force démocratique.
       Le débat a été houleux, mais à ma connaissance sans violence.
       Il y a eu un ou plusieurs référendums aboutissant à la création du canton du Jura ; mais la zone intermédiaire francophone est restée dans le canton de Berne.

      Pour moi, c’est un modèle de prise en compte démocratique d’une volonté séparatiste, mais avec correction du périmètre à séparer, pour tenir compte d’une volonté contraire dans une partie du périmètre initial*.

      Hélas, la Gascogne n’est pas en Suisse !

      *Dans le contexte bien différent de la Catalogne séparatiste de 2017-2018, l’idée est aussi apparue - mais s’est limitée à une boutade polémique (la Tabarnia) - de séparer une zone catalane fidèle à l’Espagne du reste de la Catalogne qui serait devenu indépendant.

  • Après avoir poursuivi mes observations sur une zone dépassant le Bordelais (quand même !), je remarque que les paysages sont très similaires entre l’Armagnac et l’Angoumois ou le terrefort haut-agenais, par exemple. Il n’y a pas de limite paysagère entre Gascogne et extérieur, pour moi il y a
    1- la Gascogne hyper typique que décrit Vincent et qui est un pays d’élevage sur sols majoritairement pauvres (basco-landaise d’une part avec ses maisons vasconnes, pyrénéenne d’autre part avec ses toits d’ardoises et de tuiles plates)
    2- une ceinture agricole sur sols fertiles transcendant les frontières gasconnes (Aunis, une partie du Poitou, Saintonge, Angoumois, Riberacois, Bergeracois, un peu le Périgord central, Agenais, Bordelais, Bazadais, Armagnac, Lomagne, Bas Quercy, pays toulousain, piémont des Pyrénées centrales, Albigeois, Lauragais) avec petites maisons rectangulaires à tuiles canal
    3- l’uniformité du bassin parisien, et d’autre part les hautes terres pauvres du massif central commençant dès le Confolentais, le Sarladais ou le Haut Quercy. Dans les deux cas disparition de la tuile canal.

    • A chaque fois qu’on cherche à montrer la différence gasconne selon un critère autre que la langue (ici le paysage), on est confronté à de grosses difficultés : les limites paysagères, architecturales, culinaires, ethnologiques... ne vont jamais correspondre avec les limites linguistiques, et ces dernières sont les seules à bien définir la Gascogne selon moi.
      Il y a un monde entre les Landes géographiques et les costalats, et ces derniers, quand ils sont gascons, ressemblent plus à des costalats du Quercy ou de l’Angoumois qu’au massif landais !
      Mais on parlait à peu près pareil dans les costalats gascons et dans les Landes, et ça veut dire beaucoup, ça veut dire une histoire commune, une histoire millénaire peut-être.

      Animacion Gasconha
      Tederic M.

      Enfin, une petite correction : nous savons que la maison vasconne a pu se diffuser (ou a préexisté) dans des pays de costalats (Bazadais sud de Garonne, Queyran, Lomagne, Armagnac...) même si parfois elle y a été supplantée par d’autres modèles.


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