Le "jacobinisme" : une spécialité française ? lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-03 n° 7640]

- Jean Lafitte

[Quelques caractères bizarres résiduels témoignent d’une récupération difficile de ce texte.
Tederic lo recaptaire ("lou récataÿre" = le récupérateur)]

Adixat monde,

Chez les défenseurs des "langues régionales", il n'est pas rare de faire du
"jacobinisme" le responsable de la disparition de ces langues au profit du
seul français. Mais j'ai aussi entendu de la bouche d'un haut fonctionnaire
qui avait à connaitre de nos langues que pour l'occitan, c'était le
jacobinisme transporté dans le Midi.
Comme on ne traite bien les problèmes qu'après les avoir soigneusement
analysés, il m'a paru utile de mettre un peu de clarté sur ce sujet.

Et d'abord, qu'est-ce que le jacobinisme ? Sans aller plus loin, voici ce qu'en disent mes deux plus gros dictionnaires :

­- le Robert - Dictionnnaire historique de la langue française d'Alain Rey :

« JACOBIN, INE adj. et n. est dérivé (1254) du bas latin Jacobus « Jacques », prénom d'origine hébraïque (Æ jacques), avec le suffixe -in ; le latin médiéval emploie jacobinus (v. 1250). Le mot a longtemps désigné les dominicains et dominicaines [Š] Passé dans le vocabulaire politique pendant la Révolution (1790), le mot désignait le membre d’un club, la Société des amis de la Constitution, qui tenait ses séances dans le réfectoire de l’ancien couvent dominicain de la rue Saint-Honoré. En ce sens, il a été adjectivé (1790). Par référence à l’intransigeance politique des Jacobins, hostiles aux idées fédéralistes des Girondins, le nom (1797) et l’adjectif (1830, Stendhal) s’appliquent à un homme politique hostile à toute idée d’affaiblissement et de démembrement de l’État. Les dérivés concernent la vie politique révolutionnaire. Certains mots, comme JACOBINISME n. m. (1791), terme d’histoire révolutionnaire et, par extension, de politique (1839), se sont implantés. La plupart, de JACOBINERIE n. f. (1793) à JACOBINADE n. f. et JACOBINIQUE adj., péjoratifs, sont sortis d’usage.

  le Larousse en 3 volumes :

 
1. jacobin, e n. Nom longtemps donné en France aux religieux et religieuses de Saint-Dominique [Š] Le couvent des dominicains de la rue Saint-Honoré (1611) devint le siège du fameux club des Jacobins* en 1789 [Š].
2. jacobin, e n. Nom commun à divers oiseaux [Š].
3. jacobin n. m. Hist. Membre du club des Jacobins*, constitué en 1789. || Partisan ardent de la démocratie. || ‹ jacobin, e adj. Qui appartient au club ou au parti des Jacobins. || Qui a les caractères du jacobinisme. ® jacobinisme n. m Doctrine des Jacobins. || Opinion démocratique intransigeante. Jacobins (CLUB DES), société politique sous la Révolution française (1789-1799). Le club fut formé à Versailles, en 1789, par quelques constituants bretons (Lanjuinais, Le Chapelier). Il prit le nom de « Société des amis de la Constitution » et s’installa à Paris dans le réfectoire de l’ancien couvent dominicain de la rue Saint-Honoré. Ouvert à tous moyennant une cotisation assez élevée, le club fut d’abord modéré, puis, après la scission des Feuillants (La Fayette, Barnave, Sieyès), devint, sous l’influence de Robespierre et de Pétion, l’organe directeur de la Montagne*, (qui y préparait les séances de la Convention. Il soutint jusqu’au bout Robespierre, fut fermé après Thermidor (11 nov. 1794) et ressuscita avec Gracchus Babeuf sous le nom de « Société des amis de la République » ou « club du Panthéon » (1795). Dissous en 1796, reconstitué, sous le nom de « Société des amis de la Liberté et de l’Egalité », le club fut fermé définitivement le 13 août 1799.

Manifestement, les lexicographes français ignorent l’usage régionaliste contemporain : jacobin et jacobinisme renvoient à l’époque révolutionnaire ; quant au sens, j’en retiens surtout ce qu’en dit A. Rey : le jacobin est « hostile à toute idée d’affaiblissement et de démembrement de l’État », donc partisan d’un État fort et centralisé ; avec entre autres conséquences le besoin d’une langue unique pour l’administration de l’État et de ses organes déconcentrés, voire décentralisés et la nécessité d’enseigner cette langue au plus grand nombre pour qu’ils puissent exercer pleinement leurs droits de citoyens de cet État. Je ne pense pas que cette analyse nous mène bien loin du sens que donnent au mot ceux qui l’emploient dans le discours régionaliste.

Cette question de sémantique réglée, j’en viens à la question qui sert de titre à ce message : Le "jacobinisme" : une spécialité française ? On lui oppose en effet le fédéralisme de l’Italie ou de l’Allemagne, voire de la Suisse, tellement plus ancien, ou encore le régime mixte de l’Espagne, État unitaire qui, depuis quelques années, reconnait néanmoins à ses régions une certaine autonomie.

Or ces États n’ont pas une histoire comparable à celle de la France : l’Espagne mise à part, aucun n’a vu émerger une province dotée d’un pouvoir fort qui lui eût permis de s’imposer aux autres par son prestige, sa richesse et sa puissance militaire ; leur unité fut le résultat de compromis entre les représentants des provinces à unir, même pour l’Allemagne dont le Roi de Prusse venait de battre la France en 1871. Quant à l’Espagne, née de la Reconquista autour du Royaume de Castille finalement uni à celui d’Aragon (qui incluait la Catalogne), elle fut avant tout castillane ; c’est l’après-franquisme qui a obligé le pouvoir central à composer avec les provinces, surtout la Catalogne et les provinces basques, qui n’avaient pas oublié leur rôle dans la République et la guerre civile de 1936-39.

Or la France s’est formée autour de Paris, siège des Capétiens depuis 987. Et ces Capétiens étaient une dynastie franque, qui succédait aux Carolingiens, eux-mêmes substitués aux Mérovingiens, héritiers de Clovis. Comment donc des dynasties franques avaient-elles pu établir un pouvoir fort et centralisé, alors que les Germains d’Allemagne resteraient divisés en provinces puissantes et mal contrôlées par un Empereur élu ? Sans être historien, je ne pense pas que ce fut en raison des qualités ou défauts particuliers des Francs, encore moins des Gallo-romains auxquels ils s’étaient imposés politiquement, tout en adoptant leur langue romane.
Je vois en tout cela le modèle de l’Empire romain, même si celui d’Occident avait disparu en 476 : Clovis était Patrice de Rome, et était appuyé par l’Église, seule institution assurant une continuité de l’organisation politique. Même si le territoire qui lui était soumis directement était peu étendu, le Roi continuait Rome et son organisation centralisée. Charlemagne devait continuer sur cette voie, et se faisait même couronner Empereur à Rome en 800, tout le monde s’en souvient. Ce sont les partages successoraux qui ont divisé cet empire unitaire, et seul le petit royaume de France a pu conserver un pouvoir centralisé, pour restreint que fût d’abord le domaine où il s’exerçait effectivement ; mais son habileté réussit à étendre progressivement ce domaine, et à vaincre ses concurrents, comme le furent les rois d’Angleterre, prétendant non sans raisons juridiques à la couronne de France, ou les ducs de Bourgogne.
On a donc ce modèle romain, toujours présent par la langue latine, langue de culture et de prestige, et par l’Église, continuatrice de la romanité à bien des égards. Mais avant Rome, il y avait eu de très puissants empires centralisés. Le plus connu est sans doute celui d’Égypte, qui servit de modèle à Rome : n’oublions pas la liaison de César avec Cléopâtre. Or cet empire était déjà depuis trois siècles colonisé par les Grecs, les Ptolémée descendants d’un général d’Alexandre qui avait conduit ses troupes macédoniennes et grecques jusqu’à l’Indus. Et on ne saurait oublier l’empire assyrien ni l’empire perse, ni plus loin celui du Milieu, très centralisés eux aussi.
Et les langues, dans ces empires, qu’en était-il ? Sauf erreur de ma part, le pouvoir et l’administration avaient une langue unique, indispensable pour faire carrière, et même pour commercer à travers l’empire : akkadien à Babylone, parsi en Perse, "mandarin" en Chine, grec dans l’empire d’Alexandre, latin à Rome. Quant à l’Égypte, les Ptolémée lui avaient finalement imposé le grec, cette koinè [(langue) commune] de l’Orient méditerranéen, au moins dans la haute administration ; n’oublions pas que c’est en grec que les Juifs d’Alexandrie traduisirent la Bible qui ne leur était plus accessible en hébreu ; et c’est la version grecque de la Pierre de Rosette qui a mis Champollion sur la voie de l’intelligence des hiéroglyphes. Il est d’ailleurs très probable que c’est en grec que conversaient César et Cléopâtre. Plus tard, la conquête arabe du pourtour Sud de la Méditerranée et de l’Espagne répandrait semblablement l’arabe, au point même que des chrétiens d’Espagne en vinrent à rejeter le latin pour lui préférer la nouvelle langue de culture.
Il était donc normal que les élites de la Gaule vaincue se soient mises au latin des vainqueurs, de telle sorte que le grammairien occitan Alibert a pu écrire « Il semble que, vers le IIIème siècle après Jésus Christ, les anciennes langues avaient totalement disparu. Elles ne pouvaient pas lutter avantageusement avec la langue de Rome, instrument d’une civilisation et d’un état social supérieurs à ceux de notre pays. » (Gramatica occitana, XXII). À cela devait s’ajouter ensuite ce qu’on a appelé la seconde romanisation du fait de la christianisation par l’Église de Rome.

Notre langue gasconne est donc la langue des conquérants Romains apprise par nos ancêtres les Aquitains, mais marquée par des traits phonétiques particuliers issues probablement de l’aquitain primitif ; qu’on le veuille ou non, elle est donc le résultat d’une conquête par un État puissant et centralisé qui avait une langue de pouvoir unifiée qui, même altérée, a évincé la langue autochtone.
Et s’il y a eu un Club des Jacobins, ce ne sont pas des Parisiens qui l’ont fondé, mais des Constituants bretons, sans doute plus soucieux d’éliminer les nobles (pensons à la malheureuse duchesse de Lamballe, fief breton) que de préserver la langue bretonne ; et c’est un Bigourdan, le Conventionnel Barère de Vieuzac, qui a écrit le fameux rapport du Comité du Salut public à la Convention, du 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) : « le fédéralisme et la superstition parlent bas breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle basque.

Première conclusion : imputer au jacobinisme français la disparition des langues régionales dénote une méconnaissance de la problématique des langues de pouvoir à travers le monde et les époques, de telle sorte que se polariser sur son rejet ne permettra en rien la revitalisation des langues régionales.

Seconde conclusion, qui en est le corollaire : si par impossible étaient réunies les conditions politiques d’une indépendance gasconne ou occitane, le pourvoir n’y pourrait s’exercer que dans une langue gasconne ou occitane unifiée.
Il est donc logique que les occitanistes militent pour un occitan unique d’une Occitanie indépendante ; mais les Gascons qui adhèrent à cette idéologie doivent se rendre compte qu’elle éliminera ce qui pourra rester de gascon. Et il est logique que les gasconistes qui militent pour une Gascogne indépendante veuillent aussi instaurer un gascon standard ; mais ceux d’entre eux qui croient pouvoir sauvegarder toutes les variétés du gascon de jadis, surtout celles qui n’ont pas laissé d’écrits, sont dans une totale illusion.

Ne reste pour sauvegarder la variété des parlers que l’option proprement culturelle : cultiver tel ou tel de ces parlers pour son plaisir personnel, pourvu qu’on trouve quelques amis pour le partager et autant que possible des écrits pour le transmettre à coup sûr.

Siat valents !
J.L.

Jacobinisme - suite lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-08 n° 7691]

Voir en ligne : Aunor a Jean Lafitte (Ràdio País)

Grans de sau

  • Bonjour à tous,

    J'ai lu et relu la longue intervention de Jean qui va, je pense susciter un débat passionné.
    Pour ma part, si j'en croyais les dictionnaires, je devrais me classer parmi les jacobins. Je suis, en effet "hostile à toute idée d'affaiblissement et de démembrement de l’État" et "partisan ardent de la démocratie". Ce n’est pas pour autant que je défends le "Centralisme démocratique" ni d’ailleurs quelque centralisme que ce soit. La décentralisation, bien pensée, me semble une chose indispensable, à tous les niveaux, dans nos États modernes.
    Le tout est de ne pas s’en servir comme l’a fait récemment un premier ministre pour décharger l’État de ses charges financières sans diminuer pour autant l’impôt (direct et indirect). L’augmentation des impôts locaux que nous allons voir arriver en 2008 sera la preuve du manque de préparation de cette réforme libérale qui a pour but principal d’affaiblir l’État (avec pour leitmotiv : "Trop d’État tue l’État").
    Mais on l’a vu, cet affaiblissement n’a en rien amélioré le statut des langues régionales, ni de leur enseignement. Au contraire, on voit le bouffon qui se dit Ministre de l’Éducation Nationale s’occuper uniquement de pédagogie de l’enseignement du français. Après les bienfaits de la dictée, les méfaits de la méthode globale d’apprentissage de la lecture, le voilà-t-il pas qui s’attaque à l’enseignement de la grammaire. Vivement mai 2007 !
    Le fédéralisme, de nos jours, ne parle plus le bas breton mais l’européen ! C’est bien vers une Europe fédérale que l’on nous mène avec une série d’euro-régions transfontalières. Or cet "européen" ne sera jamais, je le redoute, le français ; ni d’ailleurs le gascon ou toute autre langue occitane, à plus forte raison une langue régionale quelconque.
    J’ai toujours en tête une réunion professionnelle où tout le monde comprenait le français et qu’un Belge se refusant à s’exprimer dans la langue des wallons nous a obligé de tenir en anglais ! J’ai, partout où je me suis rendu dans le monde toujours utilisé cette langue et il faudra se faire une raison c’est bien elle qui deviendra la langue dominante. Pour les gascons ce ne sera qu’un retour aux sources, nos ancêtres ont du la bredouiller lorsqu’ils étaient sous domination anglaise.
    A donc, me voici obligé d’être en accord avec Jean sur ses deux conclusions et surtout la fin de la seconde. Tout en gardant en tête ce que m’avait dit un de mes clients en Californie : "Ici nous sommes obligés d’apprendre deux langues : l’anglais parce que c’est la langue officielle et l’espagnol pour pouvoir parler à nos voisins". Et je dirais heureusement qu’il y a ces voisins parce que les restaurants mexicains sont à peu près les seuls où l’on mange correctement dans ce pays.

    Cordialement,
    Christian

  • Merci à Yan pour ces précisions toujours utiles !
    Il me semble que nos amis catalans sont également confrontés aux problèmes de la langue standard. Ne serait ce que pour la prononciation, il apparaît que certains catalans de langue maternelle auraient quelques difficultés à comprendre et à se faire comprendre par les jeunes formés à l’École au catalan standard. Mais n’est ce pas ce qui se passe pour toute langue devenant une langue officielle ?
    Amistats en tots

  • Un Etat centralisé et une langue unique écrasant toutes les autres n'est en rien une fatalité : cf les nombreux dialectes italiens, les nombreux dialectes allemands, tchèques, etc. toujours parlés par les populations qui savent également plus ou moins bien l'allemand standard, etc. Pour ma part, j'ai toujours pensé que l'uniformisation linguistique de la France était surtout la conséquence des médias monolingues dans la langue officielle. Sans les média francophones, les gens n'auraient jamais bien appris le français à mon avis et auraient généralement conservé l'usage de la langue locale à la maison.

    Y a aussi les cas qui me font un peu rêver : les créoles des DOM TOM, le tahitien, qui sont toujours parlés par la majorité (presque totalité) des habitants des territoires concernés. Les gens ont beau apprendre le français à l'école, en dehors de l'école la langue de la communauté reste la langue locale. Je les envie :-)

    Hèyt beroy :-)

    Louíc

  • >J'ai,
    >partout où je me suis rendu dans le monde toujours utilisé cette langue et il faudra se
    >faire une raison c'est bien elle qui deviendra la langue dominante.

    Que veut dire langue dominante pour toi ? Que l'anglais serve de langue véhiculaire, je ne vois pas trop où est le problème. De ttes façons, il y aura toujours des gens qui n'auront pas besoin de l'anglais car ils n'ont pas besoin de parler anglais dans leur vie professionnelle ni personnelle. Je ne vois pas en quoi parler anglais avec ses collègues empêcherait de parler la langue qu'on veut à la maison, avec ses voisins, etc. C'est une vision bien française de penser que les langues s'excluent les unes les autres. Pour moi, elles s'ajoutent. :-) Je parle breton avec mes amis, français avec ma famille, anglais (entre autres) sur internet, irlandais avec ma prof d'irlandais, un peu tchèque et allemand avec certains autres amis sur internet...

    >Tout en gardant en tête ce que m'avait dit un de mes clients en
    >Californie : "Ici nous sommes obligés d'apprendre deux langues : l'anglais parce que c'est
    >la langue officielle

    Il me semble qu'il n'y a aucune langue officielle aux USA, d'après la loi. L'anglais reste de fait la langue véhiculaire dominante, mais aucun texte ne dit qu'elle a un statut particulier plus qu'une autre.

    Ath cop que ven !

    Louíc


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  • [Si, Halip, ací, qu'as sabut plaçar lo "Selon" !
    D'ara enlà, pensi que "Selon" mau plaçats e seràn de la toa part maishanta volontat, qui serà severament castigada :-)
    Lo mèste de lista]

    Selon HUMBERT :

    > Bonjour à tous,
    >
    > J'ai lu et relu la longue intervention de Jean qui va, je pense susciter un débat passionné.
    > Pour ma part, si j'en croyais les dictionnaires, je devrais me classer parmi les jacobins. Je suis, en effet "hostile à toute idée d'affaiblissement et de démembrement de l'

    Réponse de Lartigue

    Ce discours théoriquement de "droite" semble avoir contaminé jusqu’à la gauche
    socialiste, dont on se demande parfois ce qu’elle a de gauche. En effet, quelle
    différence aujourd’hui entre Ségolène Royal et François Bayrou ? Je ne la vois plus avec netteté. Il est dommage de laisser à des extrémistes, qu’ils soient de droite ou de gauche, le soin de représenter des idées que les grands partis semblent éviter très soigneusement. Ce n’est sans doute pas pour rien que Mr Sarkozy chasse sur les terres de Mr Le Pen et que Mme Royal chasse sur celles de ce qui était jadis le terrain de la droite traditionnelle (cf. les discours convenus sur les fonctionnaires en général, boucs émissaires des temps modernes et derniers à échapper aux précautions qu’impose le politiquement correct).
    Quant à la capacité de la gauche véritable à se mettre d’accord, nous en avons
    encore eu une brillante démonstration ce week-end chez les Verts, à Bordeaux.

    Mais on l’a vu, cet affaiblissement n’a en rien amélioré le statut des langues régionales, ni de leur enseignement. Au contraire, on voit le bouffon qui se dit Ministre de l’Éducation Nationale s’occuper uniquement de pédagogie de l’enseignement du français. Après les bienfaits de la dictée, les méfaits de la méthode globale d’apprentissage de la lecture, le voilà-t-il pas qui s’attaque à l’enseignement de la grammaire. Vivement mai 2007 ! Le fédéralisme, de nos jours, ne parle plus le bas breton mais l’européen ! C’est bien vers une Europe fédérale que l’on nous mène avec une série d’euro-régions transfontalières. Or cet "européen" ne sera jamais, je le redoute, le français ; ni d’ailleurs le gascon ou toute autre langue occitane, à plus forte raison une langue régionale quelconque. J’ai toujours en tête une réunion professionnelle où tout le monde comprenait le français et qu’un Belge se refusant à s’exprimer dans la langue des wallons nous a obligé de tenir en anglais ! J’ai, partout où je me suis rendu dans le monde toujours utilisé cette langue et il faudra se faire une raison c’est bien elle qui deviendra la langue dominante. Pour les gascons ce ne sera qu’un retour aux sources, nos ancêtres ont du la bredouiller lorsqu’ils étaient sous domination anglaise. A donc, me voici obligé d’être en accord avec Jean sur ses deux conclusions et surtout la fin de la seconde. Tout en gardant en tête ce que m’avait dit un de mes clients en Californie : "Ici nous sommes obligés d’apprendre deux langues : l’anglais parce que c’est la langue officielle et l’espagnol pour pouvoir parler à nos voisins". Et je dirais heureusement qu’il y a ces voisins parce que les restaurants mexicains sont à peu près les seuls où l’on mange correctement dans ce pays.

    Cordialement,
    Christian

    Réponse de Lartigue, qui ne maîtrise décidément pas le SELON

    D’où la réflexion que je faisais un jour au sujet des langues universelles que
    sont l’anglais et l’espagnol (le chinois mandarin, même s’il est parlé
    massivement, n’est encore qu’une langue régionale inutile quand il s’agit des
    grands échanges). Le français, s’il est encore souvent une grande langue de
    culture, n’est plus une langue de communication planétaire, quoi que semble en
    dire Mr Chirac quand il quitte de manière quelque peu théatrale une réunion où
    l’orateur choisit l’anglais. Mais, tout comme la disparition du gascon ne
    sauvera pas un hypothétique occitan, la disparition du gascon et de l’occitan
    ne sauveront pas le français ni celle de ce dernier ne sera bénéfique à l’occitan ni au gascon. Je ne crois pas au principe des vases communiquants dans ce domaine. Ceux des Français qui s’arcboutent sur la défense de leur langue en dénonçant les obscurantismes régionaux se trompent peut-être d’adversaire et ceux qui dénoncent le français comme cause de tous nos maux se trompent peut-être aussi. Nous, gascons, n’avons besoin de personne pour nous saborder avec une grande efficacité.

    Philippe Lartigue

  • [E "cercas" au moderator, o que ?-)
    Lo moderator]

    Selon "lafitte.yan" <lafitte.yan@orange.fr> :

    Le SELON ne sera pas encore à sa place. Je crois néanmoins que Jean a totalement raison dans son analyse du jacobinisme. Le terme est aujourd'hui tellement galvaudé qu'il ne signifie plus ce qu'il veut vraiment dire. Tout comme sont désormais galvaudés les concepts de "république" et de "citoyen" qui sont utilisés à qui mieux mieux de l'extrême gauche à l'extrême droite pour qualifier telle initiative qui se doit d'être "républicaine" ou "citoyenne". Il est rare de voir des mots aussi vite "ringardisés" par l'usage abusif et fourre tout qu'on en fait.

    Philippe Lartigue

  • Voici un exemple de dissertation du défunt Jean Lafitte.
    J’aurais envie de répondre sur plusieurs points, mais ne serait-ce pas un peu lâche, puisqu’il n’est plus là pour répondre à son tour ?
    D’ailleurs, même de son vivant, j’aurais hésité à répondre, et sur ce texte de 2006, il semble que je ne l’ai pas fait : commencer à dialoguer (polémiquer ?) avec Jean Lafitte, c’était risquer de s’engager dans une activité à plein temps !

    Une discussion théorique sur l’histoire des États et de leur Constitution, et leur besoin, ou non, d’imposer, et jusqu’à quel point, une langue unique, ne sera jamais "tranchable" comme un problème mathématique.

    A la question de départ « Le "jacobinisme" : une spécialité française ? » Jean Lafitte semble répondre plutôt non.
    Pour sa démonstration, il retient la définition du jacobin « hostile à toute idée d’affaiblissement et de démembrement de l’État », donc (selon les mots de Jean Lafitte) « partisan d’un État fort et centralisé » (et non une des définitions du Larousse : « jacobin, e n. Nom commun à divers oiseaux » !)
    Puis il montre que par le monde, les États forts (donc ceux désirés par les jacobins) ont toujours eu une langue unique.
    Donc, pour que le gascon soit langue d’État, il aurait fallu qu’il y eût un État gascon ; et la langue gasconne qu’il aurait imposé aurait été un gascon unique, contrevenant donc à la « variété des parlers ».

    Ce fil de discussion de 2006 est toujours actuel.
    J’y ajoute quelques questions :

     un État fort ne peut-il pas être décentralisé, voire fédéral ?
    L’État suisse est-il faible, par exemple, et le canton de Genève (aussi appelé "la République de Genève", il me semble) ne peut-il être vu comme une pièce de cet État, ou même un État en soi, confédéré à d’autres États ?
    La Constitution française dit d’ailleurs - à vérifier - que la France est une « République décentralisée », depuis la réforme constitutionnelle du gouvernement Raffarin (juste avant le présent fil de 2006).

     Jean Lafitte, quand il expose « le besoin d’une langue unique pour l’administration de l’État et de ses organes déconcentrés, voire décentralisés » (c’est moi qui met en gras "voire décentralisés"), manifeste une hésitation, dans laquelle on pourrait s’engouffrer : des organes décentralisés de l’État ne peuvent-ils avoir leur langue propre ?
    D’ailleurs, j’ai signalé récemment que quelques années plus tard, Jean Lafitte avait attiré l’attention des élus sur une possibilité de prendre des délibérations proclamant que la langue patrimoniale de leur collectivité est "le béarnais", "le gascon"...
    Béarnais, gascon : le ciel semble se dégager Jean Lafitte [Forum Yahoo GVasconha-doman 2013-02-08 n° 10748]

    Les messages de Jean Lafitte sur le forum, récupérés comme articles de Gasconha.com (liste s’allongeant au fil des "récupérations")

  • « un gascon unique, contrevenant donc à la « variété des parlers » »
    Près de chez nous, il y a bien un basque unifié, voire unique (euskara batua) !
    Le plus gênant dans la "variété des parlers" c’est la variété grammaticale et celle des formes de conjugaison.

  • Il y a eu de nombreuses discussions évoquant un gascon commun ou normé vis à vis des dialectes ou zones dialectales, dont le fil ci-dessous :

    https://www.gasconha.com/spip.php?article64#comment42535

  • Ce qui fait la spécificité française n’est pas le centralisme, ni le "jacobinisme", c’est la prise en main complète de l’Etat sur le pays, aggravée par le CNR, par l’ENA, et parfaite par les réformes Chirac et Juppé, ce qui a mené à l’actuelle dictature de Bercy.
    Mais surtout, c’est l’idée dominante, et pluriséculaire, que le français est la langue de la raison absolue et que la France, comme personne morale et individu historique, est le modèle universel. Unde l’intolérance totale pour ceux qui refuseraient de suivre ce modèle.

  • Jean Lafitte écrit (lire son article plus haut) :

    « Le "jacobinisme" : une spécialité française ? On lui oppose en effet le fédéralisme de l’Italie ou de l’Allemagne, voire de la Suisse, tellement plus ancien, ou encore le régime mixte de l’Espagne (...).
    Or ces États n’ont pas une histoire comparable à celle de la France (...)
    la France s’est formée autour de Paris, siège des Capétiens depuis 987. Et ces Capétiens étaient une dynastie franque, qui succédait aux Carolingiens, eux-mêmes substitués aux Mérovingiens, héritiers de Clovis. Comment donc des dynasties franques avaient-elles pu établir un pouvoir fort et centralisé, (...)
    Je vois en tout cela le modèle de l’Empire romain, (...) le Roi continuait Rome et son organisation centralisée (...) »

    Mais ne pouvons-nous pas nous affranchir de ce déterminisme historique ?
    Je propose aux gasconhautes une excursion en pays ladin, province autonome du Haut Adige ou Tyrol du Sud, Italie, et plus précisément à Corvara in Badia, maintenant une station alpine, qui, selon l’article Wikipédia en italien, est à 90,30% de madrelingua ladina (langue maternelle ladine).
    A notre époque de traducteurs automatiques performants, je ne traduis pas ce qui suit :

    « A Corvara ci sono un asilo ed una scuola elementare, dove si tengono, a partire dal secondo anno, lezioni in ladino solo per due ore alla settimana, mentre tutte le restanti ore d’insegnamento sono svolte sia in lingua italiana che tedesca, paritariamente, al 50% per ognuna delle due. Una caratteristica speciale di Corvara è un’ora d’insegnamento integrato "interlingua" a settimana, in tutte e tre le lingue ufficiali. Tutti gli insegnanti delle scuole primarie devono essere di lingua ladina. »

    J’ai mis en gras la dernière phrase, que je traduis : Tous les enseignants de l’école primaire doivent être de langue ladine.
    Difficilement pensable dans notre Etat jacobin !

    Toujours sur Corvara :
    La page d’accueil par défaut du site municipal est en allemand ; en cliquant, on peut accéder à la version italienne, et aussi à la version ladine (mais celle-ci soit incomplète).
    Il semble que l’allemand, s’il n’est quasiment pas langue maternelle à Corvara, soit très présent comme langue véhiculaire, comme plus généralement dans la province de Bozen/Bolzano ou Haut Adige ou Tyrol du sud (où il est co-officiel avec l’italien).
    Pour finir, un petit échantillon de ladin, qui a même quelques petites similitudes avec le français et l’occitan :

    « Tambëgn l’paîsc da Corvara co ince chël da Calfosch á ciafé ressonanaza internazionala incër la fin dl 1800, canche ai á metü man de gní chirîs sö y aprijá lunc y lerch por süa posiziun de belëza nanter i crëps y por les bones poscibilitês de pratighé ativitês sportives d’invern y d’isté. »
    https://news.corvara.eu/

    Si vous me suivez, il n’y a pas que l’air alpin qui y fait respirer mieux !

    Sur la vue Google ci-dessous apparait l’inscription "BËGNODÜS"... Benvenguts...


Un gran de sau ?

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