Occitania en 1374 lafitte.yan [Forum Yahoo GVasconha-doman 2007-04-05 n° 8149]

- Jean Lafitte

Pour illustrer ce qu'écrit Guilhem à propos du mot latin Occitania, voici un
extrait de Ligam-DiGaM n° 25 d'avril 2005 :

[...] en parcourant le Registre de Bernard de Luntz, notaire vicomtal de
Fébus de 1371 à 1376 (Notaire de Prince), j'ai trouvé ce mot latin dans une
lettre de Louis, duc d'Anjou, frère du Roi Charles V, datée du 15 aout 1374.
Nous en avons le texte dans un "vidimus" dressé par ce notaire le 17
septembre 1375 (n° 183, p. 157 de Notaire de Prince) : à la demande de
Fébus, qui doit pallier la disette consécutive à de mauvaises récoltes, et
avec l'accord de son frère le Roi, Louis agit en tant que « locumtenens in
partibus Occitanie » (Occitaniae en latin classique) ; il prescrit à ses
subordonnés de laisser passer les chargements de blé venant de Bretagne ou
d'Espagne à destination du Béarn.
Une seconde lettre latine du même duc d'Anjou, datée du lendemain 16 aout
1374, est reproduite dans un vidimus du 1er décembre 1376 (n° 227, ib. p.
186). Là, le duc est « « locumtenens in partibus occitanensibus ».
Or le premier vidimus reproduit d'abord deux lettres en français du Roi
lui-même, datées du 29 mai 1375 où le duc d'Anjou est « lieutenant es
parties de Langue d'oc », « lieutenant es parties de la Langue d'oc ».
Avant toute interprétation, je dois écarter tout commentaire sur les
majuscules des textes ci-dessus, car ils sont pris dans Notaire de Prince,
sans avoir pu consulter l'original. Ceci étant, on a une équivalence exacte
entre chacun des trois segments des quatre formulations :
1 2 3
15 aout 1374 locumtenens in partibus Occitanie (génitif)
16 aout 1374 locumtenens in partibus occitanensibus
29 mai 1375 I lieutenant es parties de Langue d'oc
29 mai 1375 II lieutenant es parties de la Langue d'oc
« parties » du second segment désigne le territoire de compétence du
« lieutenant », qu'on pourrait rendre par « régions » en langue moderne.
Et le troisième segment détermine le second ; mais s'agit-il de l'idiome ou
du territoire ? Sans se poser en spécialiste de la langue juridique du XIVe
s., on peut remarquer que « partibus » précède Britanie dans les deux mêmes
lettres latines, comme « parties » précède de Bretaigne et de Gascoigne dans
les lettres françaises, où on lit aussi « pais de Bretaigne » ; ou encore,
comme il précède d'Aquitaine dans une lettre française du duc de Lancastre
(vidimus n° 160, ib. p. 133) ; on peut en déduire que « Langue d'oc » en
français et « Occitania » en latin désignent alors un territoire, partie
bien identifiée du royaume de France.
Quant à l'adjectif latin « occitanensis », il veut dire tout simplement
« relatif à l'Occitania », ou « de l'Occitania ».
Je puis signaler par ailleurs qu'un acte du 23 aout 1347 désignait le
représentant du Roi d'Angleterre pour ses possessions continentales comme
« generalem capitaneum pro dno nostro Anglie et Francie rege, in toto ducatu
Aquitanie et Lingua-Occitana » (acte CXV du Livre des Bouillons de Bordeaux,
p. 350) : « Lingua occitana » est ici encore un territoire, par tie du
Royaume de France dont le Roi d'Angleterre se considère comme le souverain
légitime, donc synonyme de « Occitania » de notre texte d'aout 1374, 27 ans
plus tard. Il est probable en outre que c'est « Lingua occitana » qui manque
dans la titulature du Prince noir, selon une sentence du 11 avril 1357 (acte
n° 414 du Livre des Établissements de Bayonne, p 385) : » locumtenens in toto
ducatu Aquitanie et [lacune] ».
On peut aussi observer que la titulature "anglaise" juxtapose par la
conjonction » et » le duché d’Aquitaine et la » Langue d’oc » ; donc pour
Londres, l’Aquitaine n’est pas comprise dans la Langue d’oc ; c’eût été moins
sur si l’adjectif » totus » s’était appliqué à » Lingua occitana  » et non au
 » ducatu Aquitanie » pour donner » in ducatu Aquitanie et tota Lingua
Occitana », » dans le duché d’Aquitaine et toute la Langue d’oc ».
En tout cas, vue de Londres ou de Paris, la vicomté de Béarn n’est pas du
Royaume de France, donc de l’ » Occitania  » visée par ces textes ; sinon, on
ne voit pas comment le Roi de Paris aurait été obligé d’intervenir pour que
ses militaires et douaniers ‹ pour parler en termes modernes ‹ laissent
passer sans encombre du blé destiné à une province du Royaume ou encore que
le duc de Lancastre, lieutenant général du Roi d’Angleterre ait emprunté sur
gage douze milles florins à Fébus par un acte qui ne laisse en rien
apparaitre une quelconque subordination du second (vidimus n° 150 déjà
cité). Il en est de même de la Provence, qui n’entrera dans le Royaume qu’à
la fin du XVe s.
Pour Londres comme pour Paris, le latin » Occitania » n’a donc désigné
qu’une partie du Royaume de France, jamais une » patrie  », des » pays » que
ses habitants auraient ainsi nommés et qui, du reste, n’ont été réunis dans
une même entité politique que par l’action continue du pouvoir de Paris. Et
l’adjectif latin » occitanus » signifiait » d’oc », sans plus ; il ne semble
pas avoir jamais été substantivé pour désigner la langue d’oc.
Ce qui fit écrire au linguiste occitaniste Patrick Sauzet, dans un éditorial
d’Institut occitan (Bulletin n° 11, Octobre 1998.) : » C’est parce qu’il n’y
a jamais eu d’Occitanie qu’il est intéressant de la faire. » ... à condition
que les peuples concernés le souhaitent !

Fin de citation.

Qui habet oculos videndi, videat !

J.L.

Grans de sau

  • Précision pour Jean Lafitte :

    Le mot "Occitania" ne se trouve JAMAIS SEUL dans tous ces textes et il se
    trouvait TOUJOURS dans l'expression "in partibus occitanie" ou "in partibus
    occitanensibus" qui était TOUJOURS traduite en langue vulgaire par "dans les
    parties (régions ou provinces) de LANGUE D'OC". L'Occitania n'existait alors pas
    en tant qu'Occitania : il ne s'agissait que d'une forme du latin "lingua
    occitana" et tout cela était TRADUIT en langue vulgaire par "langue d'oc" puis
    "Languedoc".
    Comme je l'écris dans un autre message, cette expression n'avait plus qu'un sens
    territorial limité à la zone comprise entre la Garonne et le Rhône après 1360.

    De toute façon, au sens linguistique, la Gascogne ne fut jamais dite de "langue
    d'oc".

    Pour le reste, Jean Lafitte a raison : ces termes n'ont désigné que les
    possessions méridionales du roi de France à l'exclusion donc de la Gascogne dite
    "anglaise", du Béarn ou encore de la Provence.

    Amistats,

    Guilhem


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