Nosta Drama… ce n’est pas un drame… mais un rhotacisme ! Le rhotacisme des coteaux du Rustan...

- VERDIER Gilles

« Passat Nosta Drama, tèrra glaça ».

Ce vieux proverbe des coteaux du Rustan souligne les changements de température observés la nuit après le 15 août (Notre Dame).
Cette vieille prononciation « Drama » au lieu de « Dama » comme il est dit ailleurs (« Nosta Dama passa, tèrra glaça  » à Trie selon Gabriel Villeneuve) est en fait un rhotacisme corrigé…sans être corrigé !

Le gascon d’une petite région des coteaux entre Tarbes et Trie (Pouyastruc, Marseillan, Castelvieilh, Chelle-Débat…) est bien connu pour changer les [d] en [r].
Ce changement s’exerce sur tous les [d] :
• [d] étymologique : un dia = un ria
• [d] remplaçant dans les coteaux de Bigorre [z] : maison/maidon/mairon.
Il est systématique autour de Castelvieilh et va s’amenuisant plus on s’éloigne de ce point.
On note par exemple un rhotacisme sur certains mots à Saint Sever de Rustan : l’arròra (l’arròda), la clera (cleda), lo coronh (codonh), ua eslura (esluda)...

Une vieille histoire sur cette façon de parler était courante à Tarbes il y a encore quelques années :
Place aux bois, à Tarbes, un jeudi jour de marché, un vieux paysan de Castelvieilh vendait du bois de chauffage en interpellant les passantes :
« Voletz taurin, madame, voletz taurin.. ! ».
Les passantes s’échappant….
Evidemment il disait « taurin [taou’ri]" pour "taudin/tausin", bois de chêne tauzin, et les passantes comprenaient « taurir » = saillir pour un taureau !
Ce quiproquo linguistique montre bien que la « découverte » dans les années 50 du rhotacisme (changement du [d] par un [r]) de cette petite zone gasconne par les universitaires de Toulouse (Ravier, Séguy…), était bien connue de tous les locuteurs des Hautes-Pyrénées et objet de pas mal d’histoires…

Pour illustrer ce trait de langue, il suffit de lire l’enquête Sacaze (fin XIX) du village de Castelvieilh, qu’avait aussi utilisée Jean Séguy.

Le rhotacisme « extrême » du gascon parlé à Castelvielh (65)
Extraits de l’enquête Sacaze ;
« Que i avèva r’auteh (pour d’autes) còps en un vilatge re (de) lah Pireneah un òme e ua hemna qui èran plan vielhs. N’avèvan qu’ua petita mairon (maidon/maison), un carau (cadau/casau) e ua vaca. Mes tan prauves qu’estessen que secorivan tostemps los re (de) qui èran meh prauveh qu’eths. Un ria (Un dia), la terra qu’èra cuberta re (de) nèu, que gelava a pèira-héner. Tota la gent reu (deu) vilatge que’s cauhava en minjar e en béver. Qu’èran richeh e uróh. A l’entrara (l’entrada) re (de) la neit, ruh (dus) vojatjurh qui venguèvan re loi…. »

Et dans la suite du texte :
Reishar = deishar
Ne ra-uh arren a minjar : ne da-us arren a minjar
Cassats re pertot : cassats de pertot
Ravant la mairon : davant la maidon
Que’u ridó : que’u didó.
Vorautis : vodautis
Vòsteh verinh : vòstes vedins
La Justiça re Riu : La Justiça de Diu.
Nara mairon : nada maidon.
Au ria de uer : au dia de uer.

Pour en revenir à « Nosta Drama… » il s’agirait bien d’un ancien rhotacisme : "Nosta Rama" sur-corrigé en remettant le [d]. Les locuteurs gascons, conscients que cette prononciation avait un aspect « rustique » l’ont corrigée en une forme plus académique par respect religieux …mais pas tout à fait : ils ont ajouté le [d] sans enlever le [r].
Xavier Ravier (in « Un trait peu connu de la phonétique du gascon…1959) rapporte : « cette manière de prononcer est parfois objet de moquerie de la part des habitants des localités voisines ; d’où peut-être une sorte de répugnance à afficher ce trait dans certaines circonstances… »

Il est étonnant de retrouver ce même rhotacisme [d] en [r] en Breton de la région de Vannes. Dans l’ouvrage de François Falc’hun « Perspectives nouvelles sur l’histoire de la langue bretonne » p. 263, le grand celtisant écrit qu’« …à Surzur, les habitants d’Ambon, près de Damgan, sont surnommés « les rameurs » parce qu’ils disent « oui, rame ! » pour « oui, dame ! ».

Grans de sau

  • Très intéressant. Des micro-ethnonymes se forment parfois sur des particularités de prononciation ou des expressions récurrentes (’chti’ de l’Artois minier ; ’chtou’ de Gourin ; et en Gascogne ?).

    (Je n’ose penser au vestige d’une évolution domina > *domna > *domra, du type castillan ’homine > ’homne > hombre). Il faut seulement incriminer une particularité locale qui témoigne d’une instabilité du /d/ (mais dans certaines positions seulement semble-t-il).

    L’inverse en français dans certains parlers d’oïl :
    mazi pour mari.

    Je signale encore, bien que sans rapport avec le sujet (et que ça ne serve à rien), que les graphies en cours passent à côté du phonème historique //β//, généralement issu du //w// latin dans certaines positions, présent en début et en fin de mots : villa- > bila, vita-> bita ; Marpaps : Virgine- > Bieyre.
    La règle "devant p, "v se durcit en p" est absurde : un v durci (= dévoisé) serait /f/. Or, on a bien, en gascon, /kimpeba ?/ et non pas °/feba/. C’est parce que ce bétacisme gascon gênait les réformateurs qu’il n’a pas été retenu (de même que le x pour //ʃ//). Quand cela se produit en occitan, c’est purement phonétique et on n’a pas à l’écrire ; en gascon c’est un trait phonémique, qui devrait être écrit (Billère > Bilhèra, Casaubieilh).
    Les graphies inclusives étant souvent nécessaires (comme le J pour /j/ ou /3/), le refus de ce b- est une faiblesse. Que de panneaux digraphes inutiles et de noms de lieux massacrés !


Un gran de sau ?

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