Quand Mistral s’auto-censure Jean Lafitte [Forum Yahoo GVasconha-doman 2011-01-21 n° 10365]

- Jean Lafitte

Adixat moundë,

Comme Daniel Séré, je suis avec le plus grand intérêt les interventions très documentées et sensées des quelques ténors de cette “liste”. Ce qui vient d’être écrit de l’occitan, des « dialectes », de la lubie de l’enseignement, correspond à ce que je vois, par recoupement de petits faits rapportés dans la
presse.

Mais pour le moment, je travaille le sujet : Mistral, grand-père
de l’occitanisme.

Pour vous distraire, je vais donc vous livrer une note de
l'édition princeps de “Mirèio” réalisée par Roumanille en 1859,
note disparue dès la seconde édition de 1860, co-éditée à Paris
chez un certain Charpentier et à Avignon chez Roumanille. Les
familiers la littérature occitaniste y verront notamment le
thème : le français, langue des barbares du Nord etc. Les
Suédois qui ont attribué à Mistral un demi-prix Nobel en 1904 ne
devaient pas être des barbares, bien qu’encore plus nordiques
que les Français du nord de la Loire !

Pour le moment, je cherche les raisons qui pourraient expliquer
cette auto-censure dès la seconde édition. En tout cas, si j’ai
trouvé ce texte édifiant, c’est par Google, et non par le
Félibrige, « gardien de la pensée de Mistral » !

Elle “éclaire” un passage du Chant VI et se trouve aux pp.
488-490. La voici :

2. Felibre de Prouvènço, poëtes de Provence. - Laissant de côté
le passé littéraire qui a rendu la langue provençale digne de
l'attention de l'histoire et de la reconnaissance de la
civilisation, il est, ce nous semble, profondément injuste de
traiter de patois, et, comme tel, de mépriser un idiome parlé
par de nombreuses populations, hautement probes, intelligentes
et poétiques, sous prétexte qu'il existe au-dessus une langue
administrative, commerciale et savante. Traiter banalement de
patois la langue provençale, c'est l'insulte que le mauvais
riche jette à Lazare, le vainqueur au vaincu. Mais que prouve
une insulte ? est-ce un argument ?… A ce titre, la belle langue
d'Italie peut s'attendre incessamment à être décrétée patois par
les Autrichiens.
Un autre préjugé, non moins répandu, à Paris du moins, c'est la
croyance à une extinction très-prochaine des divers idiomes de
la province. Ceux qui n'ont pas vécu dans le Midi, et surtout au
milieu de nos populations rurales, ne peuvent se faire une idée
de l'incompatibilité, de l'insuffisance, de la pauvreté de la
langue du nord vis-à-vis des mœurs, des besoins et de
l'organisation des méridionaux. La langue française,
transplantée en Provence, [489] fait l'effet de la défroque d'un
dandy parisien adaptée aux robustes épaules d'un moissonneur
bronzé par le soleil.
Née sous un climat pluvieux, gourmée, empesée à l'étiquette des
cours, façonnée avant tout à l'usage des classes élevées, cette
langue est naturellement, et le sera toujours, antipathique aux
libres allures, au caractère bouillant, aux mœurs agrestes, à la
parole vive et imagée des Provençaux. Comme elle est plus
factice, plus conventionnelle que toute autre, plus que toute
autre aussi elle convient aux sciences, à la philosophie à la
politique, et aux besoins nouveaux d'une civilisation raffinée.
Mais elle n'a pas acquis impunément ce haut caractère. La Grèce,
l'Italie, l'Espagne, le Portugal, l'Angleterre, l'Allemagne, ont
leurs poèmes épiques : la France n'en a pas, et n'en aura
peut-être jamais
Pour se prêter aux populaires et merveilleux récits de l'épopée,
une langue doit refléter comme un miroir la poésie native, la
simplicité, la hardiesse, l'énergie, les coutumes et la foi des
populations au milieu desquelles chante le poète, et
malheureusement la langue française n'est plus dans ces
conditions. Il est une foule de choses, et ce sont les plus
humaines, les plus usuelles de la vie, que la poésie française
ne peut rendre qu'avec des périphrases et des circonlocutions
infinies. - Nous avons éprouvé cela mille fois en faisant
nous-même la traduction littérale de notre œuvre. - Un grand
nombre d'expressions, de tournures et d'idées, poétiques et
harmonieuses en provençal, traduites en français tombent à plat
 ; et, sans vouloir établir de comparaison, si l'on faisait subir
aux grands poèmes de l'antiquité une opération comme celle que
nous avons infligée à notre texte, combien de choses que
l'artifice du traducteur transforme et accommode au goût du
lecteur français, et qui, présentées dans leur beauté nue, lui
paraîtraient vulgaires et triviales !
Pour revenir à notre point de départ, le préjugé qui a [490]
fait dédaigner jusqu'ici l'idiome populaire du Midi, tend, nous
devons le dire, à s'effacer. Grâce aux efforts heureux de toute
une phalange de poëtes dont l'action combinée se manifeste
chaque année dans l'Armana prouvençau ; grâce aux puissantes
sympathies des écrivains français dont l'enfance fut bercée aux
sons aimés de la langue d'Oc, tels que MM. Adolphe Dumas,
Reboul, J. Canonge, Amédée Pichot, l'abbé Bayle, Gaston de
Flotte, Victor Duret, Moquin-Tandon, Louis Jourdan, N. Bonafous,
Castil-Blaze, Joseph Autran, Poncy, Méry, Barthélemi, etc, la
renaissance, dont M. Saint-René Taillandier salua l'aurore dans
sa belle introduction du recueil Li Prouvençalo, ne sera pas un
vain rêve, et une littérature jeune, originale, populaire,
marquera peut-être la seconde moitié du XIXe siècle. Outre les
troubadours dont le nom est écrit dans le poëme, la
gaie-science, de nos jours, s'enorgueillit encore de ceux dont
les noms suivent :
MM. d'Astros, le vénérable doyen du Gay-saber ; l'abbé Aubert,
auteur d'un volume charmant, Li passo-tèms d'un Curat de vilage ;
F. Aubert, Autheman, Bénédit, Bigot, Bourrelly, esprits
pétillants de gaîté ou de verve mordante ; Bellot, l'inimitable
conteur ; Boudin (Augustin), le fabuliste Avignonais ; Bousquet
(Casimir), de Marseille ; Brunet, le doux Felibre de
l'arc-de-sedo ; le facétieux Cassan ; Chalvet, qu'inspire le
vent des Alpes ; le fécond rédacteur du journal Lou Bouiabaisso,
Désanat ; Dupuy (C. H.), l'auteur de Pichot parpaioun ; Gaut,
l'élégant troubadour, l'intrépide champion du langage natal ;
l'énergique Gelu ; Lacroix (Matthieu), chantre pathétique de
Pauro Martino ; l'abbé Lambert, ingénieux et brillant auteur de
Betelèn ; B. Laurens, le poétique peintre des belles Arlésiennes ;
Leydet, l'habile traducteur de Lafontaine ; Martin le pindarique ;
Poussel aux fantaisistes créations ; l'harmonieux Reybaud
(Camille) ; Ricard-Bérard, de Pélissane ; Roumieux, le spirituel
et gracieux chansonnier de Nîmes, etc , etc.

Un gran de sau ?

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