Chers amis,
Dans un message de Jeudi 18, Tederic se réjouit d'arriver à 1500 noms sur
http://noms.gasconha.com
Bien que ne pratiquant pas ce site ‹ je ne puis être partout ‹ je m’en
réjouis avec lui.
Mais la suite me gêne :
» En fait, c’est beaucoup plus de 1500 noms qui sont répertoriés, puisque le
décompte se fait sur la graphie occitane normalisée, unique, d’un nom, alors
que ses formes officielles françaises sont souvent multiples :
» Ainsi Casamajor a au moins 9 formes françaises officielles : Cazemajou,
Casamayou, Cazemayou, Casemayou, Casamajou, Cazamajou, Cazamayou,
Cazemayor »
S’il est vrai que » Casamajor » est bien la » graphie occitane normalisée »,
il est désolant que notre ami qualifie les autres formes de » formes
officielles françaises » : cela dénote de sa part une grave méconnaissance
du gascon de nos pères et aussi du droit français.
Commençons par le droit : il n’y a aucune loi qui définisse une quelconque
forme des patronymes. La seule législation est celle de l’État-civil, qui
prescrit aux officiers d’état-civil de reproduire scrupuleusement les noms
des intéressés ‹ ou de leurs parents pour les nouveaux-nés ‹ tels qu’ils
sont écrits dans les documents d’identité, eux-mêmes basés sur l’état civil,
sans les altérer en rien : si ces papiers portent Zwidzlosky, Macoumba,
Oukoulélé, Ukulele, Johnson, Casanabe, Gonzalez ou Gonzales, tout ces noms
sont officiels et on ne peut y toucher... sauf procédure assez lourde de
changement de nom, qui aboutit à un décret publié au Journal officiel.
Mais il faudrait être tombé sur la tête pour dire que ce sont des » formes
françaises »Â ! Par contre, quand, par décret, un » Tayeb » fait changer son
nom en » Taillet », ou un » Casanabe » en » Maisonneuve  », on peut dire
qu’il a fait changer une forme non française en forme française.
Mais alors ces » Cazemajou, Casamayou, Cazemayou, Casemayou, Casamajou,
Cazamajou, Cazamayou, Cazemayor », ce sont tout bêtement des formes
gasconnes / béarnaises consacrées par l’état-civil de la République, et que
ceux qui les portent n’ont jamais voulu faire "franciser".
Plus précisément, sur ces neuf formes, les textes anciens de mon corpus
informatisé, majoritairement béarnais, n’en connaissent qu’un seul, et en
une seule occurrence, Cazemayor, mais attestent de cinq autres formes non
moins honorables, Casamaior, Casamayor, Casamayour, Casemajor et Casemayor ;
mais les notaires "ignares" qui les ont écrites ‹ dont Bernat de Luntz,
notaire vicomtal de Fébus ‹ ignoraient totalement Casamajor, la » graphie
occitane normalisée » par le pharmacien languedocien Alibert : quel scandale
! Voici du moins ce qu’ils nous ont laissé :
3 Casamaior : Bernat de Luntz, Acte 48 du 30/11/1372, Bertran de Casamaior,
de Borce ; Acte 153 du 22/12/1374, Guilhem de Casamaior de Pardies, Acte 212
du 9/1/1376, Ramonet de Casamaior de Pont de Laruntz ;
5 Casamayor : For d’Aspe, art. 8 : Alaman de Casamayor ; Acte de 1428 (E 1420
f. 229 v - PN n° 151 - 7/8-1992), Goalhard de Casamayor ; Cartulaire B
d’Ossau, Acte du 11/06/1456, Bertran de Casamayor, Odet de Casamayor,
Ramonolo de Casamayor.
NB - "PN" = revue Per noste / Païs gascons
6 Casamayour : Acte du Notaire d’Aramits du 17/11/1654 (sans réf., PN n° 88
- 1/2-1982 Casamayour (6 occ.).
1 Casemajor : Acte du 25.10.1374 (E 1918 f. 49. ‹ Notaires de Pardies, PN n°
186 - 5/6-1998), Wilhem de Casemajor [C’est le même que Guilhem de Casemayor
ci après].
plus de 11 Casemayor : Acte de 1383 (E 1919 f. 21. ‹ Notaires de Pardies, PN
n° 186 - 5/6-1998), Guilhem de Casemayor, Berduc de Casemayor [son fils].
Dénombrement 1385 : Berdot de Casemayor à Laa, Menaut de Casemayor à
Mondrans, Aramont de Casemayor à Estialescq, Mone de Casemayor à Ledeuix,
Mariote de Casemayor-Debag, à Pont (quartier de Laruns) (à rapprocher de
Ramonet de Casamaior de l’acte de 1376 de B. de Luntz) etc.
Acte de 1388 (E 1921 f 13. ‹ Notaires de Pardies, PN n° 190 - 1/2-1999),
Berduc de Casemayor, Guilhem de Casemayor. Acte de 1430 (E 1408 f. 89.
Notaire de Lucq, PN n° 171 - 11/12-1995), Casemayor de Berdetz.
Cartulaires d’Ossau, Acte du 11/06/1456, Bernat de Casemayor.
1 Cazemayor : Acte de 1386 (E 1 594 f. 50 Notaires de Navarrenx. PN n° 181 -
7/8/9-1997), Arnaudet de Cazemayor.
Plusieurs remarques :
D’abord, un rappel : jusqu’au XVIIe s., l’alphabet latin (latin, gascon,
français etc.) ne distingue pas le "i" du "j" ni le "u" du "v". Le "i",
court ou long, vaut aussi bien la voyelle "i" que la semi-consonne "yod"
soit "y" français dans "bayer", ou peut-être "j" français, sans que rien ne
permette de le savoir.
Le "y", plus visible, a les mêmes valeurs "i" (pronom/adverbe "y") ou "yod"
("senhoreyant") ou "glide" en seconde partie de diphtongue ("may", =
"mère") ; il est douteux qu’il vaille "j" français, mais à ma connaissance,
on n’en sait rien. Une certitude : j’ai sous les yeux un facsimilé du
feuillet 93 du Cartulaire A d’Ossau, et "mayors" d’un acte de 1481 porte
bien un "y" ; les Ossalois le prononçaient-ils encore en "y", ce qui
supposerait que leur "j" actuel est plus récent, peut-être influencé par la
prononciation des Landais des régions où ils allaient faire paitre ? c’est
une piste de réflexion, mais sans témoignage de la prononciation de
l’époque, on ne peut en dire plus.
Les différentes formes du produit du latin ’casa + maior’ différent sur 5
points :
ÂÂ [z] noté normalement par "s" étymologique devenue sonore entre voyelles ;
une fois par "z" phonétique (ç’avait été le choix de Perbosc et Estieu,
suivis par Philadelphe de Gerde) ;
ÂÂ finale féminine de ’casa’ notée tantôt par "a" étymologique, tantôt par
"e", très probablement suivant l’origine du notaire, puisqu’il est
vraisemblable que la prononciation en "a" a perduré très longtemps dans
l’Est du Béarn qui dit aujourd’hui "o" ou à peu près ;
ÂÂ semi-consonne "maior" notée par "i" ou "y", une seule fois par "j", mais
ce que j’ai rappelé plus haut laisse supposer que le manuscrit porte un "i"
long transcrit en "j" par l’éditeur (A. Cauhapé), sans que cela implique en
rien une prononciation autre que yod ("y" français) ;
ÂÂ voyelle finale de la seconde syllabe de "maior" notée par "o", sauf en
1654, "ou" : c’est normal, ce "o" n’est passé à "ou" qu’à partir du XVIe s. ;
je ne reviendrai pas sur ce sujet sur lequel j’ai pas mal écrit, preuves à
l’appui, sans être démenti ;
ÂÂ "r" final de "maior" noté d’un bout à l’autre, très certainement parce que
prononcé en ces temps-là ; dans les noms communs, il était déjà muet chez
Salette (1583), qui écrivait ces finales en -oò et précisait que cela se
prononçait "ou" long. Mais il n’est pas impossible que sa prononciation se
soit conservée dans les noms propres, les familles tenant souvent à l’exacte
prononciation de leur nom comme ils l’ont reçu de la génération précédente ;
et les notaires de s’y conformer.
Conclusion : comme ces formes attestées pour la plupart avant 1500, ces noms
n’ont jamais cessé d’être écrits dans les actes qu’en reflétant la
prononciation du temps, sans aucune influence du français ; avec cependant
l’exception du [ou] qui se répandait depuis peu et pour lequel on n’avait
pas d’autre solution que "ou", déjà utilisé bien avant l’emprise massive du
français. Là-dessus aussi, j’ai assez écrit sans être démenti pour ne pas y
revenir.
Il n’y a donc aucune raison sérieuse de voir une influence française dans
les Cazemajou, Casamayou, Cazemayou, Casemayou, Casamajou, Cazamajou ou
Cazamayou, mais tout simplement le désir des gens de voir leur nom écrit de
manière à être prononcé comme ils l’avaient reçu de leurs pères.
Vouloir "normaliser" ou "restituer" ces noms ne pourrait qu’augmenter le
sentiment de rejet de l’occitanisme et de ses suivants.
Cordialement,
J.L.