On pouvait espérer depuis quelques jours que l’utilisation de gasconha.com comme tribune par M.Supery était arrêtée,mais non. S’il faut lui rendre une justice, l’homme est tenace !
La Gascogne et les Vikings
Il est clair qu’il cherche à immiscer sa théorie par le moindre espace disponible dans les contributions de ses interlocuteurs. C’est ce qu’il a fait à diverses reprises sur ce site tout récemment en demandant, en cas d’incertitude étymologique (donc, dans la plupart des cas, l’étymologie n’étant pas une science « dure » comme il l‘a écrit lui-même) que figure l’hypothèse scandinave, même quand rien ne la rend si peu que ce soit vraisemblable, à côté d’autres hypothèses, elles franchement plus recevables.
C’est ainsi qu’au nom de ce principe de base, on peut faire figurer au rang d’hypothèse le nom du viking Bjoern comme étymon de Bayonne ou Béarn (cf la fameuse conférence citée par Sud Ouest) aux côté de toutes celles évidemment plus fiables, voire carrément manifestes (comme le peuple des Beneharni pour le Béarn).
Mais l’avocat des Vikings ne recule devant aucune affirmation gratuite, du genre « le Gascon Noir, un gascon parlé sur la côte dans lequel les linguistes constatent une "phonétique scandinave" * ; on aimerait bien savoir de quels linguistes il s’agit ; personnellement je reconnaitrais plutôt la phonétique également sombre du turc, pure coincidence, naturellement !
Par ailleurs, il est très doué pour balayer les objections adverses avec des arguments irrecevables et rebondir ailleurs.
Dernier cas en date quand il répond à l’étymologie patronymique d’Augey que « quasiment tous les toponymes sont devenus des noms de famille. C’est un argument sans valeur ». Et hop ! Sauf qu’Augey, Augier (ailleurs qu’en Gascogne) est non seulement un toponyme mais aussi un prénom très usité au Moyen Age (essentiellement en Provence d’ailleurs) et ne provient d’aucun toponyme.
De même quand il met au défi de citer des monastères détruits alors que, quand on lui en cite, il rétorque en parlant … des évêchés.
Plus profondément, son obsession toponymique a évidemment pour but de montrer que les envahisseurs vikings auraient marqué de façon durable et positive les pays occupés sporadiquement ou plus longuement pendant 150 ans, dans le cadre (soyons ambitieux, que diable !) d’une vraie principauté d’Aquitaine à l’instar du futur duché de Normandie ou du royaume normand de Sicile, deux siècles après.
C’est faire peu de cas de deux objections, où la toponymie et l’onomastique n’ont rien à faire ; force est de constater d’ailleurs qu’elles servent à M.Supery d’écran de fumée pour masquer ses impasses historiques.
D’abord les constructions étatiques des « Vikings » hors Scandinavie n’ont eu lieu qu’au prix de leur entrée dans le monde civilisé d’alors, concrétisée par leur conversion au christianisme et souvent leur plus ou moins vague hommage au souverain des contrées envahies. C’est ce qui s’est passé en Normandie avec le célèbre traité de Saint-Clair sur Epte en 911. Et bien sûr, la belle aventure du royaume de Sicile n’a eu lieu elle-même que deux siècles après que les ancêtres de Tancrède aient embrassé le christianisme. Imagine-t-on la Chrétienté d’alors accepter, au prix d’une lâche abstention, de voir un pouvoir résolument paien s’incruster dans une marche mal contrôlée, certes mais faisant tout de même nominalement partie de l’empire franc ? Une telle « principauté » paienne aurait alors de plus isolé celui-ci des petits royaumes catholiques pyrénéens en plein début de Reconquista sur les Maures, hypothèse révoltante, ne serait-ce que pour le pape et l’empereur. Maures dont la lecture de M.Supery* montre qu’ils étaient les principaux acheteurs des légions d’esclaves razziés par les fils de Bjoern, Ragnar et consorts. On peut être certain qu’un appel général et motivé à la croisade aurait été lancé, dont il ne semble pas y avoir trace (le fait que la première croisade et le terme même ne datent que du XIè siècle ne change rien à l’affaire) ; le médiéviste spécialiste de l’Aquitaine, connaissant aussi très bien les écrits de l’Espagne médiévale qu’est Guilhem Pepin pourrait sans doute nous en dire plus.
De plus aucune trace n’existe d’une conversion des supposés vikings « gascons » au christianisme : l’histoire de la croix trouvée au cou d’Airald au soir de la bataille de Taller montre justement que ce fait était tellement exceptionnel et inattendu que pour les Gascons vainqueurs, le port de cette croix par un infidèle était perçu quasiment comme un sacrilège ou une ruse supplémentaire.
Ensuite, pour parer à la possible objection de M.Supéry, le seul exemple contemporain à l’allure contraire, celui du Danelaw anglais, montre également que la comparaison n’est pas possible. L’invasion scandinave en Angleterre commença, tout comme les raids sur la Gascogne 50 ans plus tard par le pillage et la destruction de l’abbaye de Lindisfarne en 793, suivis par des pillages analogues dans les décennies suivantes. Mais les raids firent assez vite place à une invasion méthodique dont la prise de Winchester, capitale du royaume de Wessex et celle de York en 876, date de la fondation du royaume viking d’York, furent les plus notables évènements. Certes les envahisseurs étaient-ils alors toujours payens quoique la conversion de certains chefs au christianisme ait déjà constitué alors en Danelaw une arme diplomatique qu’ils ne dédaignaient pas. Du reste le Danelaw ne put voir le jour qu’à partir de la signature du traité entre le roi Alfred de Wessex et le chef normand Guthrum en 886, traité qui fut signé après la défaite militaire de Guthrum en 878, une des clauses de la trève étant d’ailleurs que Guthrum se convertît au christianisme (Alfred devenant son parrain de baptême). Mais quoi qu’il en soit le Danelaw n’occupait pas la place de la Gascogne en Occident dont il constituait une marche très périphérique. En tous cas tous ces évènements furent bien sûr rapportés par les chroniques de l’époque. En Gascogne, absolument rien de semblable.
Ce n’est donc pas l’importance des raids vikings dans notre région que nient la totalité des scientifiques, historiens ou autres, que l’institutionnalisation, la « normalisation » d’un pouvoir qui aurait oublié son extrême violence initiale et aurait créé une quasi légitimité acceptée par les pouvoirs voisins et surtout par les populations locales au point que celles-ci auraient intégré peu ou prou la langue du nouveau maitre en commençant par la toponymie.
Mais non, rien de tout cela malgré les essais de démonstration fantaisistes de l’avocat des Vikings. On le comprend : bien que la comparaison soit discutable compte tenu de l’énorme écart de densité, de durée et de violence des deux occupations, en 1945 les Parisiens n’ont pas non plus conservé le nom de Rivolistrasse utilisé par leurs bien aimés occupants … C’est que l’ « occupation » viking, sans doute à partir de quelques forteresses côtières (Mimizan,peut-être) ou fluviales dont on n’a relevé cependant aucun vestige, n’a agrandi ou même relevé aucun château fort, aucune ville en Gascogne, à la différence de ce qui s’est passé au Danelaw ; ils ont simplement pillé et détruit. Et surtout razzié des foules d’esclaves comme M.Supery le reconnait lui-même* puisque c’est là la seule activité commerciale d’envergure qu’il leur attribue en Gascogne (rien à voir avec le commerce des vallées du Dniepr des Varègues proto-russes : les Scandinaves n’ont tout simplement pas agi partout de la même façon, même à la même époque, pour des raisons que nous ne connaitrons sans doute jamais.
Que M. Supery le reconnaisse ou non (et tout porte à penser qu’il ne le reconnaitra jamais), les Vikings sont pour les Gascons l’envahisseur le plus terrible de notre histoire, comme Tamerlan et ses Mongols au Moyen Orient. Rien de glorieux. Et rien qui justifie l’inondation de Gasconha.com par des tribunes normaniaques, inondation à laquelle ce post contribue bien malgré moi.
* http://idavoll.e-monsite.com/blog/entretiens/joel-supery-un-gascon-sur-les-traces-des-vikings.html