La discussion qui suit est quelque peu complexe mais je ne désespère pas de parvenir à faire un travail de vulgarisation. Pour cela, il faut maîtriser deux données :
– L’Europe a été peuplée, en gros, par trois vagues de peuplement : aux chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur, peintres de Lascaux, ont succédé les fermiers du Néolithique, en provenance d’Anatolie, et qui étaient génétiquement très distincts ; un métissage va s’opérer tout au long des siècles, pour se stabiliser, avant qu’à compter de la fin du Néolithique et surtout pendant l’âge du Bronze, n’afflue une nouvelle vague migratoire, en provenance de l’Est, depuis la steppe ukrainienne, qui de proche en proche, en se diluant, va modifier le paysage génétique européen (et vraisemblablement charrier les langues indo-européennes).
Ces vagues de peuplement peuvent se résumer sous la forme du graphique mis en évidence il y a quelques années par Haak (cliquez sur les photos pour les agrandir).
– Les Sardes contemporains sont génétiquement la population la plus proche du Néolithique, ils ont quasiment échappé aux migrations postérieures au premier peuplement de l’île par une population de fermiers (en réalité, une étude plus fine a pu montrer que cela était à gros traits, mais il convient de simplifier).
Les Basques sont, eux, sur le continent, la population la plus proche des métis entre fermiers et chasseurs-cueilleurs, avec cependant une touche d’apport de la steppe (ils sont toutefois en Europe ceux qui ont le moins été "touchés" par cette vague migratoire).
Une étude a très récemment montré que les Basques sont en réalité similaires aux Ibères de l’âge du Fer, qui étaient alors en Europe continentale, les moins affectés par les migrations de la steppe. Sur ce point, voir l’article suivant :
Ces faits génétiques (quasi-identité entre les Sardes et les fermiers anatoliens, proximité génétique des Basques avec les populations d’avant les migrations steppiques d’Europe de l’Est) laissent supposer que l’ancienne langue d’Europe de l’Ouest était une langue de type basque, plus précisément une langue "sarde" (la toponymie de la Sardaigne montre des lieux-dits parfaitement explicables avec des racines basques actuelles).
Le basque ne serait donc que le dernier dialecte subsistant d’une plus large famille puisant ses racines dans la langue des premiers fermiers anatoliens.
Cette langue se sera mieux maintenue là où l’influence des migrations ultérieures, quantifiable génétiquement, aura été moindre : l’air de famille entre basque et ibère est désormais à nouveau reconnu, il reste maintenant à constater si le ligure ou certaines langues italiques n’auraient pas été apparentées, avant l’arrivée des langues indo-européennes.
***
Si la France est à la traîne en matière d’études génétiques, pour cause de névrose unitaire, l’apport des tests génétiques personnels a été de permettre de contourner les tabous français, et à raison, tant, même d’un point de vue plus philosophique, les résultats sont réjouissants, au sens où ils mettent en exergue une grande mixité. Nous sommes tous des métis, selon les époques.
Et il s’avère que les outils mis à la disposition des amateurs sont de plus en plus perfectionnés : aussi, il est désormais possible d’émuler le PCA de Haak, et de s’y placer personnellement, grâce à Vahaduo, et la possession de ses "coordonnées" Global25, tirées de l’étude de la donnée brute d’un test ADN personnel.
J’ai donc annoté le PCA et me suis placé sur le graphe : je correspond au point vert. Ma généalogie est simple, je descends de familles béarnaises, essentiellement concentrées en Vic-Bilh et Montanérès, sur les anciens évêchés de Lescar et Tarbes, dans les cités des Venarni et des Bigorri, peuplades aquitaniques, de probable langue proto-basque, romanisées et devenues "gasconnes".
La lecture du graphe est simple, sur deux axes :
– Sur l’axe horizontal, plus le point est vers la gauche, plus la mixité avec les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique est grande (une humanité disparue, noire de peau, aux yeux bleus) ; plus il est vers la droite, plus la mixité avec les migrations de Méditerranée orientale est importante.
– Sur l’axe vertical, plus le point est vers le haut, plus l’influence des migrations de la steppe fut importante (en lien avec les migrations indo-européennes) ; plus il est vers le bas, plus le substrat est celui des fermiers du Néolithique, de probable langue "sarde".
Ainsi, les Sardes se retrouvent quasi avec les fermiers du Néolithique, inchangés depuis plusieurs millénaires ; les Basques sont ensuite, sur le continent, les plus vers le bas, compte tenu de leur plus faible perméabilité aux migrations de la steppe, mais décalés vers la gauche car ayant été métissés auparavant avec des autochtones du Paléolithique.
Si l’on jette un œil sur ma position, je me trouve un peu au dessus des Basques, en dessous des autres Français, en position intermédiaire. Il convient de zoomer :
Les échantillons modernes proposent des individus labellisés "French_South" et "French_Occitania" : cela est bien dommage, car cela ne signifie évidemment rien. Après enquête, l’échantillon "French_South" semble correspondre à une étude sur des Béarnais, Landais et Bigourdans datant de 2013 : ce sont donc des Gascons.
https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0067835#pone.0067835.s003
Je ne suis pas parvenu, en revanche, à trouver d’où provient l’échantillon "French_Occitania" : il est tout de même malheureux que la loi NOTRe vienne compliquer les choses, même sur le terrain scientifique, le monde anglo-saxon collant évidemment à nos découpages administratifs misérables.
Le fait que l’échantillon se trouve éclaté en plusieurs morceaux, avec un noyau dur que j’ai relié en violet, et un autre qui se retrouve vers la droite, vers la Provence, montre qu’il s’agit selon toute vraisemblance d’un échantillon de la grande région.
Si l’on passe sur ce contretemps malheureux, les résultats sont assez limpides :
– Avec constance, les populations gasconnes semblent toutes un peu décalées vers le haut par rapport aux populations basques : cela dénote une plus grande perméabilité aux migrations en provenance de la steppe. Elles sont cependant, également avec constance, les plus proches des Basques.
– L’on sait, via l’étude de l’an dernier sur l’Ibérie que la différenciation entre les Basques et les autres Espagnols s’est faite à l’époque historique : en gros, les Espagnols sont "décalés" vers la droite, en fonction de l’apport migratoire de la Méditerranée orientale (afflux continu, depuis Rome jusqu’à Al Andalus), depuis "seulement" les 2000 dernières années. Il est important de bien considérer que les populations modernes qui habitent d’anciennes terres ibères (je pense aux Catalans par exemple) ont donc quelque peu "dévié" de leurs ancêtres, par métissage.
Pour ma part, "Moi", le point vert, je me trouve au milieu de populations anciennes de l’Ibérie de l’âge du Fer, autrement dit, les populations gasconnes sont à peu de choses près identiques aux Ibères de cette époque, ce qui corrobore les propos de Strabon ou César.
Le même graphe que plus haut, avec à la place des populations modernes, les populations anciennes, est illustratif :
– On remarque que les Auvergnats sont parmi les Français les plus proches des Gascons, en l’état de l’échantillonnage à disposition (on ne sait rien des gens de l’espace entre Garonne et Loire et l’échantillon "Occitania" doit comporter des Rouergats et autres). Ce n’est rien de surprenant, la différence majeure entre l’ancienne Ibérie, dont la Vasconie, et l’Auvergne tient à une influence supplémentaire de la steppe, suffisante, a priori, pour celtiser linguistiquement le pays d’Auvergne.
À titre parfaitement anecdotique, il n’est pas inintéressant de remarquer que les races de vaches, par exemple, du Massif Central, sont de même souche que les races du bassin aquitain. L’on sait que les animaux suivent les hommes.
In fine, l’on touche probablement au phénomène que j’ai appelé plaisamment de la "France jaune", mis en évidence cette année dans le cadre d’une étude quelque peu lacunaire :
Cette "France jaune", pour la couleur des camemberts, est en gros le sud de la France, incluant le Poitou et le Berry. Elle est cette France moins touchée par l’influence steppique, la question étant de savoir si celle-ci était déjà en place au Nord de la Loire du temps des tribus de langue celte (dite gauloise) ou bien si elle est le produit d’une migration ultérieure, lors des invasions germaniques (c’est mon hypothèse pour ma part).
À noter que quelques échantillons "French_Occitania" et la Provence tirent clairement vers la droite, ce qui dénote leur porosité au monde de la Méditerranée orientale : sans trop de difficultés, il est possible d’imaginer que les individus "occitans" de "French_Occitania" qui sont décalés de la sorte sont originaires de la côte languedocienne.
– Les points espagnols sont évidemment intéressants, mais trop peu nombreux selon les régions : le point de La Rioja est particulièrement étrange, il suppose un apport des chasseurs-cueilleurs beaucoup plus faible que chez les Basques voisins (une "sardité" plus forte), également un apport plus faible que chez tous les voisins non-basques de la steppe, mais une vraie porosité à rebours à la Méditerranée orientale, ce qui doit refléter pas mal l’histoire de la vallée de l’Èbre. À noter que des points navarrais se trouvent aussi dans ces parages. L’échantillonnage est probablement trop faible néanmoins.
En revanche, avec plus de netteté, la Cantabrie semble, en moyenne, la plus proche des points "French_South", ce qui va dans le sens des témoignages antiques de solidarité entre Aquitains (les ancêtres des Gascons) et les Cantabres, alors même que ces derniers étaient indo-européanisés, au contraire des Aquitains en règle générale.
***
Alors, qui sont les Gascons, au final ? A priori, comme des Ibères de l’âge du Fer au nord des Pyrénées (pour ma part, je suis presque identique à un Ibère d’Empuries), à savoir des Basques un poil plus ouverts aux influences nouvelles de l’époque. Il serait intéressant que de l’ADN ancien soit extrait dans notre zone.
Lorsque les influences furent plus fortes, l’on peut supposer alors la celtisation plus complète : ce fut le sort du Massif Central, selon toute vraisemblance, probablement aussi celui des Celtibères.
Ce qui est certain, dans tous les cas, c’est que la variation à chaque époque fut importante : c’est le féodalisme qui semble avoir comme "congelé" les populations dans un état donné, avant que les progrès des transports à partir du XIXème siècle n’induisent à nouveau de grandes migrations, d’abord européennes, désormais mondiales en réalité.
Reste qu’il est indéniable qu’a priori, les populations du triangle Garonne-Pyrénées-Atlantique pouvaient arguer d’une relative continuité depuis au moins 800 avant J.C.