[Quelques caractères bizarres résiduels témoignent d’une récupération difficile de ce texte.
Tederic lo recaptaire ("lou récataÿre" = le récupérateur)]
Adixat monde,
Chez les défenseurs des "langues régionales", il n'est pas rare de faire du
"jacobinisme" le responsable de la disparition de ces langues au profit du
seul français. Mais j'ai aussi entendu de la bouche d'un haut fonctionnaire
qui avait à connaitre de nos langues que pour l'occitan, c'était le
jacobinisme transporté dans le Midi.
Comme on ne traite bien les problèmes qu'après les avoir soigneusement
analysés, il m'a paru utile de mettre un peu de clarté sur ce sujet.
Et d'abord, qu'est-ce que le jacobinisme ? Sans aller plus loin, voici ce qu'en disent mes deux plus gros dictionnaires :
- le Robert - Dictionnnaire historique de la langue française d'Alain Rey :
« JACOBIN, INE adj. et n. est dérivé (1254) du bas latin Jacobus « Jacques », prénom d'origine hébraïque (Æ jacques), avec le suffixe -in ; le latin médiéval emploie jacobinus (v. 1250). Le mot a longtemps désigné les dominicains et dominicaines [Š] Passé dans le vocabulaire politique pendant la Révolution (1790), le mot désignait le membre d’un club, la Société des amis de la Constitution, qui tenait ses séances dans le réfectoire de l’ancien couvent dominicain de la rue Saint-Honoré. En ce sens, il a été adjectivé (1790). Par référence à l’intransigeance politique des Jacobins, hostiles aux idées fédéralistes des Girondins, le nom (1797) et l’adjectif (1830, Stendhal) s’appliquent à un homme politique hostile à toute idée d’affaiblissement et de démembrement de l’État. Les dérivés concernent la vie politique révolutionnaire. Certains mots, comme JACOBINISME n. m. (1791), terme d’histoire révolutionnaire et, par extension, de politique (1839), se sont implantés. La plupart, de JACOBINERIE n. f. (1793) à JACOBINADE n. f. et JACOBINIQUE adj., péjoratifs, sont sortis d’usage.
– le Larousse en 3 volumes :
1. jacobin, e n. Nom longtemps donné en France aux religieux et religieuses de Saint-Dominique [Š] Le couvent des dominicains de la rue Saint-Honoré (1611) devint le siège du fameux club des Jacobins* en 1789 [Š].
2. jacobin, e n. Nom commun à divers oiseaux [Š].
3. jacobin n. m. Hist. Membre du club des Jacobins*, constitué en 1789. || Partisan ardent de la démocratie. || ‹ jacobin, e adj. Qui appartient au club ou au parti des Jacobins. || Qui a les caractères du jacobinisme. ® jacobinisme n. m Doctrine des Jacobins. || Opinion démocratique intransigeante. Jacobins (CLUB DES), société politique sous la Révolution française (1789-1799). Le club fut formé à Versailles, en 1789, par quelques constituants bretons (Lanjuinais, Le Chapelier). Il prit le nom de « Société des amis de la Constitution » et s’installa à Paris dans le réfectoire de l’ancien couvent dominicain de la rue Saint-Honoré. Ouvert à tous moyennant une cotisation assez élevée, le club fut d’abord modéré, puis, après la scission des Feuillants (La Fayette, Barnave, Sieyès), devint, sous l’influence de Robespierre et de Pétion, l’organe directeur de la Montagne*, (qui y préparait les séances de la Convention. Il soutint jusqu’au bout Robespierre, fut fermé après Thermidor (11 nov. 1794) et ressuscita avec Gracchus Babeuf sous le nom de « Société des amis de la République » ou « club du Panthéon » (1795). Dissous en 1796, reconstitué, sous le nom de « Société des amis de la Liberté et de l’Egalité », le club fut fermé définitivement le 13 août 1799.
Manifestement, les lexicographes français ignorent l’usage régionaliste contemporain : jacobin et jacobinisme renvoient à l’époque révolutionnaire ; quant au sens, j’en retiens surtout ce qu’en dit A. Rey : le jacobin est « hostile à toute idée d’affaiblissement et de démembrement de l’État », donc partisan d’un État fort et centralisé ; avec entre autres conséquences le besoin d’une langue unique pour l’administration de l’État et de ses organes déconcentrés, voire décentralisés et la nécessité d’enseigner cette langue au plus grand nombre pour qu’ils puissent exercer pleinement leurs droits de citoyens de cet État. Je ne pense pas que cette analyse nous mène bien loin du sens que donnent au mot ceux qui l’emploient dans le discours régionaliste.
Cette question de sémantique réglée, j’en viens à la question qui sert de titre à ce message : Le "jacobinisme" : une spécialité française ? On lui oppose en effet le fédéralisme de l’Italie ou de l’Allemagne, voire de la Suisse, tellement plus ancien, ou encore le régime mixte de l’Espagne, État unitaire qui, depuis quelques années, reconnait néanmoins à ses régions une certaine autonomie.
Or ces États n’ont pas une histoire comparable à celle de la France : l’Espagne mise à part, aucun n’a vu émerger une province dotée d’un pouvoir fort qui lui eût permis de s’imposer aux autres par son prestige, sa richesse et sa puissance militaire ; leur unité fut le résultat de compromis entre les représentants des provinces à unir, même pour l’Allemagne dont le Roi de Prusse venait de battre la France en 1871. Quant à l’Espagne, née de la Reconquista autour du Royaume de Castille finalement uni à celui d’Aragon (qui incluait la Catalogne), elle fut avant tout castillane ; c’est l’après-franquisme qui a obligé le pouvoir central à composer avec les provinces, surtout la Catalogne et les provinces basques, qui n’avaient pas oublié leur rôle dans la République et la guerre civile de 1936-39.
Or la France s’est formée autour de Paris, siège des Capétiens depuis 987. Et ces Capétiens étaient une dynastie franque, qui succédait aux Carolingiens, eux-mêmes substitués aux Mérovingiens, héritiers de Clovis. Comment donc des dynasties franques avaient-elles pu établir un pouvoir fort et centralisé, alors que les Germains d’Allemagne resteraient divisés en provinces puissantes et mal contrôlées par un Empereur élu ? Sans être historien, je ne pense pas que ce fut en raison des qualités ou défauts particuliers des Francs, encore moins des Gallo-romains auxquels ils s’étaient imposés politiquement, tout en adoptant leur langue romane.
Je vois en tout cela le modèle de l’Empire romain, même si celui d’Occident avait disparu en 476 : Clovis était Patrice de Rome, et était appuyé par l’Église, seule institution assurant une continuité de l’organisation politique. Même si le territoire qui lui était soumis directement était peu étendu, le Roi continuait Rome et son organisation centralisée. Charlemagne devait continuer sur cette voie, et se faisait même couronner Empereur à Rome en 800, tout le monde s’en souvient. Ce sont les partages successoraux qui ont divisé cet empire unitaire, et seul le petit royaume de France a pu conserver un pouvoir centralisé, pour restreint que fût d’abord le domaine où il s’exerçait effectivement ; mais son habileté réussit à étendre progressivement ce domaine, et à vaincre ses concurrents, comme le furent les rois d’Angleterre, prétendant non sans raisons juridiques à la couronne de France, ou les ducs de Bourgogne.
On a donc ce modèle romain, toujours présent par la langue latine, langue de culture et de prestige, et par l’Église, continuatrice de la romanité à bien des égards. Mais avant Rome, il y avait eu de très puissants empires centralisés. Le plus connu est sans doute celui d’Égypte, qui servit de modèle à Rome : n’oublions pas la liaison de César avec Cléopâtre. Or cet empire était déjà depuis trois siècles colonisé par les Grecs, les Ptolémée descendants d’un général d’Alexandre qui avait conduit ses troupes macédoniennes et grecques jusqu’à l’Indus. Et on ne saurait oublier l’empire assyrien ni l’empire perse, ni plus loin celui du Milieu, très centralisés eux aussi.
Et les langues, dans ces empires, qu’en était-il ? Sauf erreur de ma part, le pouvoir et l’administration avaient une langue unique, indispensable pour faire carrière, et même pour commercer à travers l’empire : akkadien à Babylone, parsi en Perse, "mandarin" en Chine, grec dans l’empire d’Alexandre, latin à Rome. Quant à l’Égypte, les Ptolémée lui avaient finalement imposé le grec, cette koinè [(langue) commune] de l’Orient méditerranéen, au moins dans la haute administration ; n’oublions pas que c’est en grec que les Juifs d’Alexandrie traduisirent la Bible qui ne leur était plus accessible en hébreu ; et c’est la version grecque de la Pierre de Rosette qui a mis Champollion sur la voie de l’intelligence des hiéroglyphes. Il est d’ailleurs très probable que c’est en grec que conversaient César et Cléopâtre. Plus tard, la conquête arabe du pourtour Sud de la Méditerranée et de l’Espagne répandrait semblablement l’arabe, au point même que des chrétiens d’Espagne en vinrent à rejeter le latin pour lui préférer la nouvelle langue de culture.
Il était donc normal que les élites de la Gaule vaincue se soient mises au latin des vainqueurs, de telle sorte que le grammairien occitan Alibert a pu écrire « Il semble que, vers le IIIème siècle après Jésus Christ, les anciennes langues avaient totalement disparu. Elles ne pouvaient pas lutter avantageusement avec la langue de Rome, instrument d’une civilisation et d’un état social supérieurs à ceux de notre pays. » (Gramatica occitana, XXII). À cela devait s’ajouter ensuite ce qu’on a appelé la seconde romanisation du fait de la christianisation par l’Église de Rome.
Notre langue gasconne est donc la langue des conquérants Romains apprise par nos ancêtres les Aquitains, mais marquée par des traits phonétiques particuliers issues probablement de l’aquitain primitif ; qu’on le veuille ou non, elle est donc le résultat d’une conquête par un État puissant et centralisé qui avait une langue de pouvoir unifiée qui, même altérée, a évincé la langue autochtone.
Et s’il y a eu un Club des Jacobins, ce ne sont pas des Parisiens qui l’ont fondé, mais des Constituants bretons, sans doute plus soucieux d’éliminer les nobles (pensons à la malheureuse duchesse de Lamballe, fief breton) que de préserver la langue bretonne ; et c’est un Bigourdan, le Conventionnel Barère de Vieuzac, qui a écrit le fameux rapport du Comité du Salut public à la Convention, du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) : « le fédéralisme et la superstition parlent bas breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque.
Première conclusion : imputer au jacobinisme français la disparition des langues régionales dénote une méconnaissance de la problématique des langues de pouvoir à travers le monde et les époques, de telle sorte que se polariser sur son rejet ne permettra en rien la revitalisation des langues régionales.
Seconde conclusion, qui en est le corollaire : si par impossible étaient réunies les conditions politiques d’une indépendance gasconne ou occitane, le pourvoir n’y pourrait s’exercer que dans une langue gasconne ou occitane unifiée.
Il est donc logique que les occitanistes militent pour un occitan unique d’une Occitanie indépendante ; mais les Gascons qui adhèrent à cette idéologie doivent se rendre compte qu’elle éliminera ce qui pourra rester de gascon. Et il est logique que les gasconistes qui militent pour une Gascogne indépendante veuillent aussi instaurer un gascon standard ; mais ceux d’entre eux qui croient pouvoir sauvegarder toutes les variétés du gascon de jadis, surtout celles qui n’ont pas laissé d’écrits, sont dans une totale illusion.
Ne reste pour sauvegarder la variété des parlers que l’option proprement culturelle : cultiver tel ou tel de ces parlers pour son plaisir personnel, pourvu qu’on trouve quelques amis pour le partager et autant que possible des écrits pour le transmettre à coup sûr.
Siat valents !
J.L.
Jacobinisme - suite lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-08 n° 7691]