Adixat amics,
Je vois se développer un débat qui risque de se terminer par des mots qui,
dépassant la pensée de leur auteur, vont néanmoins gâter l'ambiance de la
"Liste", alors que la Noël toute proche proclame « Paix aux hommes de bonne
volonté ! », plutôt que le « bonheur » en se précipitant porter ses euros
aux Temples de la Consommation que j'ai déjà évoqués.
Au plan qualitatif, Halip a certainement raison de rappeler que la langue
qui nous est la plus familière ‹ le plus souvent, celle apprise dès
l’enfance ‹ form(at)e notre esprit en lui proposant des catégories mentales
toutes faites sous la forme des mots du vocabulaire et du sens qu’on leur
donne ; sans doute aussi, mais plus subtilement, par l’organisation de la
pensée que suppose celle des "mots" dans la phrase. Mais tous sur cette
liste, même les bascophones qui ont appris l’euskara, sommes des
francophones de naissance, et notre pensée et organisée par les structures
du français.
Au demeurant, elles sont peu différentes de celles des autres langues
romanes, dont aucune à ma connaissance n’a gardé l’organisation syntaxique
du latin "classique". Alors que celles du basque originel sont très loin du
système roman, et je ne suis pas certain que les néo-bascophones ne
reproduisent pas en euskara la pensée castillane ou française qui leur vient
naturellement.
Mais au plan quantitatif, j’ai bien peur que Halip soit bien isolé dans la
vasconité qu’il s’est construite, car j’ai du mal à imaginer que des masses
de Gascons se mettent à l’euskara, alors qu’ils n’ont même pas l’idée ‹ et
le courage, car il en faut pour apprendre une langue ‹ de retrouver le
gascon que leurs ancêtres ont adopté et façonné depuis bien plus de mille
ans. Or une langue est par définition l’outil premier de communication au
sein d’une communauté humaine, et c’est parce que cette communauté existe
naturellement du fait des échanges entre individus que ceux-ci peuvent
prendre conscience d’une » identité », c’est-à-dire d’un lot de traits
qu’ils ont en commun : le langage, bien sûr, mais aussi l’allure physique,
les croyances, la conception de la famille, les habitudes alimentaires,
l’organisation de l’habitat, les loisirs, la musique et les chants etc.
Alors la question du débat : la langue est-elle seulement utile ou au
contraire indispensable comme facteur de l’identité d’une communauté
humaine ?
Je vais seulement donner deux exemples :
ÂÂ le plus célèbre est celui des » Juifs », dont la » communauté » existe
depuis quelque 2Â 500 ans à travers les autres peuples où ils ont été
dispersés, alors que bien peu parlent l’hébreu, et chez qui la pratique de
la religion judaïque n’est absolument pas générale. N’oublions pas que
quelque 200 ans avant Jésus-Christ, la "diaspora" d’Alexandrie et d’Égypte,
qui ne comprenait plus l’hébreu, n’avait pas fondé des Calandrettes
hébraïques ni des Écoles bibliques ‹ comme d’autres des Écoles coraniques ‹
mais avait traduit en grec les livres hébreux de la Bible.
ÂÂ l’autre est un micro-évènement que j’ai vécu hier soir à l’issue de mon
cours de gascon donné à la Maison des Pyrénées-Atlantiques de Paris. Mes
"élèves" avaient comploté de faire un petit buffet amical à la fin du cours,
pour marquer le temps des "Fêtes". Or à la même heure, notre député Jean
Lassalle avait organisé une présentation du projet d’une structure de
liaison entre associations basques et béarnaises de la Région parisienne,
présentation que devait aussi suivre un buffet. Nos agapes achevées, je me
suis avancé pour voir si la voie était libre pour sortir discrètement de la
salle du cours, et voilà que le conseiller général de Navarrenx Jacques
Pédehontaa, venu assister Jean Lassalle, s’est exclamé de plaisir en me
voyant, a voulu être présenté à mes élèves, et nous a tous invités à
rejoindre l’autre buffet qui en était aux prémices.
Manoeuvre électorale penserez-vous...
Pas du tout, ces élus sachant déjà qu’un seul de mes élèves est Béarnais, et
que tous votent en Ile de France.
Alors, Jean Lassalle nous a accueilli lui-même avec beaucoup d’amitié, m’a
invité à présenter mon groupe, nous a présenté les personnes qui étaient là,
etc. Et bien sûr, ce qui était inévitable est arrivé, on a chanté. Jean
Lassalle a entonné son morceau à succès Aqueres Mountagnes, chanté par tous
‹ Basques compris ‹ à pleine voix ; j’ai lancé Haurak ikasasue, puis ce fut
encore en basque Boga-Boga lancé par un Basque, Jean Lassalle a chanté Bords
de l’Adour, charmant Pays de la Bigorre, puis La Dacquoise, de telle sorte
que pas un seul de mes élèves "étranger" au département des P.-A. n’est
resté sur sa faim de "reconnaissance".
Inutile de préciser que j’ai chanté en basque sans parler basque, et que les
Basques ont chanté en gascon sans parler gascon.
Mais tout se sont sentis pleinement » chez eux », dans un sentiment partagé
d’identité pyrénéenne transcendant touts les clivages.
Voilà de quoi espérer, n’est-ce-pas ?
A touts, Amistats e boûn Nadau.
J.L.
Langues et identités lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-21 n° 7773]