Comment établir une « forme gasconne recommandée » ?
Proposons quelques éléments de réflexion méthodologique.
Graphies, phonèmes, sons
Plusieurs éléments d’ordre linguistique jouent un rôle dans l’établissement de
la forme recommandée.
L’un des plus importants est la tradition graphique, qui s’étend sur plusieurs siècles.
Elle livre pour chaque époque des formes dont l’interprétation révèle
la composition et le sens du toponyme. On reconnaît ainsi les normes des
différentes époques, aisément adaptables dans le système orthographique
moderne choisi (quel qu’il soit) puisqu’elles font partie de l’histoire de la
langue.
Spécificité de l’écriture des noms de lieux
La graphie des toponymes et des anthroponymes a ses principes propres, qui ne sont pas systématiquement ceux de la langue de communication verbale écrite.
Les formes anciennes écrites sont partie intégrante du « patrimoine populaire ».
On ne devrait pas en principe opposer formes parlées actuelles et formes écrites anciennes, si l’on considère qu’elles s’épaulent et s’éclairent mutuellement.
La phonétique, constat ponctuel et local, permet de constater l’évolution
des sons, les divergences dialectales, les innovations (usures, substitutions,
réinterprétations) et les conservatismes (y compris d’une génération à l’autre).
Elle n’autorise pas toujours en revanche la constitution d’une forme écrite, qui
ne relève pas de la description, du constat, mais de la normalisation graphique.
Attention donc au maniement des données.
La réflexion et le choix
La valorisation ou le rétablissement d’une forme gasconne écrite ne peut se
faire sans principes cohérents. La hiérarchisation des informations est le premier gage de rigueur souhaitable. La description facilite et justifie en partie le choix.
Si l’on veut établir une signalisation graphique publique qui valorise le
gascon, il faut établir un « principe de pertinence » qui permette l’analyse, non
la décision, qui ne vient qu’après : les propositions normatives seront toujours
distinctes du collectage des formes et des interprétations.
Forme écrite et forme orale
a) la nature même du nom ;
b) son vêtement graphique.
Pour l’essentiel on peut répartir les toponymes suivant leur degré de
gasconnité linguistique, au sens large, c’est-à-dire suivant leur plus ou moins
forte participation à la langue.
Par exemple : Cazaux, Cazeaux, sont totalement gascons.
La graphie est autre chose puisqu’un nom peut se plier à des normes diverses,
qu’on jugera plus ou moins pertinentes. C’est à l’intérieur de cette deuxième
question que se déroule la confrontation des graphies.
Par exemple : Cazeaux est écrit dans une graphie française plus ou moins
acclimatée.
Ainsi pour Éauze : /’ewzo/, la prononciation, quelle que soit la graphie, fera
problème. Mais la forme officielle même déconcerte les étrangers à la région,
pour peu que l’accent soit omis sur l’initiale.
Peyrehorade, Hagetmau ou Puyoo ne sont pas beaucoup plus simples, et personne ne les conteste.
La ville affiche Euzo, ce qui est cohérent mais se lirait /ewzu/ (‘ewzou’) en code IEO. On voit par cet exemple que la finale demandera réflexion : -o, -a, -e.
Mais la subjectivité n’est ici que l’intuition d’un problème sous-jacent, auquel
on peut réfléchir puisque la régularité du système choisi implique une norme.
La préférence donnée à Maremne sur Maremna se justifie par des éléments
d’histoire et d’étymologie (DISCUSSION HL).
À une lettre près, la nécessité d’un panneau Mirande / Miranda se discute
(TM).
Mirande ne peut être tenue pour français, mais il faut considérer la
signification du -e par rapport à la phonologie et l’évolution de la finale dans
une partie du domaine gascon.
Théoriquement, s’il s’avère que Mirande est une
francisation, il n’y a pas lieu de refuser le couple bilingue, mais celui-ci serait
alors tellement proche du digraphisme qu’il en paraîtrait artificiel.
Un principe d’économie (pas financières, mais orthographiques) inciterait à ne rien changer.
Ce qui reviendrait à un refus de signalétique pour raison pratique qui ne ferait pas l’unanimité. La solution serait une refonte administrative officielle.
Le cas de Marmande est encore plus discuté, puisque cette commune se situe dans la zone où l’on prononce /ə/ la finale écrite –a ou –o selon le système adopté, de sorte que Marmande semble la forme la plus appropriée à rendre compte du gascon.
Un panneau Marmande / Marmanda n’est-il pas contre-productif pour la langue ? (TM)
N.-B. : Pour l’opinion commune, Mirande fera français, à la rigueur « français
du Midi ».
TM signale le cas de Levignacq (discussion sur le site G.C, rubrique lòcs).
Si Aubinhac s’est perdu, estime PJM, il vaut mieux ne pas jouer les puristes.
Si la forme gasconne est depuis très longtemps /leviñac/, autant normaliser
Levinhac et indiquer sur un éventuel guide qu’"une forme étymologisante
serait Aubinhac, forme très ancienne".
C’est le problème de Rosporden, jadis Rospreden, qui est très beau mais trop lointain (bien que toujours utilisable), ou celui de Rappoltsweiler vs Rappweiler pour ’Ribeauvillé’ : La signalisation n’est pas de l’archéologie et si utile qu’elle soit l’étymologie doit tenir compte de la
langue et des formes gasconnes officielles.
Il y a certes une part de subjectivité dans cette position, mais la ’réception
du nom’ compte aussi. Il faudra donc introduire cette notion des "formes
évoluées" dans la théorie. Ce ne sont pas des formes abâtardies comme le
serait °L’Evignat. Ce ne sont pas non plus des abréviations affectives comme
Hayet pour Hagetmau. De quoi ajouter un paragraphe au moins.
Par contre, le -nh- étant la graphie pour /ñ/, Levinhac s’impose, quitte à faire du digraphisme (PJM).
Le cas de Réaup indiqué par TM est exemplaire (EXPOSÉ).
Comme la forme connue est Réaup, Arriaup serait très bien parce que ar- est
l’un des traits fondamentaux du gascon. Ici, c’est la valeur du nom par rapport à la langue qui détermine son adoption.
On voit par ces réflexions combien les questions sont imbriquées.