L’été, c’est juin-juillet-août, je défie quiconque de venir dire le contraire, et la dernière semaine d’août, qui plus est suite à un été chaud, qui a "automnisé" les paysages, appartient déjà à septembre, et à la "rentrée", qui est un sentiment plus qu’une réalité pour ceux qui ont quitté le cursus scolaire, depuis plus ou moins longtemps.
Nous étudions la Gascogne, mais que se passe-t-il chez nos voisins et autres contrées plus lointaines ? Qu’y verra un même œil (le mien) ?
I - Juin
Juin, les aléas professionnels m’ont amené à Rodez, pour audience (je suis avocat). C’est une ville agréable, très "montagnarde" dans l’aspect qu’elle procure : à de nombreuses reprises, l’on pouvait se croire à Tarbes ou Pau.
La ville est devenue ces dernières années une destination touristique prisée, Soulages oblige. Je suis peu sensible à son art, mais force est de constater que cela marche : de l’importance d’une figure locale à la réputation internationale, qui vient faire rayonner son pays d’origine. Nos Gascons ne seraient-ils pas trop tournés vers Paris ? Même un Bourdieu est enterré au cimetière Montparnasse, lui qui a décortiqué tous les ressorts de l’acculturation à la culture des élites françaises.
À Soulages, je préfère Fenaille, le musée d’art et d’archéologie de la ville : c’est un très grand musée, qui dispose notamment de collections de dolmens à figures humaines du Néolithique. Nos villes gasconnes ont rarement des musées qui plongent à ce point dans l’histoire de leur environnement immédiat, Musée Basque (et de la ville de Bayonne) excepté. Il y a bien entendu le Musée d’Aquitaine à Bordeaux, mais le grand musée d’Auch parle Amérique pré-colombienne, quand le Musée béarnais de Pau n’a jamais rouvert.
Pour le reste, Rodez est une ville moyenne française, avec son esthétique de Trente Glorieuses, bitumée, consacrée à la bagnole, et où après une certaine heure en semaine, il n’y a absolument plus rien à faire. Rodez n’est en ce sens pas bien différente des villes moyennes gasconnes (même si l’accent du sud, dans la jeunesse, s’y maintient fort).
À la fin du mois de juin, un autre déplacement professionnel m’a embarqué à Albertville : je dois dire que l’idée d’aller plaider dans les Alpes n’était pas sans lien avec mon désir de prendre ce dossier. Cela dit, les Alpes, plus je les fréquente, surtout le versant français, plus je valorise les Pyrénées : la Savoie, notamment, est belle dans son environnement paysager (même si je trouve les vallées inhumaines, si larges), mais c’est un pays qui pour le reste, est très humanisé.
Lors de mon audience, il a fallu expulser des manifestants : en effet, ceux-ci se réclamant des institutions défuntes "savoisiennes", ils refusaient d’être jugés par une juridiction pénale française. En parlant avec les avocats, il semble que ce petit numéro est au moins mensuel, à chaque fois que sont jugés des militants savoisiens. Il y avait un vrai agacement de l’institution, comme quoi même un nationalisme jugé folklorique peut tendre la situation par une action de protestation perturbatrice.
Sans offenser les Savoyards, je dois dire que pas grand chose en leur pays ne me fait me sentir ailleurs qu’en France : je ne parle pas même de ce qui fait le liant national, les panneaux, les formes architecturales officielles, mais des détails qui font parfois l’exotisme. En Savoie, tout au plus l’accent, tendant vers ce que nous disons "suisse", car pour le reste, l’environnement toponymique était à ce point français (là encore, sans offense pour le monde "arpitan") qu’au fond, j’ai eu la sensation d’un morceau de bassin parisien encadré par des montagnes. Et pourtant, partout le drapeau de la Savoie ! Nous sommes typiquement sur un régionalisme de nostalgie féodale, comme l’est chez nous le béarnisme, ou parfois un certain sentiment de la Guyenne en Bordelais.
Pour être parfaitement honnête, cependant, des bribes d’italianité, architecturale, comme à Conflent, sur les hauteurs d’Albertville, toujours antérieures au 19ème siècle, ou comme à Lyon où je passerai le week-end consécutif de cette audience : il y aurait trop à en dire, mais concédons que la présence de la tuile change irrémédiablement les atmosphères. L’Ain méridional autour de Pérouges avait des allures de Périgord ou de Quercy.
Un grand déplacement m’attendra suite à ce week-end lyonnais, via le TGV (jusqu’à Dijon) puis le TER, pendant de longues heures (la LGV vers les grandes villes françaises de l’Est, depuis Lyon ... passe par Paris, et cela ne m’arrangeait pas, car la gare Lorraine-TGV est très mal placée). Avec Nancy, ville âpre mais non dénuée d’intérêt comme port d’attache, j’ai visité Toul et Pont-à-Mousson.
Ce jour-là, à Toul, une grande fête de la Lorraine appelée "La Lorraine est formidable" : rien de formidable, en réalité, une foire classique française, avec produits locaux et salon du livre. Mais ce qui était intéressant était combien la Lorraine était partout : la région Grand-Est n’a pas complètement effacé les créations antérieures, là où en Nouvelle-Aquitaine, sans aucune nostalgie pour l’ancienne Aquitaine de ma part, tout est labellisé désormais néo-aquitain. Ne parlons pas même de la région dite Occitanie.
À Pont-à-Mousson, avec mes interlocuteurs, il était clair que l’on ne se sentait pas du Grand-Est : j’ai ainsi décelé une méfiance à l’endroit des Alsaciens, mais aussi des Mosellans. L’Histoire joue à plein. Dans le TER, d’ailleurs, un Nancéen aviné insulta des touristes allemands, sur la base de clichés un peu déplorables : les touristes eurent l’intelligence de ne pas répliquer. Dans tous les cas, j’ai trouvé l’ambiance identitaire lourde : le Grand-Est n’est pas accepté par les gens, là où nos Gascons des deux régions administratives de Bordeaux et Toulouse ne trouvent plus rien à redire (voire n’ont jamais rien eu à dire).
II - Juillet
Juillet est arrivé, après une première vague de chaleur fin juin. Ce fut décidé, ma semaine de vacances de la fin du mois sera passée en Allemagne, la plus septentrionale possible. Mais en attendant, deux déplacements m’attendaient. Une journée autour de Pons et Jonzac, pays charmant, comme l’est souvent la Saintonge, pays bigarré où les macrotoponymes disent le sud, quand l’accent des habitants et les lieux-dits disent le nord, pays dans l’orbite de Bordeaux, de plus en plus. À Jonzac, il y avait du monde pour prendre le train pour Bordeaux.
Et puis, il m’a fallu me rendre à Limoges : j’aime assez Limoges. Je trouve stupide que le sport ait introduit entre Pau, ma ville d’origine, et Limoges, une rivalité. Limoges paye un passé quelque peu ouvriériste, un peu comme Tarbes : l’on sent que le patrimoine n’a pas été la priorité. Beaucoup de verrues des Trente Glorieuses, mais la difficulté à faire de Limoges une vraie jolie ville date encore d’avant, des aménagements modernes de la fin du 19ème siècle, des trouées à la Haussmann.
C’est aussi, tristement, une ville complètement livrée à la bagnole : peu importe ce que l’on pense de la voiture en ville (j’ai une position en réalité modérée sur la question), il est évident que dans une ville de la taille de Limoges, le centre piéton se doit d’être élargi. Cela a fait le succès de Bordeaux, sa boboïsation (dont on sait les excès).
C’était évidemment dans ma tête mais j’ai voulu voir, partout, à Limoges les stigmates d’une capitale administrative déchue, mais en réalité, les administrations sont maintenues, en doublon, qu’elles relèvent de l’administration décentralisée ou déconcentrée. Au fond, Limoges s’en tire mieux que Pau ou Bayonne, devenues villes très excentrées au sud d’une région qui a son barycentre quelque part vers Angoulême.
Et puis, à Limoges, il y a la Librairie occitane. L’on y parlait limousin, avec cet accent que je trouve vraiment irrésistible, qui tend parfois vers l’oïl, sans en être. Poulidor en somme. La production locale est très riche, de nombreuses petites éditions produisent des livres sur le Limousin, là où en Gascogne, plus rien ne sort, sauf livre de papier glacé sur les maisons de la côte, ou les livres des éditions Le Festin. Le Limousin a nettement bénéficié de l’existence d’une région administrative, et il y a de beaux restes : pour combien de temps avant que Bordeaux n’absorbe tout ce tissu ?
Allemagne, here I come ! Je peux parler anglais, car au fond, tout le monde parle anglais à Hambourg et Lubeck. Hambourg est évidemment une grande métropole européenne, d’une efficacité remarquable, notamment en matière de transports en commun, sécurisante aussi, même quand la jeunesse s’encanaille avec trois tags. La ville n’est pas du tout au niveau d’intégration mondiale de Londres et Paris, c’est encore un monde assez peu multiculturel en vérité, très allemand. Je trouve que Bordeaux et Toulouse sont largement plus ouvertes sur le monde que la seconde métropole allemande ne l’est.
Quant à Lubeck, c’est une sorte de petite ville des Pays-Bas, et une respiration urbaine bienvenue (à force d’arpenter Hambourg, l’on se fait une idée des villes allemandes comme nécessairement très post-45). C’est beau, les gens sont en bord de rivière, sur les pelouses, à siroter des limonades à la rhubarbe. Pour dire la vérité, je ne suis pas certain que nos villes gasconnes, à l’exception de Bordeaux, Toulouse et Bayonne, auraient eu autant de monde dehors à 19h00 à la fin du mois de juillet. La France est ce pays des gens enfermés devant leurs écrans.
Mais pour ce qui concerne notre regard identitaire, au-delà de l’œil de l’aménageur, peu de leçons à tirer de l’Allemagne : il y a bien eu ce moment, entre Hambourg et Lubeck, au détour d’un crochet vers Sylt, où j’ai pu me rendre compte que les annonces du train régional (9 euros pour tout le mois de juillet sur tous les trains d’Allemagne !) étaient en langue frisonne. Sylt / Söl. Je suis en revanche incapable de savoir si une fois à Sylt, des gens usaient du frison septentrional : j’en doute, c’est une sorte de Lacanau, très prisé des Allemands.
Tout au plus, j’ai remarqué une propension dans ces contrées à mettre à la carte les mets locaux : on pouvait manger partout du labskaus (j’ai adoré). Je songeais à la Gascogne, nos villes moyennes, où il est difficile d’échapper au steak-frites français ... Quels plats locaux nos petites villes et villes moyennes proposent-elles ?
III - Août
Août, j’ai pas mal arpenté la Gascogne, lors de nombreux allers-retours entre Bordeaux et le Béarn. Gasconha.com se verra enrichi de centaines de photographies. Cependant, mes archives m’indiquent que j’ai été à Cambo, et par la même occasion, à Ronceveaux et Auritz en Navarre espagnole. Il n’est rien à en dire de plus que ce que nous pouvons classiquement dire, au détour de nos commentaires, sur les terres basques au sud, la force de la langue, dans l’affichage public, dans les discussions.
Plus inédit me concernant, même si en réalité c’était la seconde fois, j’ai ensuite poussé courant du mois d’août vers les Asturies et le León. La confirmation, toujours plus forte, que le mode de vie espagnol est paradisiaque pour moi : des villes denses, du monde dans les rues toutes générations confondues, moins de chichi, des paysages splendides, aussi bien côté Meseta que côté atlantique.
À Puente Almuhey, bled perdu au NE de León, où je passais une nuit, pas moins de 5 bars dans la seule rue de la commune. Des commerces, à l’ancienne, un peu désuets, comme dans la France des années 80 dans laquelle je suis né.
Et puis, la conurbation asturienne, toujours aussi impressionnante : depuis Oviedo, 30min de train pour aller à Gijón (mais quelle complexité de faire la différence pour les billets entre les différentes entités de la RENFE : est-ce ce qui nous attend en France, désormais que les monopoles sont tombés ?). Gijón, superbe grosse ville sur l’océan, on se prend à rêver d’une ville qui aurait pareille ampleur, Biarritz aurait pu être ça plutôt que ce décor impérial poussif.
Cependant, si l’on voit flotter le drapeau asturien partout, et si partout, l’on propose la fabada asturienne comme plat, d’un point de vue identitaire, notamment linguistique, bien peu. Quelques tags en astur-léonais dans les QG "gauchistes", les noms des communes en -u plutôt qu’en -o, mais aussi parfois, j’ai pu le constater, la version asturienne rayée, parce que refusée.
Bref, il me semble que l’identité astur-léonaise est bien faible, et probablement que c’est là fatal : la langue n’est-elle pas, de base, trop proche du castillan standard ? Il est difficile, sauf sans nul doute à être espagnol, à déceler des différences fortes dans les habitudes des gens selon les régions d’Espagne. Peut-être que les Asturiens m’ont semblé plus "taciturnes" qu’ailleurs en Espagne, ce sont là des ressentis arbitraires, qui ne disent pas grand chose. Si, c’est moins cher que le Pays Basque, où je passerai par le retour (Azkoitia et Azpeitia : foyers bascophones intenses, où tout le monde parlait basque).
Conclusion subjective
Au final, que retenir pour la Gascogne ? Je ne crois pas l’identité gasconne soit plus moribonde que ne le sont l’identité frisonne en Allemagne, l’identité asturienne en Espagne ou le sentiment rouergat (occitan) en Aveyron. Juste qu’elles disposent d’entités administratives, du moins en Allemagne ou en Espagne, qui investissent sur la culture locale. Et encore, c’est de l’affichage. Pour avoir arpenté les Landes en abondance cet été, je peux vous dire que l’univers esthétique qui s’en dégage est tout à fait typé, et ne peut que marquer le touriste de passage.
Ce qui différencie la Gascogne, cependant, et la rapproche évidemment des autres pays français, c’est notre appartenance à la France. Nous avons une génération d’avance en matière d’apathie identitaire par rapport au reste de l’Europe. C’est ce qui est le plus marquant, combien, et l’Allemagne, et l’Espagne, sur tant d’aspects, vivent dans la France d’avant. La France, c’est son malheur comme son atout, je n’en sais rien, est allée plus loin dans le multiculturalisme et l’individualisme matérialiste. Cela se ressent dans nos paysages (étalement urbain), notre sociabilité urbaine (surtout dans les villes moyennes), notre enracinement local (défaillant).
Revenir en France, c’est prendre dans la gueule notre époque avec plus de violence. Et regretter Pechón en Cantabrie.