Delbousquet, òmi de letras de Sòs, "gran país deu sable"

- Tederic Merger

Notice Wikipédia (qui ditz l’essenciau en ua frasa !) :

Emmanuel Delbousquet, né le 17 avril 1874 à Sos en Lot-et-Garonne où il est mort le 19 mai 1909, est un poète et romancier français. Il consacra sa courte existence à la lande qu’il aimait parcourir à cheval et dont il fit le thème récurrent de ses œuvres, en langue française et en gascon.

Que’s morivan joens, en aqueth temps, e mema los borgés !
Borgés, Emmanuel Delbousquet que n’èra ; mei que "borgés", caleré díser, a la mòda gascona, un mèste, o un mossur. Un joen mossur, qui caçava a chivau coma los mossurs !
Eth que s’arreconeishèva d’origina mesclada :

De la part deu men pair tiri de nòbla raça, -
Lo de la mia mair n’estoc qu’un mèste haur
Qui sabèva hargar lo dalh e la destrau -
Mès tots dus, dens mon còr, tenguen parièra plaça.

Un mossur de la campanha qui vivèva, en òmi de letras, deu revengut de las soas bòrdas, e passava ua part deu temps a la soa proprietat d’Espagne, comuna d’Escalans, a un detzenat de km de la soa maison de vila de Sòs...

« J’ai un article à faire - et d’autres lettres - et une prairie à faire faucher » [1]

Delbousquet (vasut e mort a Sòs, 1874 - 1909) que hè pensar a un aute intelectuau passionat deu monde landés : Arnaudin (vasut e mort a La Boèira/Labouheyre - un centenat de km a l’oest de Sòs, mès totjorn dens las lanas, 1844 - 1921) ; medish temps, medisha pausicion sociau privilegiada de proprietari qui pòt consacrar librament la soa vita a ua produccion intelectuau (literari dens lo cas de Delbousquet), medish enrasigament dens las lanas, medish amor deu monde de las lanas : sable, pòble, lenga ...

Víver ad aise deu surplus d’ua economia paisana

Aqueras lanas de Labrit e Gavardan, adara consideradas com un desert iper-rurau qui ne produsís pas gran causa e ne balha pas guaire d’emplec, neurishèva lavetz ua populacion trabalhadora nombrosa, on tots trabalhavan, deus mainatges qui guardavan las vacas a las vielhas qui hilèvan, e tanben quauques "improductius" (au sens baishament materiau !), coma lo Delbousquet, qui vivèvan agradivament deu surplus d’aquera economia en grana part autarcica.
Totun, l’autarcia n’èra pas completa, sustot damb l’invasion deu pinhadar (mès Delbousquet parla mei de piadèras)...
Qu’i calerà tornar, dens un aute article, mei centrat sus l’economia...

País deu sable, pòble, lenga

Atau, la lana qu’ei glorificada dens la poesia d’Emmanuel Delbousquet, las personas qui i viven tanben, los tribalhadors presents pertot, que sian los de la tèrra - boèrs, lauraires -, los de la lana - aulhèrs e aulhèras - e los de la vita vitanta - lavadèras - [2]

Delbousquet a écrit des romans en français dont les acteurs, laboureurs, bergers, lavandières... étaient de langue gasconne. Dans quelle langue les faire parler tout en restant vrai ?
Le cas se présente souvent en littérature, et une solution peut être de citer les paroles en langue originale avec des traductions en bas de page dans la langue de l’auteur. Delbousquet l’a fait, parfois.
Il a aussi fait l’inverse : écrire une phrase de dialogue en français avec une traduction en gascon en bas de page. [3] Comme s’il avait eu peur de manquer de respect pour la réalité, ou de trahir son monde landais...

Mais cette difficulté du choix de la langue pour les dialogues attribués aux lanusquets s’est doublée d’un débat intérieur sur le choix de la langue de l’oeuvre entière, même hors dialogues et citations : Delbousquet a senti la nécessité d’écrire en langue d’oc (en gascon) pour être encore plus fidèle à son pays.
L’exemple de Frédéric Mistral devait aussi l’influencer.
Il est mort juste après sa première oeuvre en gascon : Capbat la lana
Sinon il nous aurait peut-être donné un - ou des - roman(s) entièrement en gascon !

País deu sable, país gascons, país d’òc

País deu sable :

Que boy dens la lenga mayrana
Canta pous aoulhès e pous boès de la lana,
Lou gran païs dou sable en boun parla rouman.

Gasconha :

Amic, qu’ès devarat de las toas montanhas
De cap aus frairs gascons, dens l’antica ciutat [4]
Ende cantar l’amor de tas bèras campanhas
An son los gaves blus, Miquèu de Camelat [5]

Delbousquet est gascon, Toulouse est son centre intellectuel ; sa patrie, c’est le pays qui va de la Garonne à l’Océan et aux Pyrénées. Ramiers et jardins de l’Agenais, dunes de l’Océan, neiges du Béarn, voilà ses frontières . [6]

País d’òc :

Biffons d’abord le mot patois, tout à fait impropre (en ce qui concerne nos dialectes du Midi à peine altérés ; Gascon, Languedocien, Catalan, Provençal)

« Delbosquet felibre, Delbosquet trobaire occitan » [7]

Lui n’est pas "monté à Paris", mès tornat a Sòs !

(Extrait du fil "Gavarra e anhesta - ajonc et genêt")
Gavarra e anhesta - ajonc et genêt Tederic M.

Nous avons évoqué, par exemple avec Jean Rameau (Laurent Labaigt) et Isidore Salles, des écrivains gascons qui montaient à Paris, pour revenir (ou pas, ou bien plus tard) au gascon.

Delbousquet, dont Gérard donne ci-dessus un échantillon des oeuvres de poésie en gascon, n’est pas "monté à Paris" ; il a embrassé les lettres à Toulouse, mais très vite, il a choisi la vie de gentilhomme de lettres (gentilòme caçaire, vau díser !) à Sos et à Espagne, son domaine sur la commune d’Escalans, dans ses gavarras e anhèstas bien aimées.
Il commençait, avec son recueil Capbat la lana, à écrire en gascon quand il a été fauché par la maladie, à 35 ans.

Choisir le gascon vers 1900, quand le peuple landais le parlait encore, mais en avait honte ("Vergonha deu parlar d’a son" dans "Ende har aunor au parlar gascon"), et quand une carrière littéraire en français paraissait possible, ... Delbousquet devait avoir un sentiment puissant du lien entre le pays bien aimé et la langue qui y était parlée.
Il aimait le gascon comme il aimait l’anhèsta et le pinhadar ; comme il aimait le paysan landais, et la paysanne (las lavadèras...).
Au delà de cet amour, il développait comme un programme de récupération :

Il faut apprendre aux enfants à ne pas rougir d’elle [notre langue d’Oc], - et dès qu’ils auront ouvert un seul livre dont le texte sera en gascon et la traduction française, dès qu’ils auront écrit une seule ligne composée de mots de cette langue qu’ils n’osent plus à cette heure que parler tout bas, loin du Maître d’Ecole, le grand pas sera fait, le seul qui importe, le seul qui coûte. Le champ de l’intelligence du peuple Méridional sera élargi considérablement...

ça ne s’est pas passé comme ça*, il nous appartient de comprendre pourquoi, et d’apprécier ce qui reste possible maintenant.

Et bravo à ceux qui maintiennent la mémoire de Delbousquet, les Editions d’Albret, qui ont réédité Capbat la lana avec la présentation et les notes d’André Bianchi, une préface de Maurice Romieu, et une étude de Philippe Gardy, les ATP de Marmande qui ont organisé une veillée sur lui... !

*quand même, plus d’un siècle après la mort de Delbousquet, dans les années 2012-2016, j’ai entendu parler gascon par des vieux de Sos et alentours ; qui sait si l’exemple d’un jeune mèste qui honorait le gascon n’a pas eu quelque effet local ?

Notes

[1p.36 "Capvath la lana", Éditions d’Albret

[2Prefaci de Maurici Romieu a l’edicion de Capbat la lana per las Éditions d’Albret.

[3Philippe Gardy relève ce détail, et l’analyse, en p. 149 de l’ouvrage des Éditions d’Albret.

[4Eusa / Éauze

[5Sovenir de las hèstas d’Eusa - Endeu Miquèu de Camelat

[6Marc Laffargue "Un Barbey d’Aurevilly landais" (Les Marges) - cité dans Capvath la Lana des Éditions d’Albret.

[7Antonin Perbòsc - Espampèl de Capbat la lana

Grans de sau

  • Tederic, tous ceux qui, comme moi, apprécient beaucoup Delbousquet, comme écrivain francophone et gasconophone (hélas, pas suffisamment, ce dernier, comme son chant du cygne) te sont reconnaissants pour ce rappel synthétique où rien n’est oublié de cette vie, très, trop brève. Ce qui nous a privés, comme tu l’as écrit, d’oeuvres qui eussent été de magnifiques illustrations de la langue gasconne.
    A cet égard, je signale la très bonne traduction faite par Miquèu Baris des dix-huit Contes de la lande gasconne ("Condes de la lana gascona"), parue il y a quelques années.
    Resteraient à traduire ses romans...

    • D’après ce que tu m’en as montré, Gérard, la version gasconne de Miquèu Baris est d’une langue très riche.

      Je viens de relire ces Contes de la lande gasconne en français.
      Quelques remarques :
       la plupart des contes se terminent cruellement, voire atrocement pour certains ; dans quelques cas, les victimes sont des animaux : vieille chienne qu’on étrangle parce qu’elle n’est plus bonne à rien, cheval tué par son maître qui fuit la lande sans retour... mais dans la plupart des cas, ce sont les hommes qui sont cruels sur d’autres hommes, jusqu’à la mort et par des procédés imaginatifs, par jalousie, par vengeance...
       ces histoires se déroulent dans des lòcs dont le nom est réel ; par exemple, Janouët, qui fait étrangler sa vieille chienne ("la Fine") - par ses enfants - est le métayer de Came-de-Hérot, commune d’Escalans ; un lòc de Gasconha.com...
      Le Moulin neuf, entre Réaup et Arx, est également aux premières loges d’une bluhe (incendie de forêt) volontaire, et j’ai appris récemment qu’un des meuniers du Moulin neuf avait été accusé de ce même forfait, environ 50 ans après que Delbousquet en ait écrit le conte (L’incendiaire).

  • Après vous être imprégnés du monde d’Emmanuel Delbousquet, vous tombez sur cette curieuse anecdote dans la préface de Michel Suffran écrite pour L’écarteur (Les amis du vieux Nérac/Editions de l’Albret) (3) (4) :
    « Peu avant sa mort, survenue à l’âge de 35 ans, dans sa maison de Sos, le 19 mai 1909, celui qui se proclamait « un païen mystique » écrivit la parabole étrange d’un laboureur qui, un soir, traçant un sillon dans son champ, heurte du soc de la charrue, à demi enfoui dans l’argile, « une sorte de serpent au corps écaillé de brun ». C’était une lame dont la pointe brisée tenait au sol nu et que le heurt avait redressé. Le pommeau en forme de tête d’aigle surmontait une garde en croix ». Le laboureur la saisit, l’éleva à hauteur de ses yeux et branlant la tête, la replanta au bord du labour ». Le lendemain après une nuit d’insomnie, dès l’aube, il revient vers son champ. « L’épée était là, comme une croix en haut du tertre, là où il l’avait mise, et le bouvier la vit briller au soleil comme si du sang frais l’eut teintée »

    Participez à « l’émergence d’un peuple gascon créatif », en imaginant ce qui a bien pu se passer durant cette nuit d’insomnie en développant l’histoire dont Delbousquet avait noté la fin et le début sur un calepin noir.

    Tous les genres littéraires sont acceptés en réponse à ce post (poésie, policier, psychologique, science-fiction, étude de mœurs, historique, pastiche, fantastique, heroic fantasy, documentaire, feel good etc.., voire même régionalisme) . Pas de contrainte de longueur (toutefois si plus de 3000 signes joindre un fichier doc). Ouvert à tous les âges, à toutes les nationalités et à tous les sexes. Texte en français. Une version en gascon sera certainement la bienvenue (mais des versions en d’autres langues le seront aussi, en breton, papou, occitan, basque, tchoutche, alsacien, béarnais etc…)

    Merci de faire suivre à des gens possiblement intéressés. En vous remerciant.
    Jean-Paul Ducos

    1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Emmanuel_Delbousquet
    2. https://www.gasconha.com/spip.php?article8350
    3. https://fr.shopping.rakuten.com/offer/buy/49335643/Suffran-Michel-Oeuvres-Completes---Emmanuel-Delbousquet---N-2---Miguette-De-Cante-Cigale-Livre.html
    4. https://albret-tourisme.com/sortir/vie-locale/offre/502-amis-du-vieux-nerac-editions-dalbret.html

  • Bonjour Jean Paul,
    Vous ne dites pas ce que seraient les critères de jugement, les personnes composant le jury et... le prix à gagner : un jambon ? un cuissot de chevreuil, un jeu de quilles de neuf complet ? Le prix sera-t-il remis dans la bonne ville de Moncrabeau ?

  • Je pense ne rien gagner, mais fournirai une version en tchouktche sur demande :
    Ce qui a pu se passer pendant la nuit autour de l’épée plantée au bord du labour ? sangliers, lapins... normalement, pas un être humain !

  • A propos du post "Sujet de rédaction n°1 : L’épée de Delbousquet", je ne pensais pas à un concours littéraire (pas de date limite). Mais cela peut être une bonne idée à creuser si elle vous parait intéressante.
    Moncrabeau ? Le village des menteurs ? Peut-être feu Michel Suffran a-t-il inventé lui-même cette note manuscrite qu’il mentionne dans la préface de L’écarteur ( voir photo ci jointe). Pour bien faire, il faudrait la retrouver, la prendre en photo et la mettre sur votre site. Mais je ne sais pas si nous pouvons consulter les vieux papiers de Delbousquet quelque part (?). J’ai demandé par email aux éditeurs, Les Amis du Vieux Nérac : j’attends encore leur réponse. Quelqu’un connait il cette association ? Si oui, merci de faire suivre cette demande.
    Amicalement
    Jean-Paul

  • Je vais proposer ,au prochain atelier d’écriture, que je dois animer cette fin de semaine, la suggestion de JP Ducos. ...C’est un atelier en langue française !
    Il m’aurait plu de créer ou de participer à un atelier d’écriture en occitan (sous toutes ses formes ,of course !), en existe t il ?
    J’ y ai passé beaucoup d’énergie à une époque...et ai renoncé faute de participants, la création littéraire pure semble intéresser peu de personnes, qui ont pris pour habitude d’écrire seuls dans leurs coins..

  • Bonjour Danie,

    C’est avec grande impatience que nous attendons les premières propositions/ solutions pour cette énigme littéraire.
    Mon meilleur souvenir du collège c’est quand on nous disait "Vous avez une heure pour imaginer la suite ... (de ceci ou de cela)" d’où "Sujet de Rédaction" comme titre de ce post.
    Amicalement
    Jean-Paul

  • Il n’avait rien mangé en rentrant du champ. Rose n’avait pas compris et
    avait remisé sa garbure pour le lendemain.
    Elle n’avait pas davantage compris pourquoi sa nuit fût si agitée, il avait
    tourné et retourné dans le lit sans trouver le sommeil. Elle n’avait pas
    dormi beaucoup non plus mais n’avait pas osé l’interroger. Qu’est ce qui le
    tourmentait à ce point ? Qu’est ce qui s’était passé au champ ?
    Son homme c’était un taiseux, il économisait les paroles comme il
    économisait l’argent des récoltes pour être sûr d’atteindre la saison
    suivante.
    Il n’avait pas du tout dormi, le taiseux… Dès que l’épée était sortie du sol
    libérée par le soc il avait senti monter cette angoisse qui ne devait plus le
    quitter et lui tordait l’estomac.
    La tête d’aigle du pommeau avait quasiment pris vie, les deux yeux du
    rapace s’étaient plantés dans les siens avec un mélange d’arrogance et de
    soulagement… enfin… !!!
    Il avait tout de suite compris que sa découverte avait réactivé le
    sortilège.
    Les anciens disaient bien qu’elle était quelque part en Gascogne, enfouie
    pendant la 3ème croisade disait-on. Mais c’était une légende et les
    légendes ont été inventées pour faire rêver… mais celle là l’empêchait de
    dormir… Ce n’était pas une légende c’était bien ELLE !
    La crainte que son sort soit définitivement scellé à cette trouvaille le
    faisait trembler.
    Qu’allait devenir sa vie ? il devrait partir dès le lendemain, trouver un
    cheval et prendre la route du nord bien sûr.
    Au petit matin, harassé, il s’était pourtant résolu à retourner au champ. Il
    restait encore une chance minime certes, mais une chance quand même.
    Est ce que l’épée était toujours plantée au bout du tertre ?
    Est ce qu’elle résisterait à ses efforts pour la dégager ?
    Peut-être bien qu’elle aurait tout simplement disparu ?
    Alors là, ce serait le signe : Arthur était de retour.
    Pascale Bergé

  • Après le texte de Pascale Bergé, celui de Jean-Claude Vergnes :

    La pleine lune inonde sa chambre d’une clarté lugubre. Les yeux grands ouverts, il fixe le plafond. Cette épée sortie des âges, a-t-il bien fait de l’exhumer, de la remettre en pleine lumière ? N’a-t-il pas ouvert la boîte à pandore avec tous les maléfices qui s’en échappent ? Qu’a-t-il déclenché ?

    Le cri d’un chat huant lui glace le dos. Cette nuit n’en finit plus. La lune a bloqué les ténèbres pour mieux éclairer sa propre responsabilité. Il essaie de se rassurer, il n’avait aucune mauvaise intention. Lui, il le sait bien. Mais les autres, les innommables, ceux dont l’âme veille sur leur dépouille abandonnée. Ceux qu’il a peut-être dérangés. Il a trop écouté les récits des anciens, leurs légendes et leurs superstitions. Il a tellement fantasmé ce monde invisible que les frontières du réel et de l’imaginaire se sont dissoutes.

    Il angoisse maintenant. Cette lame a-t-elle trucidée des innocents ? Si c’est le cas, des cris sourds s’échapperont de l’acier maudit. Il ne les entendra pas, ne les verra pas, ne les sentira pas. Mais ils flotteront sur son champ, dans les sillons de ses labours, accompagneront chacun de ses pas, se poseront sur son épaule. Mon Dieu, c’est terrifiant comme pensée. Il n’arrive pas à les chasser. Elles sont là devant ses yeux écarquillés, il les déglutit dans sa gorge desséchée.

    Il prie. Demain aux premières lueurs il retournera la voir.

    En implorant le ciel qu’elle soit restée muette. Sans aucun signe de résurrection maléfique.

  • Puisqu’il s’agit ici d’une classe d’écriture et que nous sommes sur un site gascon, je propose la traduction suivante de texte de Mme Bergé. Et bien sûr je serais heureux de susciter des challengers qui proposeraient une autre traduction que la mienne ,certainement pas parfaite (et qui admet des corrections éventuelles !) :

    N’avé pas minjat arren au tornar deu camp. Ròsa n’avé pas comprés e qu’avé remetut la garbura tà l’endoman.
    N’avé pas tanpauc comprés perque la nuèit estosse tan agitada per eth, que s’avé virat e arrevirat hens lo lièit xens trobar lo som. Era n’avé pas tròp dromit tanpauc mes n’avé pas gausat l’interrogar. Qu’es çò qui’u chepicava tant ? Qu’es çò qui s’era devanat au camp ? L’òmi qu’era un parlapauc, qu’estauviava las paraulas coma los dinèrs de las cuelhudas tà estar segur d’atenher la sason d’après.
    N’avé pas dromit briga, lo parlapauc… Autanlèu l’espada sortida deu sòu, liberada per l’arrelha, qu’avé sentit com pujava l’ansia qui no’u voleva pas deixar e li torceva l’estomac.
    Lo cap d’agla deu pomèu que s’era quasi avitat, los dus uèlhs deu rapaç que s’eran plantat hens los sons dab ua mescla d’arrogància e de solaç… enfin !!!
    Qu’avé de tira comprés la sua descoberta qu’avé donat ua vigor navèra au broixami.
    Los vielhs be disevan qu’era endacòm en Gasconha, enclotada a la tresau crotzada, çò disevan. Mes qu’era ua legenda e las legendas qu’eston inventadas tà har saunejar… Mes aquera, que ‘u tirava lo som. N’era pas ua legenda, b’era ERA !
    La cranhença que lo son hat estosse definitivament estacat a’d’aquera tròba qu’u haseva tremolar.
    Com la sua vita e s’aneva devanar ? Que dev s’encaminar autanlèu lo lendoman, trobar un chibau e prener lo camin de bisa, solide.
    De d’òra au matin, estadit, que s’era totun decidit a tornar au camp. Que damorava enquera ua possibilitat, minima de segur mès ua possibilitat. Era l’espada enquera plantada au cap deu terrèr ? E resistiré aus sons esfòrç tà la desgatjar ? Benlèu qu’auré simplament desapareixut ? Alavetz que seré lo signe : Artur qu’avé tornat.

  • Il faut mettre l’accent sur les accents.

    N’avè pas minjat arren au tornar deu camp. Ròsa n’avè pas comprés e qu’avè remetut la garbura tà l’endoman.
    N’avè pas tanpauc comprés perque la nueit estosse tan agitada per eth, que s’avè virat e arrevirat hens lo lieit xens trobar lo som. Era n’avè pas tròp dromit tanpauc mes n’avè pas gausat l’interrogar. Qu’es çò qui’u chepicava tant ? Qu’es çò qui s’èra devanat au camp ? L’òmi qu’èra un parlapauc, qu’estauviava las paraulas coma los dinèrs de las cuelhudas tà estar segur d’aténher la sason d’après.
    N’avè pas dromit briga, lo parlapauc… Autanlèu l’espada sortida deu sòu, liberada per l’arrelha, qu’avè sentit com pujava l’ansia qui no’u volèva pas deixar e li torcèva l’estomac.
    Lo cap d’agla deu pomèu que s’èra quasi avitat, los dus uelhs deu rapaç que s’èran plantat hens los sons dab ua mescla d’arrogància e de solaç… enfin !!!
    Qu’avè de tira comprés la sua descoberta qu’avè donat ua vigor navèra au broixami.
    Los vielhs be disèvan qu’èra endacòm en Gasconha, enclotada a la tresau crotzada, çò disèvan. Mes qu’èra ua legenda e las legendas qu’eston inventadas tà har saunejar… Mes aquera, que ‘u tirava lo som. N’èra pas ua legenda, b’èra ERA !
    La cranhença que lo son hat estosse definitivament estacat a’d’aquera tròba que’u hasèva tremolar.
    Com la sua vita e s’anèva devanar ? Que dev s’encaminar autanlèu lo lendoman, trobar un chibau e préner lo camin de bisa, solide.
    De d’òra au matin, estadit, que s’èra totun decidit a tornar au camp. Que damorava enqüèra ua possibilitat, minima de segur mès ua possibilitat. Era l’espada enqüèra plantada au cap deu terrèr ? E resistiré aus sons esfòrç tà la desgatjar ? Benlèu qu’auré simplament desapareixut ? Alavetz que seré lo signe : Artur qu’avè tornat.

  • Merci, j’ai toujours été nul pour les accents, dans toutes les langues que je pratique !

  • Merci pour ces belles traductions, c’est toujours une re-création, j’en fait part aux auteurs.

  • Avec plaisir mais pour l’instant il n’y en a qu’une. Si cela intéresse l’auteur du second texte, je peux m’y mettre, à moins que ça tente d’autres personnes aussi.

  • Leur nuit de noces fut longue, douce et agitée, comme il se doit. Quand Rosa ouvrit les yeux, le soleil était déjà haut. Elle se leva d’un bond : leur nuit de noce ? Mais c’était de l’histoire ancienne ! Pourtant, elle n’avait pas rêvé… Aussitôt, ces deux mots lui vinrent à l’esprit : « pain blanc ». C’était la voisine, cette sorcière de Zaïde, qui leur avait sorti, deux mois à peine après leur mariage, qu’ils avaient déjà fini de manger leur pain blanc.
    Elle n’avait pas eu totalement tort, avec toute cette misère, son homme qui revenait harassé des champs et filait droit au lit après avoir mangé la garbure, en branlant la tête. Que ce soit du bon et du mauvais, il branlait toujours la tête ! Ah oui, la prochaine fois qu’elle la croiserait, elle lui dirait à la Zaïde, mine de rien, qu’il leur en restait encore à manger du pain blanc la cinquantaine passée !
    La cuisine est déserte. Le loquet de la porte de la souillarde a été réparée, dans la cour le cyprès qui était tombée sur le poulailler débité en tronc régulier. Ne nous plaignons pas, il y a toute de même des journées qui commencent bien.
    Malheureusement, non : par-dessus l’enclos, Zaïde la regarde de son œil mauvais, chargé de toutes les méchancetés et maléfices du monde. Mais non ! Surprise, elle lui tend un pot de grès, ses yeux emplis de larmes. Son chat était coincé en haut du grand chêne, son homme, il a branlé la tête et il a escaladé le tronc, elle ne sait comment, pour aller le chercher.
    —  Pardon ?
    —  Attendez. Ne bougez pas. Je vais vous amener aussi un bon pain de froment pour manger avec ce gouffit.
    A la barrière de l’enclos, Rosa n’en revient pas, murmurant plusieurs fois : « pas la peine, cinquantaine, pain blanc, vous savez, encore, nous en reste… ». Elle décide de le rejoindre. Il a marmonné qu’il n’avait pas fini de labourer le champ de l’Aigle Endormi, de l’autre côté du village.
    Elle tombe sur le vieux berger béarnais qui ne descend jamais de ces échasses. On a toujours du mal à comprendre ce qu’il baragouine. Heureusement, le fils Peyron qui a fait son service militaire à Pau, passe par là et traduit. Une brebis était tombée dans un puit, il est descendu en écartant les bras et les jambes et, il ne sait comment, il a pris la brebis sur son épaule et est remonté avec,
    —  Pardon, qu’est-ce qu’il dit aussi ?
    —  Qu’il n’a jamais vu ça, même en Béarn !
    Rosa file. Devant l’église, un attroupement. Le curé : « Il a soulevé la pierre de Sainte Gudule d’un seul coup de rein, dessous nous avons trouvé les reliques de la Sainte que les barons ont ramenées de la troisième croisade. Nous avons prévenu l’évêché ».
    Rosa allonge le pas. Sous les ruines du château, un autre attroupement. L’apothicaire : « Il a dégagé le tunnel, du fond il a ramené cette stèle, ces inscriptions sont la preuve irréfutable que notre vénérable langue était déjà parlée deux mille ans avant Jésus Christ. Le président de la Société Savante et Archéologique du département est en route ».
    Rosa accélère. A la sortie du village...

  • E lo vilatge que comença de ’s destimborlar !
    Cette Rose semble courageuse et saura épauler "son homme parlapauc (taiseux)" dans l’épreuve qui arrive. Bèth chivalier... Partira-t-il à cheval vers le nord, dans un chassé-croisé avec le mystérieux Arthur ? Rose lui préparera des provisions pour la route, utilisant sans doute le pain de froment et le "gouffit" donnés par la sorcière bipolaire Zaïde* pour remercier du sauvetage du chat. La garbure, ce n’est guère commode à emporter ?
    Il y a bien des signes lugubres comme "le cri d’un chat huant" mais pas encore de ces scènes cruelles à la Delbousquet. Evitons-les peut-être ?

    * Dans ma mémoire familiale, ce n’était pas Zaïde, mais Zénaïde (mais le n entre voyelles tombe facilement en gascon) ; elle était de Fourcés, et disait qu’à Fourcés l’écorce des platanes n’était pas comme à Réaup, et que la lune ne se levait pas du même côté (ça, c’est possible)... Elle disait aussi de faire attention de ne pas "lixer" (glisser) dans le folidor (corridor).

  • Mais bien sur que la "revirada " intéresse J-C V (je me permets de répondre pour lui, ce n’est pas bien mais vous m’excuserez, c’est pour la bonne cause) c’est un homme cultivé et curieux et d’ailleurs je vais lui offrir "Contes del meu ostal" de J.Bodon à notre prochain atelier puisqu’il voulait lire cet auteur.

  • Il rentra d’un pas lourd et pensa à ce qui l’attendait, une nausée monta, vite réfreinée ; il respira calmement mais avait encore l’odeur du sang frais dans les narines, elle avait hier les mains rouges jusqu’aux coudes. Il la revoyait penchée, puis agenouillée sur la bassine en cuivre à malaxer le sang frais du cochon qu’il venait de tuer. Il n’aimait pas cela et devait penser aux boudins qu’il adorait manger pour accepter la tuerie et cette préparation qui était si fatigante.

    Par ces temps de disette ils avaient élevé le cochon en le cachant à la cave et n’avaient appelé ni voisin ni famille, il avait même laissé entendre que Zélie avait une méchante pneumonie avec une température de cheval afin que personne n’approche la maison. Il avait vu Émilien, le voisin, l’éviter ce matin,c’était bon signe, ils ne seraient pas dérangés et il s’était rendu aux champs comme d’habitude et avait laissé sa femme poursuivre seule le travail. Avant de partir, il avait ravivé le feu ou cuisait sans doute, désormais, la graisse avec les petits bouts de viande détachés des os, elle avait dû brasser la chair à saucisse, casser les œufs dans les abats frais, pour faire la chair à pâté, mais avant elle aura rincé les boyaux, les aura raclés du plat du couteau et les aura lissés, retournés, lavés puis mis à tremper dans l’eau assaisonnée d’eau de vie cette aiga guardent qui servait à se requinquer lors d’un frisson soudain, à partager un petit coup avec le voisin mais aussi à soigner la blessure de l’homme ou de la bête, cela désinfectait le dedans comme le dehors. Peut être en mettrait elle un peu dans le pâté avec quelques baies de genièvre et des petites plantes dont elle seule, connaissait le secret ?

    Il la revoyait, sa Rose à vingt ans, belle, tournoyante à la fête du village, frémissante à sa vue ; il avait été ébloui mais il la préférait aujourd’hui le sein pétri de sa main à lui, de sa main seule et mordante, de sa lèvre caressante. Chaque jour, la joie quotidienne partagée des petits bonheurs recréés, le gâteau encore chaud qu’elle lui tendait au moment du départ « tu l’auras tout à l’heure ». Oui, il aimait ce corps alourdi qui se donnait en une confiance totale et qui savait aller le chercher quand il se réfugiait dans des tracas, dans des peurs qui venaient de loin. Elle seule savait et le faisait aller plus loin, sur sa propre route. Elle avait toujours fait face, toujours été là, avait trouvé en lui des forces mais aussi lui en avait donné. Elle ne se plaignait jamais et souriait à la vie, ils partageaient, échangeaient, comme si l’un était le moteur de l’autre.

  • Mais que rêvait il ? Elle l’attendait, c’était sûr, il accéléra le pas, quitta les sabots sous l’emban et se trouva en chaussons noirs, ah s’il n’était pas si fatigué si vieil, il lui ferait bien danser la scottish ou la mazurka, un, deux trois, hop, ça lui fait tant plaisir ! Il poussa la lourde porte, la vit, sa Zélie, elle avait dû l’entendre arriver, avait mis la tisane à chauffer, un, deux ,trois, hop ! Elle s’essuyait les mains au tablier blanc, un, deux ,trois, hop. Il se sentait moins fatigué, plus léger, un, deux, trois hop.
    La chair avait été brassée, malaxée, et c’est ensemble et seuls qu’ils préparèrent saucisses et boudins, le régal de demain. "Les graisserons sont tout chauds" dit elle "nous allons les goûter", un, deux, trois hop, ils furent mangés et toute la nuit, un, deux, trois, boudin, saucisse, coppa, hop, jambon au sel, viande confite, hop, dans les pots de graisse, hop, nuit d’insomnie, oui mais oh, combien jolie.

  • J’ai envoyé ma bafouille (en 2 parties car trop longue, oups !) j’attends désormais celle en tchouktche avec sangliers et lapins, pas vous ?

  • espada, espasa = épée

    « Ce qui a pu se passer pendant la nuit autour de l’épée plantée au bord du labour ? sangliers, lapins... normalement, pas un être humain » !

    J’avais bien écrit « normalement », mais on commence à comprendre que, dans cette histoire, tout ne sera pas normal.
    Pour ce qui est du Parlapauc (le taiseux), la sorcière lui a conseillé d’éviter le pays des Sarrasins, infesté de factieux à l’épée facile, et qui comprennent à peine le tchouktche. Mais à celle-là, faut-il faire confiance ?
    Mais n’anticipons pas : si vous avez bien suivi, le voyage ne se décidera que quand le taiseux retournera au champ où il a trouvé l’épée à tête d’aigle, Pascale l’a écrit (je reprends sa traduction en tchouktche pour que tout le monde suive) :

    « Que damorava enqüèra ua possibilitat, minima de segur mès ua possibilitat. Era* l’espada enqüèra plantada au cap deu terrèr ? E resistiré aus sons esfòrç tà la desgatjar ? Benlèu qu’auré simplament desapareixut ? »

    *Il manque encore un accent à Era, je crois : Èra (È : Alt + 212 avec le clavier Windows tchouktche)
    Revirada.eu : Elle était encore plantée au bout du terrain > Qu’èra enqüèra plantada au cap deu terren

  • Rosa accélère. A la sortie du village...
    ... les machines de la scierie tournent à plein régime. Pourtant, il y a plusieurs semaines de cela, elles sont toutes tombées en panne. On a fait venir une équipe de mécaniciens italiens pour les réparer mais qui s’y attèle en vain depuis.
    Le maitre de la scierie tourne une manivelle, les machines se taisent. Il interpelle Rosa en l’appelant Dona - elle, l’épouse d’un laboureur ! -. Entouré des italiens, il s’approche d’elle avec le plus grand respect, le béret à la main qu’il époussète :
    —  Dona Rosa, il leur a montré comment les remettre en route en un tour de main, ils demandent où il a appris la mécanique.
    —  Qu’est-ce qu’ils disent aussi ?
    —  Qu’ils n’ont jamais vu ça, même en Italie !
    —  Et ?
    —  Ah oui, ils demandent aussi pourquoi il fait toujours comme cela avec la tête ?
    —  Je ne sais pas. Il la branle toujours, que ce soit du bon ou du mauvais.

    Rosa court, vole. Son Parlapauc, incapable de réparer un moulin à poivre, voilà qu’il explique maintenant à des étrangers comment réparer leurs machines compliquées ! On aura tout entendu. Il ne manque plus que des animaux qui parlent maintenant.
    Dans une montée, elle reprend son souffle, entend un grand brouhaha au village, se retourne : c’est tout un cortège qui en sort et prend à sa suite le chemin du Tuc, c’est toute la forêt qui se met à vibrer et frémir de vie d’un seul coup sous le vent…

    Pendant ce temps, Zaïde traverse l’allée des platanes apportant un gros pain blanc. Son chat la suit. Comme tout à l’heure, quand elle portait le pot de gouffit à bout de bras, elle a l’impression que quelque chose cloche, quelque chose qui ne tourne pas rond… Mais, encore toute à son besoin de remercier les voisins, elle n’y prend pas garde cette fois-ci non plus.
    Rosa n’est pas restée à la barrière de l’enclos. Zaïde tire le fil de la clochette…
    —  Entrez Madame Zénaïde, entrez, j’ai les mains prises…

    Arrivée au sommet du Tuc, Rosa l’aperçoit en contrebas, dans le champ de l’Aigle Endormi, qui soulève une épée, brillante au soleil comme si du sang frais la teinte.
    Elle le voit son homme qui branle la tête…

  • Texte de Solange D

    Le rêve de l’agriculteur.

    Cette épée déterrée ce matin m’obsède. Que s’est il passé dans ce champ ? D’où vient cette épée avec ce beau pommeau sculpté ?

    Quel est ce maure venu se battre ici ?
    La bataille a fait rage, son régiment s’ est disloqué, son cheval s’emballe, il tombe , se relève , se courbe et s’enfonce dans la lande où il cache son épée et meurt.

    Cette épée vient peut-être d’un officier chevaleresque, parti à la conquête d’un monde nouveau où il rêvait de s’installer avec sa famille. Mais que de drames, ce rêve fou a t-il créé autour de lui ! Son palais abandonné, sa famille détruite, ses amis perdus, son pays vainqueur ou vaincu a-t-il trouvé richesse et prospérité ou malheur et misère ?
    La guerre ,j’ai horreur de ce mot porteur de tristesse, de violence, de malheur. Pourquoi encore aujourd’hui, ce mot reste-t-il dans l’esprit de l’homme et met à mal le genre humain ?
    Quand cela s’arrêtera-t-il ?

    Chevaleresque : honneur et gloire à quoi ça sert ? A cacher le pourquoi de la bataille ; mort et détresse alentour ? Le progrès ne peut-il se faire dans la recherche d’une humanité plus généreuse et égalitaire ?

    La porte s’ouvre au changement de vision de nos sociétés. Que philosophes et humanistes et nous tous, trouvions des solutions !...

  • Résumé des épisodes précédents : Zaïde ramène un gros pain blanc chez Rosa pour remercier son mari d’avoir attrapé son chat qui était coincé en haut d’un chêne. Quand elle traverse l’allée des platanes, quelque chose ne tourne pas rond. On l’invite à rentrer en l’appelant Zénaïde...

    —  Entrez Madame Zénaïde, entrez, j’ai les mains pleines de sang !

    C’est Rosa, les bras nus, qui brasse la chair et la graisse jusqu’aux coudes, détache les petits bouts de viande des os, casse les œufs, hache ail et persil, abats et serpolet, brasse le mélange les bras nus jusqu’aux épaules…
    —  Oh merci, Madame Zénaïde comme c’est gentil, avec tout ce travail je n’ai pas le temps d’aller à la boulangerie. Rangez-le dans le placard, s’il vous plait. Pouvez-vous me passer le moulin à poivre sur la cheminée.
    Rosa qui rince les boyaux, les racle du plat du couteau, les lisse, retourne et trempe dans l’eau…
    —  Comment va monsieur votre mari ? Le pauvre, toujours aussi souffreteux ?
    —  Oh, et la bouteille d’eau-de-vie aussi.
    —  Nous ne saurons jamais comment il a réussi à monter dans le chêne avec son mal au dos, le pauvre !
    —  Dieu merci, il est toujours aussi agile, Madame Zénaïde il est parti labourer le champ de l’Aigle Perché. Il devrait l’avoir fini bien avant la sirène de midi.
    —  Zaïde, pas Zénaïde, ma petite.

    Comme si Rosa ne savait pas que son petit nom était Zaïde, depuis le temps qu’elles sont voisines... D’où ont-ils sorti ce cochon ? Quel champ de l’Aigle Perché ? Quelle sirène de midi ? Est-ce une sorte de cloche ?

    Des gouttes de sueurs perlent sur le front de Rosa qu’elle essuie de l’avant-bras, quelques-unes s’en échappent, coulent jusqu’aux commissures de ses lèvres écarlates qu’elle lèche d’un revers de langue. Ce n’est pas possible ! Sous ce profil, sous ces rayons de soleil qui tombent obliques sur son visage, Rosa parait n’avoir que vingt ans !

    Zaïde sort en chancelant, répond à peine au bonjour du fils Peyron qui fait le facteur depuis qu’il est revenu du service militaire.
    Dans l’allée des platanes, elle comprend ce qui cloche : les troncs muent de plus en plus vite, les morceaux des écorces bougent à vue d’œil, s’écartent, se superposent, se croisent… A chaque instant, ils changent de couleur et racontent une nouvelle histoire.
    Le monde est devenu un cornet à dés juste avant le lancer…

    Le nez collé à un tronc, elle entend le Peyron lui demander si elle avait connaissance que Rosa s’était trouvée une sœur jumelle, du coup c’est embêtant, lui le facteur, il ne peut dire qui est Rosa, celle qu’il a croisée partant au village ou celle qui vient juste de jeter des restes d’un cochon au fumier devant sa maison.
    Un lapin détale entre eux.
    Le chat de Zaïde se lance à ses trousses.
    En aboyant…

  • Solange nous fait part du rêve pacifiste de l’agriculteur, autrement dit du "Parlapauc" ou "Taiseux", qui est aussi le mari de Rosa.
    Je me demande si elle ne projette pas sur le Parlapauc sa propre hantise de la guerre - que certes nous partageons toutes et tous ; pourtant, à la lire, c’est autant le mot "guerre" qui lui fait horreur, que la réalité qu’il signifie :

    « La guerre ,j’ai horreur de ce mot porteur de tristesse, de violence, de malheur. Pourquoi encore aujourd’hui, ce mot reste-t-il dans l’esprit de l’homme et met à mal le genre humain ? »

    Mès acò rai... je vois aussi une contradiction avec ce qu’a écrit Danie :
    « il avait tourné et retourné dans le lit sans trouver le sommeil » ; or, si pas de sommeil, pas de rêve ?

    Moi, je pense qu’il a dû avoir un sommeil haché, et rêver plusieurs fois.

    Et pour moi, l’épisode des mécaniciens italiens, relaté par Paul, le Parlapauc l’a simplement rêvé, comme d’ailleurs d’autres scènes que Paul présente comme réelles, par exemple le sauvetage du chat de la sorcière en haut de l’arbre.

    « Son Parlapauc, incapable de réparer un moulin à poivre »

    Eh oui, il est là le traumatisme ! Le Parlepauc a été vexé de ne pas savoir réparer ce moulin, alors que Rosa avait besoin de poivre moulu pour la garbure (ou le farci, on ne sait plus). De dépit, il était d’ailleurs parti au champ où il a trouvé l’épée sarrasine à tête d’aigle...
    Ses tourments ont donc commencé avec ce satané moulin à poivre !
    Et lui est remonté un épisode professionnel difficile, quand il avait travaillé à l’usine Xilofrance de Damazan :Re : Une jeune entreprise en difficultés
    "Les [mécaniciens] Italiens nous insultaient, nous traitaient d’incapables et refusaient de nous parler en Français et de nous expliquer quoi que ce soit."
    Quelle revanche alors pour lui, mais hélas en rêve seulement, de damer le pion à ces mêmes mécaniciens, qui séchaient depuis plusieurs semaines sur la panne de la scierie !

  • Le projet littéraire de Delbousquet (mort en 1909), évoqué par Suffran dans sa préface à l’Ecarteur (photo ci-jointe), n’était-il pas celui d’une éloge de Morta e Viva de Camelat (paru en 1920), cela suite à leur rencontre au fêtes d’Eauze en 1904 ?
    1. Il est difficile de se procurer Morta e Viva mais, au bout du lien plus bas, on trouve son analyse ainsi que les résumés des chants qui le composent dans les annexes (X Ravier, 2005, L’espace gascon et roman d’après Camelat, Récits d’Occitanie, p 111-130) :
    https://books.openedition.org/pup/6231?lang=fr
    2. Il s’agit du récit épique de l’histoire de la Gascogne (certains diront le fruit d’une vision idéologique !), des guerres menées par les gascons au cours des siècles contre les romains, les goths, les vandales, les francs, les mérovingiens, les carolingiens, les maures, les vikings et, pour finir, contre les barons du Nord de la croisade des albigeois (?).
    3.Les batailles oubliées ne manquent pas qui pourraient avoir eu lieu dans le champ que laboure le personnage de Delbousquet et duquel il exhume cette épée (il aurait pu trouver tout aussi bien des cranes percés, des casques pourfendus, des boucliers défoncés). Par exemple, le chant II évoque la défaite des sotiates contre Crassus, le lieutenant de César. Ne pas oublier que Delbousquet vivait à Sos, première cité gasconne vaincue par les romains.
    4. Morta e Viva commence par une parabole : la Gascogne est pareille à « une vieille souche de sapin, pourrie et tombée en lambeaux...? ». Est-elle encore vivante ?
    5. Delbousquet a rencontré Camelat aux fêtes d’Eauze en 1904 lors d’une assemblée de félibres gascons (voir compte rendu dans l’Armanac de la Gascougno 1905, page 60). Il admirait le travail de Camelat comme le prouve le poème qu’il composa en cette occasion en l’honneur de Beline, ouvrage de Camelat paru en 1899 (voir page 53 de ce même almanach) :
    https://occitanica.eu/items/show/14998
    6. En 1904 Camelat avait déjà commencé de travailler sur Morta e Viva : « On peut néanmoins tenir pour établi que dès 1898 ou même avant Camelat avait ouvert le chantier de Morta e Viva, sans doute en se livrant au rassemblement de la documentation qui lui serait nécessaire… ». Il est probable que Camelat ait fait part de son projet à Delbousquet lors de cette assemblée.
    7. Dès lors, le projet de Delbousquet n’était-il pas d’écrire par anticipation un poème à la louange de Morta e Viva de Camelat ?
    8. A l’image d’une racine pourrie, Delbousquet préfère l’image d’une épée que l’on déterre.
    9. Le laboureur n’est-il pas un lecteur ? L’épée, le livre de Camelat qui a pour but de démontrer que la Gascogne est vivante ? Le lecteur a des doutes quant à l’objectif de ce livre : il branle la tête !
    11. La nuit d’insomnie n’est-il pas le temps nécessaire à lire ce livre ?
    12. Le matin, le lecteur voit l’épée « briller au soleil comme si du sang frais l’eut teintée ». Il est convaincu : la Gascogne est vivante.

  • Solange D (post 23) propose d’introduire des maures dans le récit dont Delbousquet avait seulement eu le temps d’esquisser le début et la fin.
    Téderic pense qu’il vaut mieux l’éviter : « la sorcière lui a conseillé d’éviter le pays des Sarrasins, infesté de factieux à l’épée facile ».
    Si on lit les œuvres de Delbousquet, en particulier L’écarteur (Les Amis du Vieux Nérac, 1999), force est de constater que Solange D a raison. En effet, page 139 de L’écarteur, on lit à propos de Valéria, l’héroine de ce roman : Elle subissait, inconsciente, par-delà les siècles, l’influence de la vieille race sarrasine mêlée au sang latin depuis la conquête romaine.
    Pour nous les armagnacais (1), rejoignant en cela Delbousquet, le chantre du pays de sable, le landais typique est grand, mat de peau et a de longs sourcils très fournis. Ma tante paternelle avait épousé un landais, un monsieur Lalanne, qui avait cet aspect. Leur fille, ma cousine, était d’une beauté digne des Mille et une nuits…
    N’exagérons pas : si certains landais ont sans doute quelques gouttes de sang berbère, cela n’est pas significatif à l’échelle de la population comme discuté ailleurs sur ce site ( L’ADN des basques), en tous les cas pas plus que dans le reste de la France (2)
    Il n’en reste pas moins vrai que l’épée de Delbousquet ait pu appartenir à un cavalier maure.

    Paul

    (1) Andelmie, la rivale de Miguette de Cante-Cigale, une armagnacaise des terres fortes, a le teint pâle, les cheveux blonds et filasses, « trahissant une race étrangère ».
    (2) M Bertholon. La colonisation arabe en France 1886
    https://www.persee.fr/doc/linly_1160-641x_1886_num_5_1_16264
    (Gondrin)
    Les Sarrasis

  • « Une promenade sur les hauteurs de Cavaillon, à 8 ans, où, arpentant un site celtique, il trébuche sur un fragment d’amphore qui lui fait « l’effet d’un aérolithe ». Un choc avant tout romanesque, proche d’une expérience de science-fiction. »
    (Philippe-Jean Catinchi, en hommage à Paul Veyne dans "Le Monde", 1er octobre 2022)

    L’enfant de 8 ans était Paul Veyne, historien provençal décédé l’an passé, qui « refusait à l’histoire le statut de science et, en la qualifiant d’intrigue, la ramenait dans le champ de la littérature ».
    (Jean-Michel David dans "Le Monde", idem)


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