Los eslambrets… de l’ambre dans le ciel de Gascogne…

- VERDIER Gilles

Après lo caumàs, los eslambrets… Après la chaleur, les éclairs…

Dans tout le centre de la Gascogne «  un eslambret  » signifie en gascon un éclair. Mais on va voir que pour désigner ce phénomène météorologique, le gascon ne manque pas de termes… Ces étymologies vont nous faire voyager en Iran, en Flandre, au Maroc, au Pays basque et dans la Méditerranée…

1. Avec la racine *lamp.
Cette première base étymologique est un très vieux terme indo-européen *lamp qui porte l’idée de lumière. Cette racine a voyagé par l’iranien, puis l’arménien (lambar = lampe), pour arriver au grec (lamp = briller, lampros = brillant, lampas = lampe…) jusqu’au latin.
Dans cette ancienne langue nous avons lampo-are / *lampico-are = « briller » et lampas / lampada = torche, flambeau.
Le bas latin (*lampu), l’italien (lampo), l’ancien occitan, le gascon, le languedocien, le catalan et le castillan utilisent cette racine pour nommer l’éclair.
Ancien occitan
Un lam /lampec = un éclair.
Occitan languedocien.
Un lamp = un éclair ; lampar/lampejar = faire des éclairs.
Catalan
Un llampec = un éclair ; llampegar= faire des éclairs.
Bénasqués (Aragon).
Un llampit = un éclair.
Aragonais et castillan.
Un relàmpago = un éclair.

Gascon.
Un eslampe / eslampai (Montagnes de Bigorre)
Un eslampet (Neste, Magnoac)
Un relampit (Val d’Aran).
eslambrec = éclair
2. Avec racine *lambr / *lombr . La présence de ce -r n’a pas d’explication sûre…
• Joan Coromines remonte à l’occitan et au catalan anciens «  lambre » voulant dire «  l’ambre » la résine translucide et brillante servant à fabriquer des bijoux. En gascon du Lavedan « eth lambre » signifie l’étain brillant qui recouvre le cuivre et qui brille. Le mixte entre « llampegar » et «  lambre » va donné en catalan « llambrar / llambrejar / llambregar » = scintiller, flamboyer.
• Patric Guilhemjoan propose les évolutions : « *lampu » = éclair en bas latin > diminutif « lampula » > *lamble > lambre.

On a donc en gascon :
Un lambrec / lambret (Barousse, Comminges, Gers, Ariège)
Un eslambrec / eslambret (Bigorre, Béarn, Gers)
Un eslampre (Bigorre)
Un eslombret (Chalosse)
Un eslombric (Gironde, Landes)
Un limbret / limbreta (Save, Comminges).

3. Avec la racine du latin populaire « exclario-are » = éclairer qui a donné « esclairar » en ancien occitan

Un esclaire (Gers, Comminges, Ariège).
Un eclèrt (Médoc, Gironde) : c’est un gallicisme.

4. Avec l’image du dauphin très présente dans les langues méditerranéennes.
C’est une image linguistique comparant l’éclair au jaillissement du mammifère marin. En dialecte italien on a « pesce baleno » = éclair. En sarde « jògada su vricu marinu » = le veau marin joue = il fait des éclairs de chaleur (Gerard Rohlf).

Un dalfin / un delfin / ua dalfina / ua dalfinada (Ariège).

5. Avec racine latine « lux » = lumière et « lucere » = luire

Un lugrer (Entre-deux-mers).

6. Avec racine basque « tximista » = éclair.

Un shemís (Bayonne).

7. Avec la racine latine « fax / facula » = torche.

Ua halhada / falhada (Couserans).

8. Avec la racine arabe « zenêti » = individu de Zeneta, tribu berbère fameuse pour ses cavaliers.

Un ginet / ginòt (Couserans). A rapprocher du mot français «  un genet » signifiant autrefois un cheval de petite taille originaire d’Espagne et du catalan « un ginet /genet » désignant « un cavalier ». La fulgurance de ces chevaux et de ces cavaliers d’armée a peut-être donné cette image…

9. Avec la racine latine « fodere / fodiculare » = creuser, fouiller.

Cette racine a donné en gascon :
« hodilhar » = fouiller
« un hodilh » = un fourgon, un outil pour fourgonner dans un brasier
« un hosilh » (Landes) = un brasier
« hosilhar / hoselhar » (Landes) = fouiller, tisonner et aussi lancer des éclairs
« ua hoselha  »(Landes) = une braise
« un hosilh / hossilh » (Landes) = un éclair
« ua hosilhada » (Landes) = une traînée lumineuse.
Le gascon de la Grande Lande est donc passé de l’idée de fouiller, à tisonner puis à faire des éclairs…

10 Avec la racine flamande « loeken » = épier, regarder à la dérobée.

Cette racine a donné en gascon
« lucar » = surveiller, épier.
« lucassejar » = reluquer
« ua lucana » = un trou de jour entre les tuiles.
« ua lucada » = un regard rapide, en se cachant. Une apparition de soleil courte.
« ua lucada » (Sud Comminges) = un éclair
« un lucatet » (Sud Comminges) = un éclair.

Grans de sau

  • Très intéressant votre article sur les noms de l’éclair en gascon, Gilles.
    Vous mentionnez lugrer dans l’Entre-deux-Mers. Je pense qu’il y a une faute de frappe car, du moins à ma connaissance, seul existait le terme lugret qui se retrouvait jusque dans la région marmandaise voisine. Pour dire qu’il y a des éclairs, on employait le verbe lugrejar : lugreja, il y a des éclairs, ou mieux encore mais peut-être moins courant es que lugreja comme on disait es que plau pour dire "il pleut".
    Ce mot est de la même famille que lugran, astre, étoile, ver luisant, selon les endroits et les parlers.
    Mais quelle est l’origine de la racine lugr- ? Voici ce qu’en dit l’érudit Jean Peyroutou (Joan Peiroton) sur sa page Facebook :
    Sur l’étymologie du mot gascon "lugrâ" (1- étoile, astre 2- ver luisant 3- oeil). Rien à voir avec le latin lucanus, désolé pour les fans de Wartburg. Mais à voir avec lugret (éclair, étoile), lugrèra (lugrère)= ensemble d’étoiles, constellation, lugrir (lugrì) lugrejar (lugreyà) ( briller comme une étoile). La racine est lugre, mot conservé en occitan (signifie oeil, selon Mistral TdF ; plus exactement lugres = astres et, par métaphore, yeux, selon Fabre d’Olivet in La langue d’Oc rétablie (1820).
    D’ou vient ce mot "lugre" ? Certainement pas de *lucor, contrairement à l’hypothèse de Wartburg. L’accentuation de lucor est sur le deuxième syllabe (*lucor > (gascon) lugor -lugoù). Lugre ne peut pas en dériver. En fait, *lugra était le mot celtique pour dire lune (cf. proto-celtic dictionary de Matarevic ou lexic of proto-celtic de Ward, adresse *lugra).
    1- Proto-gascon *lugra (lune, astre qui brille) > lugre (astre qui brille, oeil) -> lugret, lugrèra, lugrir, lugrejar.
    2- Proto-gascon *lugranu (lit. qui est de la lune, semblable à la lune : astre qui luit ou qui brille et au figuré : oeil. ) > lugrâ (lugran).
    Le mot occitan lugarn a une autre étymologie (la même que le mot français lucarne, proto-roman *lucarnu, gaulois *lukornon (s.n.) qui signifie lampe, torche), ce mot a pris le sens astronomique par confusion avec le mot gascon lugrâ / lugran. Ici, c’est bien l’occitan qui est redevable au gascon (le gascon est une langue plus ancienne que l’occitan) en le déformant, et non le contraire. Comme quoi si l’occitan doit être considéré comme la même langue que le gascon, c’est du mauvais gascon 😃.

  • Merci beaucoup pour vos remarques.
    L’Atlas linguistique de Gascogne mentionne, seul, le terme « lugré » pour éclair. Le Palay et le dictionnaire gascon-français en 3 volumes ignorent ce mot.
    Attention : Déjà à l’époque (1948/50), l’enquêteur mentionnait la difficulté pour trouver des locuteurs naturels dans ce secteur.
    L’ALG mentionne :
    • « Lugré », accentué sur la dernière syllabe, au point 635 (St Vivien de Montségur, village gabache parlant un dialecte d’oïl). « Il fait des éclairs » : « quo lugréjoe »
    • « Lugré », accentué sur la dernière syllabe, au point 635 O (St Ferme, village gabache parlant un dialecte d’oïl). « Il fait des éclairs » : « quo lugréjoe »
    • « Lugré », accentué sur la dernière syllabe, au point 634 (Véline, village oc périgourdin). Il fait des éclairs : « lugréyo »
    • « Lugré », accentué sur la dernière syllabe, au point 643 E (Blasimon, village anciennement gabache et reconquis par l’occitan selon l’enquêteur de l’ALG).

    Vos remarques prouvent donc que l’usage de ce terme allait aussi plus au sud vers La Réole et Marmande où l’enquêteur ne retient que : eslumbric / estaramblet /arrajòu / lambret / esclaire.
    Le mot est-il gascon et usité par les gavaches ou le contraire ? A mon avis il est gascon.
    Lugrer / lugret : l’enquêteur ne retient que « lugré » pour tous les points. Mais dans cette région, l’influence du dialecte saintongeais explique les ajouts d’un « t » final.

    Pour le reste, il s’agit d’hypothèses étymologiques à ajouter au dossier. Voir l’article « Esludejat [ezludé’yat] -enlugranjat [enlugran’yat]... de quoi nous éblouir..! » esludejar = éblouir

  • L’usage du verbe lugrejar dans le sens de "y avoir des éclairs", à ma connaissance, ne dépassait pas l’aire nord-garonnaise, le "girondin" au sens large du terme (en gros l’Entre-deux-Mers et la région marmandaise).
    L’absence de -t dans lugré ne m’étonne pas du fait que les consonnes finales étaient généralement amuïes aux abords des aires saintongeaise et "périgorde". Malgré la proximité du "périgord" voisin, Marmande et Virazeil conservaient encore ces consonnes. Donc la graphie lugret convient pour englober les prononciations lugré et lugrétt .
    A titre anecdotique, on disait à Marmande : es passat coma un lugret dens une sèga, il est passé à la vitesse de l’éclair.

  • Pour le Couserans, j’avais noté "guinhets" entendu à Sentein en 2013 avec le verbe "guinar" chez un autre locuteur.

  • Pour le Couserans, le mot "ginot qui m’avait été rapporté sans que je ne vérifie n’est présent nulle part dans des écrits. Par contre votre témoignage est confirmé par l’atlas linguistique de Gascogne qui mentionne dans le Couserans "Guinhet / guinhot". Ce mot est bien présent aussi dans le Palay et dans le " dictionnaire gascon en 3 volumes". On serait donc tout simplement avec une famille "guinhar" = lorgner, épier. Et l’étymologie chevaleresque n’est que délire...

    Toutes ces précisions permettent corrections et additifs à ces petits articles qui n’ont pour but que d’essayer de montrer la richesse de la langue gasconne. Et quand ça devient collectif...c’est encore mieux et c’est un plaisir...

  • A case, en sud Chalosse, qu’ey tostem entenut dise "eschoumbric".
    Variante d "Eslombric" donc

  • Tiòc… aquesta varietat « eslombric » qu’a mant’ua fòrma per la Gironda, las Lanas e la Shalòssa (véjer l’Atlas Ling de Gasconha) :
    • « éhlombric »
    • « euhlombric »
    • « échambric »
    • la vòsta varietat « echombric » qu’ei ua mescla : « eslombric x echambric ».
    E ça’m-par, qu’en i dèu avèder quauquas mes….

    E dab totas las vòstas contribucions, que caleré tornar hèr l’articlòt sus « l’eslambret » !!!!!


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