Milieu enseignant et occitanisme LAFITTEJann [Forum Yahoo GVasconha-doman 2006-10-24 n° 7371]

- Jean Lafitte

Adixat moundë,

Je tiens à remercier V. Poudampa pour sa longue analyse des relations entre
milieu enseignant à partir de ce que j'avais écrit, qu'il a su lire fort
bien. Je donne ici mes réflexions sur tel ou tel passage de son message :

« Il est indéniable que la recherche linguistique a été captée par des
universitaires. Cela dit, c'est là le propre de la recherche ! »
Mille fois d'accord ! Je n'ai même qu'un regret, c'est qu'il n'y ai pas plus
d'universitaires à travailler en profondeur sur le gascon. Mais cela
pourrait changer, en particulier autour du Pr. J.-P. Chambon : il a
suffisamment stigmatisé le militantisme qui infléchit la linguistique
occitane pour nous permettre d'espérer des travaux qui en soient exempts et
nous offrent des conclusions fiables.

« En fait, la différence se trouve que la langue gasconne avait jusque là
était le sujet de prédilection des autodidactes. Si l'on excepte quelques
grandes pointures de l'avant-guerre (Luchaire, Raymond... ), les grands
travaux de lexicologie ont été réalisés par des ³hommes du cru², toujours
soucieux de rendre leur travail accessible, quitte à faire des entorses à
une méthode rigoureusement scientifique qui d'ailleurs n'existait pas (il
faudra attendre l'Ecole de Toulouse ). »
Je préciserais : 1°) pour ceux qui ne sont pas familiers de ces sujets, il
s'agit de l'avant 1ère Guerre mondiale ; 2°) les "hommes du crû" ont été des
"lexicographes", et sans eux et spécialement sans Palay, tous,
universitaires compris, n'auraient que bien peu de matière pour réfléchir
sur le gascon ; 3°) l'« École de Toulouse » a fait un travail énorme de
dialectologie, derrière Jean Séguy (1914-1973) dont on est loin d’avoir tiré
tout le "xuc".

 » La question qu’il faut se poser n’est pas celle de la captation par les
universitaires de la question linguistique, il me semble qu’il s’agit là
d’un phénomène normal et inéluctable. La question est plutôt de connaître
les raisons précises qui ont jeté de très éminents chercheurs dans les
hypothèses occitanistes. A cette question, je n’ai de réponse que
l’importance de la formation par un professeur référent, qui qu’on le
veuille ou non, influence durablement le mode de pensée. »
Je n’ai personnellement pas en tête de » chercheur » qui ait été » jeté
[...] dans les hypothèses occitanistes  » : ils les avaient fait leurs comme
 » idées reçues » et non contestées avant de devenir des chercheurs, et je
pense à P. Bec et R. Lafont ; d’ou un certain infléchissement de leurs propos
ou de leurs conclusions. Mais la fréquentation de leurs écrits m’a permis de
découvrir bien des failles dans ce qu’on pourrait croire une pensée
monolithiquement occitaniste : une chose est le discours devant les
militants, une autre l’écrit scientifique publié. Ce qui a permis à un
membre de mon jury de thèse de faire la remarque suivante et ma réponse (en
substance) : » Bien que critique à l’égard de l’occitanisme, vous ne l’avez
pas été envers P. Bec et R. Lafont. ‹ Parce que ce sont des linguistes très
sérieux dans leurs écrits scientifiques.  »

 » [...] Maintenant, il est certain que Jean Lafitte faisait allusion au
phénomène sociologique qui voit, d’après lui, le milieu enseignant se faire
le chantre de l’occitanisme.  »
Non, pas du tout : le milieu enseignant est immense, seuls l’infime minorité
des enseignants d’ » occitan » peuvent être taxés d’ » occitanisme » ; et pas
toujours voulu, semble-t-il, mais plus souvent sans doute subi, du fait de
la hiérarchie » langues régionales  ».

 » Je ne ferai que faire état de ma propre expérience : [...]
Je ne commente pas, j’apprends beaucoup dans les précieuses remarques de V.
Poudampa, précieuses parce que justement fondées sur son expérience.
J’avais néanmoins quelques échos de l’hostilité subie par les enseignants
occitanistes de la part de leurs collègues : ceux-ci leur reprocheraient
leur tendance à échanger entre eux en » occitan » en leur présence, ce que
les locuteurs naturels eurent toujours la politesse de ne pas faire ‹ mais
l’occitanisme a interprété cette politesse comme une soumission servile. Je
citerai néanmoins à ce propos une anecdote personnelle : en 1956 ou 57,
comme lieutenant dans un établissement de l’armée de l’air, j’avais
participé avec deux ou trois autres Français à une réunion chez les
Américains ; l’U.S. Air Force était représentée par deux commandants ; or
chaque fois que ceux-ci parlèrent entre eux, ils le firent toujours en
français.
En sens inverse, ceux qui assisatient au Zénith de Pau, le 26 septembre
1997, à la "grand messe" autour d’un projet » Béarn XXIe siècle » se
souviennent peut-être du fait suivant : sur la scène, le sénateur-maire de
Pau André Labarrère et François Bayrou, ministre en exercice ; ambiance
conviviale, » Mon cher François » par ci, » Mon cher André » par là. Et
voilà que les pistes d’actions pour le XXIe s. semblaient avoir oublié
celles en faveur de l’"occitan". D’où une certaine impatience de la part de
quelques militants, un peu perdus dans une foule très nombreuses ; et l’un
d’eux, Béarnais sincère et bon enseignant, mais peut-être trop "endoctriné",
demande la parole et une fois muni du micro, interpelle en béarnais les deux
hommes politiques. Bien sûr, l’un et l’autre comprennent parfaitement, mais
pas la foule, qui soudain se met à crier au militant » En français ! en
français ! » ; et malheureusement, au lieu de s’en tirer par quelque trait
d’esprit bien béarnais qui détend l’atmosphère, le militant persiste.
Inutile de dire que ce jour-là, la cause de la langue du pays n’a pas gagné
beaucoup de soutiens.
Et il y a peut-être aussi de la part des enseignants d’ » occitan  » une sorte
d’attitude » messianique » qui déplait à ceux qui ne partagent pas leur
 » foi ».

 » Mais là encore il ne s’agit pas de ce à quoi Jean Lafitte faisait
allusion. Jean Lafitte n’affirme pas que le milieu enseignant est acquis à
l’occitanisme mais que l’occitanisme est le fait d’enseignants, aussi
minoritaires soient-ils dans leur propre corps. J’y vois là une illusion
d’optique : si les occitanistes sont nombreux à être enseignants, c’est que
les autres n’y sont pas. Et si les autres n’y sont pas, c’est qu’ils ne sont
pas sentis concernés par cette aventure ou alors n’ont pas eu l’occasion.  »
Tout à fait d’accord. Et l’analyse sociologique (Félibrige, occitanisme) que
V. Poudampa fait à la suite convient à ce que j’ai cru voir et ressenti...
Dans » Langue d’oc 1996  », hors série de Ligam-DiGaM, j’ai écrit des choses
de ce genre, sans doute moins fouillées, et les ai reprises dans ma thèse.
 » Et n’est en rien le fruit d’un complot d’où, je pense, la nécessité de
dédramatiser la polémique.  »
Je n’ai jamais parlé de complot, du moins au niveau des enseignants de base.
Mais quand on écrit que la graphie unifiée n’est que la première étape d’un
processus dont la seconde est la langue occitane unifiée, puis que si
l’Occitanie n’a jamais existé, mais » il est intéressant de la faire », il y
a bien une démarche politique ; et celle-ci s’apparente au » complot » contre
l’unité de la République si l’on entend faire sécession avec cette Occitanie
peuplée d’ » Occitans » opposés au reste, peuplé de » Français » (carte
publiée dans une revue occitaniste.
Et les occitanistes non-languedociens, même s’ils n’en ont pas conscience,
sont les complices objectifs de cette manoeuvre dont la phase 2 est bien la
disparition de leur langue autochtone au bénéfice de l’ » occitan standard  »,
le languedocien. D’où, à mon point de vue, la nécessité d’attirer leur
attention sur ce processus, publié, mais ignoré d’eux.

« NB : Il va sans dire que je peux difficilement masquer une certaine
sympathie pour le milieu enseignant, que je trouve dans son ensemble ouvert.
L’envie de le dédouaner est sans doute trop forte de mon côté, pour raisons
familiales.  »
Je partage ce point de vue : je suis petit-fils d’instituteur béarnais en
Vic-Bilh et père d’instituteur en Provence.
Dans le milieu universitaire, je fréquente pas mal d’enseignants, les plus
nombreux étant ceux qui écoutent avec moi sur les bancs, et j’ai avec eux
les meilleures relations d’estime réciproque. Et si j’ai quelques "paysans"
parmi les abonnés de Ligam-DiGaM, j’y ai beaucoup plus d’enseignants !
Mais c’est un fait que les enseignants sont les plus nombreux dans les
associations occitanistes, de telle sorte que les non-enseignants s’y
sentent un peu étrangers, comme tel Bordelais qui un jour adhéra à
l’I.E.O.-Paris parce qu’à la différence de Bordeaux, les enseignants n’y
étaient pas majoritaires, et de loin. En tous cas, l’élitisme anachronique
de la graphie classique décourage la plupart de ceux » qui ne soun ni reyen,
ni professoû » comme l’écrivit à Per Nouste Melle Marguerite Lafore, vieille
mercière d’Orthez, héritière d’une lignée d’écrivains béarnais célèbres et
membre elle-même de l’Escole Gastou Febus depuis 1921 (Reclams n° 5, May
1921, p. 80).

Voici la totalité de ce billet, tel que publié dans le n° 2, de Per nouste
d’octobre 1967 (39 ans déjà !) :

 » Marguerite Lafore Rue des Jacobins ­ ORTHEZ

 » Ne sey pas brigue perqué lous de PER NOUSTE escriben en Francés de uey lou
die, e nou pas en latî, ou ne parlen pas coum lou defun Turoldus. Que cau
sabé ço que boulet : lou parlà biarnès de tout die coum se parle en
differens locs e s’escriu de medich dab las soues particularitats qui
cambien d’u parsaa a l’aute, ou se boulet tournà ³aux source savantes² ta
mielhe ha coumprene de Vladivostock a Quimperlé dab u esperanto chens saboû.
Dab aco, merci toutu de dechà ue petite place aus qui ne soun ni reyen, ni
professoû, e qui ne saben leye qu’escriture, e nou pas ³graphie². Que-b
saludi, Meste, e het beroy toustem. »

Le n° 8 de Per Nouste - Septemer-Octobre [sic] 1968, p. 15, devait en
publier un récit sur » Lou Piquehòu  » (quête de gâteries par les enfants à
l’occasion de Carnaval), avec la » Note de la rédaction » suivante :

N.D.L R. Qu’etz de boune souque, e, Diu mercé, ne soun pas lous Mèstes de
Biarnés qui-b hén rèyte dens la boste familhe. Qu’abet lou parlà natre,
arrident, chens flaquè. Per ma fé ! Ne diserèn pas qu’ets estade a las
escoles francèses e la lengue mayrane que se-b èy demourade au cap de la
plume coum au cap deus pots. Qu’abet abut lo coratye de gahà lou calam e de
hourucà ta’u nouste plasé dens lou sarrot dous bielhs soubenis. Que-b y
pouderet tournà quan boulhit, que-ns herà gay de-b leye.

On remarque que cette note est écrite en graphie moderne comme le récit de
Marguerite Lafore. Elle est pourtant de Roger Lapassade lui-même, comme en
témoigne le poème » en faiçon d’aurost » qui sera publié dans que Per Noste
n° 23 de Març-Abriu 1971, en hommage funèbre à cette vieille Béarnaise. Or
on sait que Lapassade était le président fondateur de Per nouste (devenu Per
noste avec le numéro de Noël 1968), et alors professeur de français au lycée
d’Orthez.

Plân courauméns,

J.L.

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