A propos de "pignada" lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2008-01-04 n° 8561]

- Jean Lafitte

Adixat moundë,

En soulevant la question du genre de "pignada" en français, M. Merger a
soulevé une question intéressante, et M. Poudampa et M. Humbert ont réagi
avec pertinence.

Je voudrais néanmoins apporter mon grain de sel, d'autant que M. Merger a
"agressé" le Parc naturel des Landes de Gascogne avec un peu trop de fougue
pour être juste, en écrivant :
« Il est important que l'éco-musée de Marquèze, lieu de mémoire, ne traite
pas le gascon par dessus la jambe, en diffusant de tels barbarismes.
« Une sensibilisation et une formation de vos collaborateurs serait
bienvenue dans ce domaine. »

D'abord, donc, sur la confusion des gens du Parc :
1° Je me souviens d'une visite faite il y a quelques années et d'une dame du
Parc qui parlait admirablement gascon.
2° Mon Petit Larousse de 1952 donne « pignade, n. f. Forêt de pins
maritimes » ; celui de 1982, de même. Et celui en 3 volumes des années 1970,
« pignade ou pignada, n. f. (mot dialectal) Forêt de pins maritimes
exploités pour la gemme. »
Dans un contexte français, l'auteur du Parc a donc pour lui l'autorité d'un
dictionnaire de marque.
Les propos de M. Merger sont donc déplacés et, trop agressifs, risquent de
monter contre nous les gens du Parc.
Il serait honnête et "politique" que M. Merger écrive à nouveau au Parc en
atténuant son premier jet.

Si l'on va plus loin, le remarquable Dic. des régionalismes de France de
Pierre Rézeau (2001) affiche le nom comme masculin, mais cite plusieurs
auteurs, et non des moindres, qui mettent le mot au féminin ; parmi eux,
Mauriac, Joseph Peyré.
S'agissant d'auteurs de chez nous, j'y verrais plutôt une "hypercorrection"
de la part de lettrés qui ont eu quelque contact avec la graphie occitane
et, qui partant de l'écrit "pignada" ont jugé que c'est un mot féminin comme
"agulhada" et autres et ont estimé de leur devoir d'autochtones lettrés de
rectifier le français (régional) sans avoir de bases sures du gascon
lui-même.
Citant le regretté Jacques Boisgontier, Rézeau ajoute : « Quant à la
prétendue variante "pignade" consignée dans les dictionnaires français,
c'est un mot purement imaginaire, dû à George Sand qui n'a pas su transcrire
le vocable "pignada" entendu lors de son voyage de noces en
Lot-et-Garonne. »
Je la soupçonne d'avoir pris le mot pour un féminin devenu oxyton dans la
bouche des Français, comme les espagnols "corrida" ou "posada".
En tout cas, personnellement, en français de chez nous, j'ai toujours
entendu dire "le pignada" ; en particulier quand nous le traversions en
train, c'était interminable pour l'enfant que j'étais, et ma mère, qui avait
appris le béarnais "au berceau", disait bien ainsi.

Passons maintenant au gascon :
Ce mot est anormalement construit, et je n'en ai pas trouvé d'autre dans le
Palay : le collectif en -a(r) gascon est formé directement sur le nom de la
plante ou de l'objet : broc, augue, sable, touye font brouca, auga, sabla,
touya, etc., sans -ad- intercalé.
Le mot régulier est "pina", inconnu du Palay, mais bien présent en espagnol
et en catalan, "pinar". Mais Palay a donne sa variante "mouillée" "pigna".
L'ALG I, 154 témoigne, lui, de la langue parlée vers 1950 :
"pignada" est massif en Gironde, dans la moitié Ouest et le Sud des Landes ;
il se retoruve en Bas-Adour et en trois points du Sud-Ouest du Gers ; le
Béarn n'en use qu'à Arthez-de-Béarn ; sa variante "pignata" s'entend à
Cabidos.
"piada" et "piata" occupent l'Est des Landes ;
Les formes non "mouillées" ("pinada, pinata") ont été relevées en 2 points
de l'Entre-Deux-Mers, dans le Nord du Béarn et en 3 points centraux du Gers.
"pinata" désigne le bois de pins de montagne à Barèges et à Melles.
Mais Gavarnie a, avec le même sens, "pinade", féminin et évidemment
paroxyton.
Enfin la forme "régulière" (sans -ad-) "pia" a été recueillie à St-Justin
(Est des Landes) ;

Les formes en -éde sont courantes pour d'autres essences ; en témoignent les
toponymes (graphie gasconne moderne normalisée) Mespléde (bois de néfliers),
Saucéde (bois de saules, saulaie/saussaie).
Elles sont issues du suffixe collectif latin -eta (avec un seul "t", qui se
sonorise en "d" entre voyelles, alors que le suffixe diminutif -itta, avec
deux "t" reste en "t" : praubét, praubéte) ; il a pour correspondant neutre

 etum, qui donne le savant "arboretum".
Ce sont ces formes d'oc en -éde qui ont été francisées en -ède : pinède,
Mesplède, Saucède.

Pour le pin, elles sont rares selon l'ALG : "piéde" a été relevé à
Labastide-Castel-Amouroux, et, avec "è" ouvert à la française, "piède", à La
Romieu.

Je signale enfin des "pignère, pignèyre, pinère", en un point chacune
(EntreDeux-Mers, Gers) et une "piadére" à Espiens.

Excusez-moi si je vous ai "harté", mais cela donnera aux curieux des
informations solides que seul l'ALG peut nous donner sur la langue d'il y a
50 ans.

Enfin, pour ce qui est du changement de genre, il est assez fréquent pour
tous les mots qu'on n'a pas de raison particulière de "sexuer". Qui
aujourd'hui, des locuteurs et même "écriveurs", met "estùdi" ou "limit" au
masculin ? Etc...

Plân couraumén.

J.L.

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