Christian Millau, l’un des auteurs du "Gault et Millau", a écrit en 2006 "Dieu est-il gascon ?" (aux Editions du Rocher).
En voici quelques extraits commentés :
D’abord sur le cadrage gascon (Millau n’est pas gascon d’origine) :
"Mais la Gascogne est mon pays.
Je n’y ai pas de maison, aucune terre, pas même un bout de vigne entre Mouton-Rothschild et Lafitte, ni de truffière à Sarlat, de palombière dans les Landes, de chasse en Béarn, de studio à Saint Jean de Luz ou de caveau à Arcangues, entre Luis Mariano et les amoureux qui se bécotent sur les bancs du plus aimable cimetière du monde."
On remarque que Millau voit la Gascogne en très grand : il y inclut le Périgord, le Quercy et le Pays basque.
Mais pas Poitou-Charentes, le Limousin ni l’Auvergne, dit-il ailleurs.
Alors, quels critères pour la frontière ? Le Périgord gascon de Christian Millau s’arrête-t-il au terroir truffier ?
Il se protège à l’avance de ce genre d’objections :
"J’ai renoncé à la trouver [la Gascogne] sur les cartes de géographie et dans les livres d’histoire. Je vous conseille d’en faire autant, car c’est un casse-tête inextricable et sans espoir."
"Le gascon est une langue. Une langue romane.
Alors, si l’on pense que la langue est un pays, on s’en tire sans trop de mal.
Puisque l’on parle occitan dans la presque totalité du Bassin aquitain - pays basque excepté - que l’on soit dans le Bordelais, dans les Landes, en Armagnac, en Chalosse, au Béarn, en Bigorre, en Albret, en Ariège, à Auch, à Lourdes ou à Toulouse, on est gascon."
La démonstration n’est pas sans faille (l’occitan ne s’arrête pas au bassin aquitain...), mès rai ("mais bon"), la conclusion est sympathique.
Et pour en finir :
"Puisque la Gascogne est un pays imaginaire, j’y ai fait entrer tout ce qui me paraissait le mériter."
Ah, lavetz... vist atau...
Une fois ce cadre défini, venons-en à l’essentiel.
Et l’essentiel, pour Millau, c’est le luxe, mais dans une conception renouvelée.
Il cite Coco Chanel :
"Certains croient que le luxe est le contraire de la pauvreté, alors que c’est le contraire de la vulgarité".
Et il continue :
"Et si le vrai luxe avait tout simplement changé de cap ?
Je sais à présent où le trouver : dans quelques campagnes où la simplicité, la générosité et la pureté font encore barrage à ce faux luxe insupportable.
Une salade de haricots verts du jardin, un confit sorti de la cave ou un chou farci, rencontrés au hasard d’une ferme, d’une maison noble ou d’un bistrot de village, sont pour moi les derniers refuges de ce vrai luxe qui est en train de nous échapper."
On comprend donc que pour Millau, la Gascogne est une terre d’élection du "vrai luxe", le luxe qui ne s’achète pas, mais se crée par le travail, le goût, la maturation lente, la transmission d’une génération à l’autre, et se partage entre amis, ou dans une relation d’hospitalité.
A propos de travail, Millau explique celui nécessaire à la fabrication d’une bonne tourtière : les longues heures passées en cuisine par les femmes gasconnes anonymes et modestes (au contraire de leur mari restaurateur qui se pavane en salle), pour obtenir une pâte fine comme du papier à cigarette :
"S’il existe encore une demi-douzaine de vaillantes à se décarcasser de la sorte, c’est tout le bout du monde. La bonne idée serait d’installer en Gascogne quelques cuisinières de Marrakech que ce travail ne découragera pas".
Eh bien, Christian Millau, j’ai une bonne nouvelle : les cuisinières de Marrakech sont là ! Elles sont arrivées en Gascogne, j’en vois dans les cités de la fertile vallée de la Garonne, où leurs maris sont venus travailler la terre.
Elles n’ont pas encore appris la recette de la tourtière, mais nous sommes là pour servir de passeurs !-)
On peut donc partager l’espoir de l’auteur :
"Il n’est pas insensé de penser que l’on peut, si peu que ce soit, contribuer à métamorphoser un déclin en nouvelle chance, et n’est-ce pas encourager l’avenir que de se souvenir d’un passé encore proche ?"
C’est bien l’esprit "Gasconha".
Bravo, Osca, Aupa !