Puisque le débat public avec Philippe Lartigue prend un tour d'attaque
personnelle, je vais y répondre publiquement, tout en évitant de blesser
celui que je considère encore comme un ami.
Voici six morceaux pris dans trois messages successifs de Philippe dans
l'envoi groupé n° 1297 de ce 20 octobre.
> Quand je vois ces vieux réactionnaires Béarnais ou Gascons qui aujourd'hui
> crachent sur tous ceux qui essaient de faire quelque chose alors qu'eux n'ont
> jamais rien fait m'énerve au plus haut point.
Il est désormais de bon ton de traiter de « vieux réactionnaires » tous ceux
dont on veut dénigrer les propos. Bien sûr, la plupart de ceux qui
critiquent l'occitanisme ne sont pas des perdreaux de l'année ; ceux-ci se
moquent bien de l'occitan comme du gascon. Mais que je sache, en dehors de
quelques chansons de corps de garde, je ne crois pas qu'il soit avéré, sous
quelque ciel que ce soit, que « plus on devient vieux, plus on devient
con ». On a fait remarquer au contraire que le vivier où se recrutent les
« vieux cons » est celui des « jeunes cons » : il suffit d'attendre.
Faisons donc abstraction de ces qualificatifs désobligeants et essayons de
comprendre : la plupart de ces anti-occitanistes ont vu la catégorie
socio-professionnelle des enseignants faire main-mise sur la langue de leur
enfance et, au nom de l'idéologie occitaniste, en transformer l'écriture et
même le vocabulaire. Et cela à titre professionnel, grâce à la loi Deixonne.
Les autres, occupés à gagner leur vie, n'exerçant pas en général un métier
littéraire, ont été dans l'impossibilité d'opposer des faits et
raisonnements pertinents aux assertions des occitanistes. Mais ils ont
rentré cela dans leur coeur et l'ont ressenti comme une spoliation, aggravée
par le sentiment que leurs impôts servaient à détruire ce bien intime
qu'était leur langue « de case ».
Je demande à Halip : s’il n’était pas entré à l’Éducation nationale ‹ sur
concours, et brillamment, je le précise pour ceux qui l’ignoreraient ‹
aurait-il les moyens de faire quelque chose pour la langue gasconne, en plus
de son métier et de ses charges de famille ?
Moi, qui suis de la vieille génération, je ne l’aurais pas pu ; et si je
travaille sur le gascon depuis plus de 20 ans, c’est parce que ma retraite
me le permet. D’autres voyagent de par le monde, vont à la pêche ou jouent à
la pétanque avec les amis. Je ne prétends pas être un héros, mais n’ai pas
peur de dire que je suis un privilégié de pouvoir me consacrer sans souci à
cette cause.
Je ne regrette qu’une chose, c’est le refus de dialogue de bien des
militants qui préfèrent le rejet et l’anathème à l’écoute des arguments
d’autrui.
Halip poursuit :
> De plus, ce ne sont pas eux qui ont souffert mais leurs parents et grands
> parents. Ne soyons pas anachroniques.
Je prépare un article pour le prochain Ligam-DiGaM sur la sociolinguistique
du gascon selon les enquêteurs de l’ALG entre avril 1946 et juin 1952. On y
voit nettement la pauvreté et le caractère arriéré de l’économie gasconne au
lendemain de la guerre, et en parallèle le fait que la grande majorité des
jeunes parents de l’époque, gasconophone entre eux, ne parlent que français
à leurs enfants. On comprend pourquoi, sans avoir à faire un dessin.
Or ce sont ces enfants, non gasconophones, ou si peu, sur qui Halip semble
tourner sa rancoeur. Aurait-il mieux fait qu’eux, toujours dans les mêmes
conditions économiques ?
Au fond, ce qui me gêne beaucoup chez Halip, c’est son acharnement,
anachronique, lui, sur les générations passées, proches ou plus lointaines.
D’autant qu’il est improductif et ne peut qu’augmenter les rancoeurs. de
part et d’autre.
> Si Jean Lafitte ne veut pas que son nom soit orthographié Lahita, c’est son
> droit. Quant à moi, Lartiga ne me gêne absolument pas. Contrairement à ce que
> Jean Lafitte semble dire, ce ne sont pas ses ancêtres ou les miens qui ont
> choisi mais le curé ou le fonctionnaire (un planqué dans un bureau sans doute)
> qui un jour à choisi d’écrire Lafitte ou Lartigue...
Je regrette de dire que ce sont là propos de discussions d’après boire, peu
pertinents sur le fond. L’écrit, même aujourd’hui, est le fait d’une
minorité ; autrefois, les "clercs", qui avaient appris les lettres en latin.
Sa remarque est juste, certes, mais ne change rien au fait que les clercs de
Gascogne ont écrit Lartigue et La Fiite parce que telle était la
prononciation gasconne. Halip lui-même a écrit des choses très pertinente
sur le vocalisme gascon en "e", et ce que je rappelle est tout à fait
cohérent avec cela.
C’est l’occitanisme moderne qui a rétabli le -a disparu de l’écrit gascon
ancien dès le XIIe s. à Bayonne, un peu plus tard ailleurs ; ce -a est en
effet voulu comme graphie » englobante » d’un occitan standardisé de Bayonne
à Nice. Mais c’est soumettre le gascon aux impératifs d’une Occitanie à
construire (Sauzet), alors que Halip a fait sienne, comme moi-même, cette
phrase du Pr. Tomás Buesa Oliver de l’université de Saragosse :
» El gascón tiene tal individualidad que no puede subordinárselo al
occitano ».
> Mon esprit est donc formaté par les occitanistes... c’est la meilleure de ces
> derniers jours.
Alors, dis-nous pourquoi tu tiens tant à ce -a occitaniste ?
> Bon, je crois que nous ne sommes plus du tout en phase, Jean
> Lafitte et moi. Autant ses travaux sur le gascon peuvent très souvent être
> sérieux, autant son anti occitanisme lui fait parfois dire des bêtises et ôte
> par la même toute crédibilité à ce qu’il écrit.
Tu affirmes que je dis des bêtises ; les quelles ? en quoi sont-elles des
bêtises ?
Je tiens en outre à rétablir l’ordre des facteurs : j’ai été occitaniste à
mes débuts, n’ayant aucune raison de ne pas croire ce qu’on me disait quand
j’ai adhéré à l’I.E.O.-Paris en 1982. Je crus donc tout ce qui me fut dit
des "poupées russes" qu’étaient le béarnais, le gascon et l’occitan. J’eus
aussi la naïveté de croire que mon appartenance à un » Institut d’études »
m’autorisait, et plus encore me faisait un devoir d’effectuer des études sur
ma langue ancestrale, et même un "devoir d’état" lorsque le président me
demanda d’assurer un cours de gascon à partir de 1989.
Je fus alors affecté du syndrome de la "gasconite" qu’un jeune et brillant
professeur originaire de Luchon décrivait ainsi en 1994 : » Nous sommes
d’une génération qui a grandi avec l’idée que l’Occitanie, telle qu’on nous
la représente sur les cartes, était une évidence. Mais plus j’avance dans
l’étude de notre langue et de notre histoire, plus je me sens
irréductiblement Gascon. »
Je ne pense pas qu’il en soit différemment de Halip.
C’est donc ma réflexion sur des faits de langue et de société gasconne
d’aujourd’hui qui m’a conduit à rejeter l’occitanisme. Et non le contraire.
Tout comme je rejette le béarnisme fermé sur lui-même.
> C’est bien dommage car son travail aurait pu servir utilement la cause
> gasconne.
> Elle la dessert par son côté de plus en plus réactionnaire et négatif. On
> n’est jamais aussi bien trahi et déçu que par ceux qu’on a appréciés.
Encore le mot » réactionnaire » qui ne devrait pas avoir sa place dans un
débat linguistique. En cela, Halip, tu me déçois, toi aussi. Mais je ne te
rejette pas, car j’ai eu maintes fois l’occasion d’apprécier ton
intelligence. Mais tu devrais veiller à ce qu’elle ne soit mise au silence
par tes sentiments de déception devant un monde qui n’est pas ce que tu
aimerais.
Sur le fond, je dessers la cause gasconne si je dis des erreurs ; qu’on me le
montre, et je changerai de discours, et publiquement. Mais jusqu’à présent,
j’estime que, de bonne foi certes, les occitanistes béarnais, qui ont tant
fait pour la cause gasconne, l’ont aussi deservie en l’enfermant dans le
monde occitaniste, esentiellemnt peuplé d’enseignants. Lapassade en était
conscient, mais trop vieux pour réagir.
Amicalement à tous ceux qui aiment la langue gasconne, occitanistes ou non,
en souhaitant qu’ils mettent toujours en avant l’écoute des autres et la
raison.
J.L.