La frontière historique entre Couserans et Pays de Foix correspond à de nombreux traits gascons qui cessent soudainement sur les sommets qui font frontière : chute du -n- intervocalique, -nd- > -n-, -ll- > -r- et -ll > -th, vocalisation de -l final, -arium > -èr, ... Bizarrement, seul le h gascon a cédé le pas autour d’Aulus et de Massat (une analyse toponymique nous permettrait de regarder si l’on en trouve des traces dans un état ancien).
NB : Pour l’information, gascon comme languedocien méridional connaissent -mb- > -m-.
L’extrait de la carte tirée du livre de Pierre Bec sur la frontière entre gascon et languedocien est illustrative (la légende n’est pas présente, sachez que le trait du h gascon est l’isoglosse n°9 : je fournis la carte pour montrer le caractère serré du faisceau d’isoglosses).
Cependant, n’exagérons pas les différences, le parler languedocien du Pays de Foix est très proche du parler gascon du Couserans. En se plaçant sur le point Auzat, commune du Pays de Foix dans le Vicdessos, l’on voit bien que quelques communes gasconnes d’une grande Gascogne toulousaine linguistique sont infiniment proches de la langue fuxéenne.
Le Vicdessos, puisque l’on parle de lui, est une subdivision de l’ancien Pays de Foix, autour d’une vallée traversée par un ruisseau, dit de Vicdessos, affluent de l’Ariège. Vous pouvez écouter sa langue, via l’enregistrement de la Parabole de l’enfant prodigue de l’Atlas linguistique du Languedoc occidental :
[fr] ALLOc : Siguer : Parabole
C’est une langue parfaitement compréhensible pour tout locuteur de gascon, quasi identique pour dire la vérité, qui se distingue du gascon essentiellement par des traits de phonétique (mais pas même l’accent, je dirais). Il s’agit de "toulousain montagnard".
Pour ce qui est de l’histoire linguistique de cette contrée, il est connu que c’est ici que l’on trouve en France, hors de Gascogne, un foyer important de toponymes en -os, généralement dits "aquitains" : Miglos en est un cas connu. Il y a incertitude sur Sos, qui est le nom du château qui domine le pays (Montréal de Sos) et a évidemment donné le nom de Vicdessos ("Vic de Sos").
D’autres toponymes majeurs possèdent une allure archaïque, qui rappellent la toponymie aquitanique des Pyrénées gasconnes : Orus, Artiès, Izourt par exemple, et toute une série en -ier, avec -r fort a priori (Illier, Siguer, Olbier, Goulier). Il est assez net que le Pays de Foix a connu un passé ibéro-basque, commun à toutes les Pyrénées, françaises comme espagnoles. Le nom commun "orri", typique de la zone, est probablement en lien.
Un trait constant, qui est celui de tout le Pays de Foix des hauteurs, est la présence d’une série toponymique en -at : Auzat, Génat, Norgeat, Axiat, Norrat, ... Dans un premier réflexe, l’on est tenté d’y voir une variante de -ac, mais en l’espèce, -ac se maintient très bien dans la vallée dans Sentenac, Arconac, Ournac, Junac. Il conviendrait de fouiller les attestations anciennes, ce qui pourra être fait ultérieurement. Pour rappel, les toponymes en -ac sont d’origine celtique, du moins pour une partie d’entre eux (d’autres sont des créations latines ultérieures) ; ils sont fort abondants en Pays de Foix.
On trouve même une commune, du nom de Saleix, qui montre une manière archaïque commune au gascon pour graphier ce qu’en alibertin l’on écrit -eish (phonème connu en languedocien fuxéen, où tout comme en Couserans, le "yod" est prononcé : [eÿsh], et non [esh] comme en gascon standard).
Dans tous les cas, le panorama que je viens de faire n’a rien d’original : un vieux fonds pan-pyrénéen ibéro-basque, une présence celtique qui n’est pas anodine, puis le latin, qui s’est perpétué via le roman local, appelons-le languedocien méridional fuxéen.
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L’apport de cette étude rapide que je souhaite est ailleurs : il consiste à regarder la micro-toponymie de la zone, plus particulièrement sur les hauteurs de cette petite zone. Le même travail en val d’Aran m’a fait remarquer notamment qu’une forme très particulière de langue romane avait préexisté avant le gascon tel qu’on le connaît, langue romane caractérisée par le maintien de l’héritier du -u latin final, masculin, sous la forme -o.
La Gascogne méditerranéenne La vallée de Molières (1/2)
Aussi, plusieurs micro-toponymes m’intriguent :
– Hourré et Hérout : le toponyme Hérout est déjà tel quel chez Cassini, Hourré dans la carte du XIXème siècle, à rapprocher, je suppose, du Mont d’Ourre qui domine la zone.
Avons-nous un reliquat congelé de h gascon ? Une fantaisie graphique ? Un témoignage de migration gasconne ? Toute une analyse se devrait d’être menée, autour de l’histoire même de l’occupation des lieux.
– Sabatère : on a nettement le suffixe -ère, qui est une forme gasconne, mais au vu de l’emplacement de la maison Sabatère, l’on peut supposer qu’il s’agit d’une trace de migration gasconne, plutôt que d’une "savetière" des hauteurs !
Cela dit, je pense bien que la zone étudiée a connu autrefois la forme gasconne du suffixe : Calbère à Goulier (09), sauf s’il s’agit d’un francisme pour calvaire (mais on trouve Les Calbières et La Calbe), le pic Coudère, Tartère, La Ruère, La Bernère à Suc-et-Sentenac (09), Pla Nouzère à Auzat (09).
– Pic des Bareytes : c’est en toponymie gasconne que l’on trouve Bareyte, même étymologie que le français guéret, selon certains.
– Tignalbu : alors là, je dois dire que ce toponyme est énigmatique. Il s’agit d’un toponyme de très haute montagne. J’ai repéré d’autres toponymess en Vicdessos à finale en -u : Etaillapu à Orus (09), l’étang d’Arbu à Suc-et-Sentenac (09).
J’ai parlé d’une hypothèse mienne au sujet de ces toponymes en -u : j’ai du mal à ne pas voir dans la finale -albu le latin album "blanc", qui aurait conservé sa finale en -u, comme j’ai la sensation qu’on le retrouve abondamment en toponymie des hauts sommets pyrénéens, aussi bien dans le domaine aujourd’hui catalan en Pallars, que dans le domaine gascon en Aran.
Je suis de plus en plus persuadé, pour ma part, que les hautes vallées ont conservé des formes de roman plus conservatrices, avant de céder au roman de la plaine. Je suis évidemment ouvert à une explication moins archaïque pour ces toponymes en -u (on pense à -un), outre que je n’en connais pas l’accentuation, ce qui donnerait un indice (si la finale -u est accentuée, le maintien de la finale masculine latine est moins crédible).
– Sarradeil : la forme de ce toponyme laisse supposer une forme avec -elh final, là où le languedocien normalement simplifie à -el.
– L’étang de la Oussade : le hiatus est étrange, il peut s’agit de quelque chose comme l’Aussade, je ne veux pas sous-entendre la présence d’une ancienne forme gasconne avec h- initial, sauf en dernier recours. En effet, là où Hourré et Herout sont finalement proches du Couserans, ici, nous sommes sur des hauteurs déjà lointaines de la frontière linguistique.
Il peut aussi s’agir d’un tour catalan, via la proximité de l’Andorre, en effet :
"L’article défini s’élide (l’) devant les noms singuliers commençant par une voyelle ou un h, à l’exception des noms féminins commençant par i, hi, u ou hu atones (c’est-à-dire ne portant pas l’accent tonique) ou s’il y a risque de confusion."
https://fr.wikiversity.org/wiki/Catalan/Grammaire/Articles
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Conclusion partielle :
L’étude de la toponymie des contrées immédiatement adjacentes aux terres de langue gasconne est primordiale, elle permet de se rendre compte des profondes convergences, des divergences phonétiques parfois également profondes, et aussi des interférences.
Si je ne théorise pas que le h- gascon a été connu en Vicdessos, il me semble assuré que la langue a connu des traits linguistiques (suffixe -ère, finale palatisée -elh, ...) qui ont disparu sous l’influence de la langue de la plaine, et qui rapprochaient la langue du Vicdessos du gascon ... mais en réalité, surtout du catalan.