Merci, Cedric, pour votre message très positif et encore plus pour l'offre
de parler de notre livre sur une radio. Au demeurant, il y a beaucoup
d'occitanistes et de félibres ouverts à la discussion, ce sont plutôt les
appareils qui campent sur des dogmes sans lesquels bien de leurs slogans et
propagandes seraient à jeter à la poubelle.
Pour ce qui est de Dante, rassurez-vous, nous l'avons étudié de très près,
ainsi que les autres sources extra hexagonales très connues, ou beaucoup
moins. On y trouve "langue d'oc" ou ses équivalents en italien, catalan ou
latin, jamais "occitan".
Et il s'avère qu'il n'y a aucune source autochtone qui mentionne l'une ou
l'autre forme.
Notre livre est la reprise, quelque peu corrigée sur des points de détail
et assez augmentée, d'un article commun que vient de publier La France
Latine (quelque 80 pages !).
Voici à titre d'échantillon (avec les notes de renvoi sitôt après celui-ci,
noté par lettre a à f, et d car autrement, elles ne passent pas en
copier-coller dans le message) nos deux paragraphes traitant de Dante et le
résumé du chapitre 1er (histoire avant 1850) :
1-2-2 « langue d¹oc » chez Dante
C¹est dans un passage de Vita nuova a (P.M., 14, note 1), écrit
vraisemblablement en 1293, que Dante use de « langue d¹oc » pour la première
fois, alors qu¹il est à la recherche des premiers poèmes en langue vulgaire ;
il remarque que ces poèmes sont récents et précise, opposant la littérature
d¹oc à celle en italien, « langue du si » :
« E segno che sia picciolo tempo, è che, se volemo cercare in lingua d¹oco e
in quella di sì, noi non troviamo cose dette anzi lo presente tempo per
cento e cinquanta anni. », soit en français :
« Et le signe qu¹il n¹y a pas longtemps, c¹est que si nous voulons chercher
en langue d¹oc et en langue du si, nous n¹y trouvons nul ouvrage écrit plus
de cent cinquante ans avant le temps présent »
a Éd. Barbi (M), Florence, 1932, p. 113 et Dante, Œuvres complètes, trad.
Pézard (A), Paris, 1965, » Vie nouvelle », chapitre XXV, p. 54.
Dante va encore user de » langue d’oc » dans un passage bien plus connu de
son De vulgari eloquentia (P.M., 14), écrit entre 1304 et 1306, donc vers
1305. C’est un traité latin d’art d’écriture en langue vulgaire, » celle que
nous recevons en imitant sans aucune règle notre nourrice » ; et avant
d’aller au fait, sur l’écriture en » italien illustre », Dante disserte
longuement sur la multiplicité des langues vulgaires qu’il explique en
prenant la Bible au pied de la lettre, comme c’était jadis de règle : la
langue d’origine, donnée par Dieu à Adam, est l’hébreu ; l’orgueil des hommes
les ayant poussés à bâtir une tour jusqu’au ciel, la sanction divine, toute
paternelle, fut la confusion des langues, chaque corps de métier parlant
désormais la sienne ; et la poursuite de la construction étant devenue
impossible, il se dispersèrent sur la terre. Ceux qui vinrent ou revinrent
en Europe, avec un seul idiome au départ, se divisèrent en trois branches :
ÂÂ l’une, des bouches du Danube et des marais de la Méotide (ancien nom de la
mer d’Azov) aux côtes occidentales de l’Angleterre, et au Nord des
frontières des Italiens et des Français, qui s’est ensuite divisée dans les
» divers vulgaires » des Slaves, Hongrois, Teutons, Saxons, Angles et autres
peuples ;
ÂÂ la seconde, à l’Est de la Hongrie et vers l’Orient européen, et même
au-delà (en Asie), langue des Grecs ;
ÂÂ » Tout ce qui reste en Europe en dehors de ces territoires est occupé par
un troisième idiome, même si celui-ci est aujourd’hui à l’évidence
triparlier ; en effet les uns disent » oc », les autres » oïl », et les
autres encore » si » pour affirmer, comme par exemple les Espagnols, les
Français et les Italiens » (ch. I, VIII, 6).
Notons par parenthèse qu’un siècle plus tôt, l’anglais Gervais de Tilbury
divisait lui aussi le latin non pas précisément en langues, mais en
plusieurs nations dont les Gascons :
» bien que le latin soit une langue unique, elle comprend plusieurs nations
dans son orbite, comme les fiers Francs, les Gaulois, les Italiens (aussi
appelés Romains), les Lombards, les Espagnols, les Africains, les Asturiens
et les Gascons »Â b.
b Gervase of Tilbury, Otia Imperiala. Recreation for an Emperor, éd. Banks
(S.E.) et Binns (J.W.), Oxford, 2002, pp. 538-539
[Citation qui s’est avérée sans intérêt, car elle n’est qu’un
"copier-coller", sans citer la source, d’un passage de la Chronica de Claude
de Turin (vers 815), donc 400 ans avant !, que nous commentons largement
dans le livre en préparation]
Mais revenons à Dante ; Charles Camproux commente c :
c Les langues romanes, Paris, P.U.F. Que sais-je ?, 1974, pp. 17-18.Â
» On peut s’étonner de voir Dante identifier ceux qui parlent l’oc avec les
Yspani sans citer, par ailleurs, une quatrième langue qui serait l’ancêtre
de l’espagnol. C’est que Dante se fait une idée précise des vulgaires
illustres. De ces vulgaires il n’y en a, pour lui, que trois, l’oc, l’oïl et
le si. [Š] Pour le si, par exemple, ce parler vulgaire illustre n’est ³aucun
des dialectes italiques² [Š]. Ainsi le vulgaire illustre est une koinê. Tel
était le caractère de l’oc créé par les troubadours et qui, au temps de
Dante, était la langue de culture des Yspani peut-être plus que des gens du
Midi actuel de la France qui de ce point de vue étaient entrainés dans
l’orbite de l’oïl, vulgaire illustre des rois de France, depuis que le
Languedoc était devenu domaine royal. On se rend facilement compte de ce
fait quand on observe les limites que Dante reconnaît à la langue d’oïl :
» Et ceux qui disent » oïl » sont en quelque sorte septentrionaux par
rapport à ceux-ci [ceux qui disent » oc » et ceux qui disent » si »] ; ils
ont en effet les Allemands à l’orient, ils sont protégés au septentrion et à
l’occident par la mer anglaise ou gauloise et ils sont bornés par les
montagnes d’Aragon ; au sud ils sont enfermés par les Provençaux et la courbe
des Apennins. » d
d Traduction de Frédéric Magne, 1985, Paris : La Délirante, p. 16, celle de
Camproux étant moins fidèle.
On peut ajouter que les montagnes d’Aragon bornent la Navarre à l’Est, et
que Dante cite trois fois le » Rex Navarre » comme poète d’oïl, très
certainement Thibaud IV de Champagne et Ier de Navarre de 1234 à 1253. Et si
les » langues du si » de la péninsule ibérique sont ignorées, c’est que
l’espagnol de Castille n’a commencé à être langue littéraire qu’avec
Alphonse X Le Sage (1221-1284).
1-7-1 Origine ³étrangère² de » langue d’oc »
Les pages qui précèdent montrent que l’expression » langue d’oc » et ses
correspondantes latines sont toutes étrangères aux régions qui parlent cette
langue : deux écrivains catalans, un italien, un français d’oïl, la scripta
administrative française ; par la suite, la plupart de ces mentions sont dans
des actes émanant de la chancellerie des rois de France, parfois de
l’administration anglo-gasconne (qui n’y inclut jamais l’Aquitaine /
Guyenne, donc la Gascogne), ou chez d’autres auteurs d’oïl.
Mais demeure pour le moment un songe de poète une lettre de 1246 du pape
Innocent IV (1243-1254) qui aurait usé pour la première fois de lingua
occitana : nul n’a pu en présenter la preuve.
En tout cas, on n’a aucun texte » languedocien » de l’époque (fin du XIIIe
s. et XIVe s), Leys d’amors comprises, qui ait appelé » lenga d’oc » la
langue locale de l’espace nommé » langue d’oc » en français. Et il en est a
fortiori de même pour les textes de Provence, Auvergne ou Limousin, et
encore moins de Gascogne.
L’expression » langue d’oïl » n’est pas mieux lotie, puisqu’on ne la trouve
pas chez les auteurs médiévaux d’ » oïl », mais chez l’Italien Dante en 1305
(De vulgari eloquentia, livre I, X, 2 : lingua oil).
Mais à la réflexion, cela peut s’expliquer assez facilement : l’homme parle
naturellement sans se préoccuper de nommer son langage ; lorsqu’il découvre
des groupes humains qu’il ne comprend pas, son premier réflexe est de les
rejeter sous un nom peu flatteur, comme celui de ³barbares², né d’une
onomatopée caricaturant leur étrange parole. Puis la nécessité d’entrer en
relation avec ces étrangers l’amène à distinguer entre les langues et à les
nommer, y compris la sienne propre.
Ce n’est donc pas étonnant que la première mention connue du mot » gascon »
pour désigner la langue de Gascogne soit dans les Leys d’amors qui la
traitent justement d’ » étrangère ».
Section VIII Â Pour conclure cette revue historique
1-8-1 Résumé
Attesté à partir des environs de 1285, et donc avant les écrits de Dante,
» langue d’oc » (ou sa traduction dans diverses langues) n’a gardé son
acception linguistique première et naturelle que jusque vers 1360 ; après, et
jusqu’en 1789, l’expression ne désigna plus que la province de Languedoc.
Apparue en dehors du domaine de la langue visée, l’expression n’a jamais été
utilisée par les locuteurs eux-mêmes pour désigner leur parler et l’opposer
aux autres.
On n’a aucune attestation autochtone d’époque qui caractérise par ³oc²
l’ensemble des parlers méridionaux appelés » d’oc » aujourd’hui, les Leys
d’amors excluant explicitement le gascon de leur champ, et implicitement le
provençal, qui n’est pas nommé.
On n’a donc aucun texte qui puisse s’interpréter comme exprimant une
conscience d’unité linguistique du » domaine d’oc » tel qu’on le définit
aujourd’hui.
On n’en a non plus aucun qui établisse que, hormis les Provençaux au sens
strict et véritable (habitants à l’Est du Rhône), les populations usant de
ces parlers se soient jamais considérées elles-mêmes comme
» provençales »Â ou parlant le » provençal ».
Quant à l’unité politique, on sait qu’elle n’a jamais existé, comme l’a
écrit l’historien Henri-Irénée Marrou et redit le linguiste occitaniste
Patrick Sauzet : » Il n’y a jamais eu d’Occitanie »Â e.
e Esprit, janvier 1975 et Bulletin Institut occitan n° 11, Octobre 1998,
éditorial.
En particulier, la Gascogne a toujours été distinguée des autres domaines du
gallo-roman méridional, sa langue apparaissant, à l’instar du catalan, comme
une langue-pont vers les langues ibériques f.
f Cf. Bec (P.), La langue occitane, op. cit., p. 8.
» langue(s) d’oc », et bien sûr » pays d’oc » ne sont donc que des
expressions modernes et pratiques pour désigner un ensemble dont l’unité est
davantage rêvée que constatée. Les utiliser sans en être conscient
³rétroprojette² dans le passé les rêves d’aujourd’huiŠ
Cordialement à vous et à tous ceux de la Liste,
J.L.
Attestations médiévales lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2008-01-03 n° 8542]






