Adixat amics,
Je reviens sur l'affirmation énergique, voire indignée, de Txatti dans son
message du 19 décembre :
« Quand bien même le gascon n'aurait jamais été écrit du tout, il n'en
aurait pas moins de légitimité dans notre société ! »
Et sur ma réponse dans mon message d'hier 21 : « Qui a dit ou écrit le
contraire ? ».
Bien évidemment, je n'ai pas changé d'idée en 24 heures ; mais je voudrais
attirer l'attention sur la nécessité de ne pas confondre les points de vue :
la « légitimité » se situe ici dans le domaine éthique, de la morale
sociale : toute langue est éminemment respectable comme expression de
personnes d'égale dignité humaine ;
mais à moins de sacrifier au « politiquement correct », je ne connais pas
d'exemple de peuple capable de progrès dans la connaissance du monde et dans
la maitrise des techniques qui se soit passé de l'écriture ; et si nous
connaissons assez bien les Sumériens, Babyloniens et Égyptiens, c’est parce
qu’ils ont écrit leur langue, donc leur histoire ; et comme corollaire, ils
ont été capables de prouesses techniques qui nous plongent dans l’admiration
et l’étonnement par les vestiges monumentaux qu’ils nous ont laissés.
Rien de comparable, semble-t-il pour les Africains, les Basques, les
Aquitains ou même les Gaulois, dont, ai-je cru comprendre, les druides
refusaient l’écriture pour garder leurs secrets.
En revanche, nos pays d’oc étaient sous l’Ancien régime des » Pays de droit
écrit », suivant des usages hérités de Rome, alors que les pays d’oïl
étaient soumis à des Coutumes, non écrites à l’origine. Et la fameuse "Loi
salique" fut l’œuvre des Romains qui mirent par écrit les coutumes franques
pour pouvoir mieux rendre la justice.
De cette supériorité de l’écrit qui reste sur la parole qui s’envole résulte
l’importance sociale des scribes, tout comme celle donnée au Livre par les
religions juive, chrétienne et musulmane.
Si donc des parlers gascons sont peu représentés dans l’écrit, c’est que
leurs locuteurs n’ont pas eu le poids social et politique pour les porter à
l’écrit et en faire un outil pour les usages sociaux de pouvoir, justice et
administration. En pratique, d’ailleurs, leurs "élites" (syndics, jurats, ou
autres représentants) se sont accommodées du parler écrit, latin d’abord,
puis gascon ou béarnais des notaires bordelais, orthéziens ou palois, sans
attacher à des détails de langue l’importance que nous leur accordons, sans
doute parce que nous avons bien plus de temps à perdre qu’eux.
C’est bien pour cela que je persiste à penser que l’article de la montagne
n’est apparu à l’écrit que dans le cadre d’un mouvement littéraire - donc
hors des contraintes de l’utilitaire - et le Félibrige est le seul que je
connaisse chez nous et à cette époque. Sans le considérer comme un mouvement
pur et dur imposant quoi que ce soit à ses membres ! Simplement en leur
portant un certain "air du temps", tout comme l’occitanisme, ou autres
-ismes.
Pour ce qui est du Comminges, le grand auteur fut Bernard Sarrieu
(1875-1935), Majoral du Félibrige en 1910 ; ses » Morceaux choisis  » (Escolo
deras Pireneos, 1977) contiennent une poésie avec l’article montagnard datée
de 1894, mais ne mentionnent de publication qu’en 1902.
Enfin, l’"air du temps" de l’occitanisme a été de faire croire qu’un système
médiéval d’écriture était la clé de la » dignité » de nos langues, quels que
fussent les changements qu’elles avaient connus depuis le Moyen-Âge. Avec à
la clé un renouveau du pouvoir pour les "scribes" connaissant les arcanes de
ce système, les étymologies et le latin !
Hèt beroy.
J.L.
Écriture et oralité lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-23 n° 7801]