Adixat amics,
Dans son message d'hier vendredi 22:27, Halip aborde la question du gascon
standard et conteste d'abord « la légitimité du béarnais de la plaine [...]
à représenter le gascon » pour poser le principe selon lequel « les critères
de normalisation, dans le cas de la Gascogne, doivent être exclusivement
linguistiques ».
Je voudrais apporter ici quelques remarques basées sur la sociolinguistique
vers laquelle mon directeur de thèse a infléchi mes réflexions jusque là
plutôt de linguistique pure.
Je relève d'abord le mot « légitimité », déjà employé par Txatti : « Quand
bien même le gascon n'aurait jamais été écrit du tout, il n'en aurait pas
moins de légitimité dans notre société ! »
Comme juriste, je devrais m'en réjouir ; mais comment parler de
« légitimité » sans loi de référence ? Est enfant légitime celui né de
parents unis selon la loi. Est héritier légitime celui qui remplit les
conditions fixées par la loi successorale etc. Or quelle est la loi en
matière de langue ?
La seule est pour le français une phrase de l'art. 2 de la Constitution et
la jurisprudence constitutionnelle, judiciaire ou administrative qui lui est
attachée. Ce fut pour la langue du Béarn dans les actes de justice l'art. IV
de la Rubrique 27 du Stil de la Justicy édicté par Jeanne d'Albret en
1564 :
« Et faran losdits advocats lors requisitions et pleyteyats en lengadge
vulgar et deu present païs, tant de palaure que per escriutŠ sus losquoaux
pleyteyats sera balhat aussi per lo Judge l’appuntament requis tant en
l’Audience qu’en defore dequere en lo medixs lengadge ».
Aujourd’hui, plus rien de tel. Il ne peut donc s’agir que d’une » légitimité
morale », née d’un large consensus des intéressés. Or il me parait rien
moins qu’évident qu’il puisse se faire sur la base de considérations
purement linguistiques, et notamment sur la base de la » gasconnité
maximale ». En effet, Halip écarte justement les » arguments spécieux et
parfois sophistiques dont usent les occitanistes quand ils veulent nous
vendre leur occitan standard=languedocien. » ; or ces arguments se fondent
essentiellement sur le fait ‹ disent-ils ‹ que l’ensemble languedocien est
de tous les ensembles d’oc celui qui est resté le plus proche du latin
originel, donc qui présente la » latinité maximale ». Ce à quoi nous leur
répondons que nous n’en avons rien à faire, c’est la fidélité à la langue de
nos pères qui nous intéresse, avec un attachement particulier aux
» outrages » qu’ils ont fait subir au latin des conquérants.
Je ne doute donc pas un instant de la valeur linguistique du » topo sur la
gasconnité » que Halip compte nous offrir d’après l’A.L.G., ni du fait que
le béarnais classique n’est pas le plus gascon de nos parlers ; ce ne sera
pas une surprise pour moi ! Mais en pratique ?
Halip tient pour non-significatifs :
 la littérature en béarnais » de qualité très variable d’ailleurs » :
certes ; mais je ne connais guère d’autre parler qui en ait autant, ni encore
moins de meilleure ; et si nous n’avons que la littérature du XVIe et
peut-être XVIIe s. à donner en modèle à nos enfants, ce ne sera guère plus
glorieux que les Troubadours des occitanistes ; quant on pense que même
Lapassade reflète déjà un monde bien lointain !
ÂÂ le fait pour le Béarn » d’abriter le plus grand nombre d’associations (la
plupart occitanistes) Â » ; certes, là encore ; mais pour actionner le bélier
qui fera entrer de force son hyper-gascon standard dans les écoles, où
trouvera-t-il les hommes à mobiliser ?
Ceci étant, il est sûr que la référence aux seuls critères linguistiques
pourrait éviter quelques combats. Mais ici encore, que va-t-on
standardiser ?
La phonétique ? On ne sait déjà plus prononcer -r- apical ni -rr- fort, et
rarement lh. Convaincu que le -[w]- est un trait gascon d’origine, j’ai
préconisé de l’écrire systématiquement -u- car le -v- est équivoque et tire
la prononciation vers le [ß] béarnais ou languedocien ; mais les Gascons des
régions à -[w]- n’ont pas l’air pressés de s’y mettre, comme ont su le faire
les Aranais...
Les mots grammaticaux ? Déjà, Halip admet eth/era en variante de lo/la - et
il a raison ! Et j’ai poussé à écrire "le" l’art. féminin de Bayonne et de
la Grande Lande, comme les anciens l’ont fait depuis le Moyen-Âge.
Les paradigmes verbaux ? J’imagine mal, si la langue reste vivante, la
généralisation des subjonctifs en -i-, des 4e et 5e pers. rhizotoniques ou
des imparfaits en -èu- / èv-.
Le vocabulaire courant ? (Le vocabulaire savant est sans problème, c’est du
français ou de l’anglais adapté à notre phonologie).
Je crois qu’on n’est pas sortis de l’auberge, et que le dernier locuteur
sera mort avant qu’on ait défini ce gascon standard ; mais il sera alors
comme le latin classique de Cicéron, César et Tacite : simple matière
scolaire. Avec toutefois une "petite" différence : on peut remplir des
rayonnages de bibliothèque avec les oeuvres en latin classique, alors que la
1ère oeuvre en gascon standard reste à écrire ! Dès lors, quand on voit
comment l’Éducation nationale a réduit la part du latin dans les études, on
imagine le sort du gascon, standard ou pas !
Mais on peut encore croire au Père Noël.
Amistats.
J.L.
Vers un gascon standard ? lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-12-24 n° 7813]