Les occitanistes affichent leur ignorance Jean Lafitte [Forum Yahoo GVasconha-doman 2010-10-25 n° 10154]

- Jean Lafitte

Bonjour à tous,

Le 10 septembre, un article et son gros titre dans l'Eclair m'ont fait prendre un coup de « malìci » et écrire sur ce forum une réaction intitulée « L'Institut béarnais et gascon affiche son incompétence linguistique ».

Aujourd'hui, c'est avec calme que je charge l'autre plateau de la balance, après lecture de quelques articles du même journal.

« La langue béarnaise est gasconne donc occitane »

LE PREMIER et le plus important est celui de la presse paloise du 7 de ce mois, et de Sud-ouest du 8, relatant la remise en place de la plaque « Vilhèra » sur le panneau d'entrée d'agglomération de Billère. Car il donne l'occasion à M. Rey-Betbéder, président de l'Institut occitan installé dans cette même ville, de déclarer :
« C'est la graphie figurant dans le dictionnaire toponymique des noms des communes du Béarn et reconnue par l'Education nationale. La langue béarnaise est gasconne donc occitane : l'écriture est la même, c'est la manière de prononcer qui se différencie. »

« La langue béarnaise est gasconne donc occitane », c'est de la part d'un personnage important et certainement instruit l'affichage d'une IGNORANCE TOTALE de ce qu'ont établi et affirmé à peu près tous les romanistes qui depuis 130 ans ont étudié de près la langue gasconne.
Je n'en citerai ici que trois, en attirant l'attention sur le Pr. Pierre Bec, non seulement romaniste estimé par ses collègues, mais encore président de l'I.E.O. à l'époque où il publiait les textes cités.
Le 7 janvier 1879, dès sa leçon d'ouverture du Cours de langue romane à la chaire qui vient d'être créée à la Faculté des lettres de Montpellier, le Limousin Camille Chabaneau évoque la transformation du latin parlé dans l'ancienne Gaule, d'où naissent « trois langues nouvelles » :
« Ces trois langues sont : la langue d'oui, ou le français, au Nord ; la langue d'oc, ou le provençal, au Sud et au Sud-Est, et enfin le gascon au Sud-Ouest. » (Revue des langues romanes, 1879, p. 158).
En 1970, dans le Tome Ier de son gros Manuel pratique de philologie romane, Pierre Bec traite séparément l'occitan (pp. 395-462), le catalan (pp. 463-508) et le gascon (pp. 509-554), qu'il réunit sous un titre commun « occitano-roman », comme il réunit l'espagnol et le portugais sous le titre d'« ibéro-roman ».
En 1972, il s'en explique clairement : avec le GASCON, « il s'agit […] en fait d'une LANGUE très proche [de l'occitan], certes, mais SPECIFIQUE (et ce dès les origines), AU MOINS AUTANT QUE LE CATALAN. » C'est écrit en languedocien dans un rapport à l'assemblée générale de l'I.E.O. de 1972 qui l'approuve, puis en français dans son Manuel pratique d'occitan moderne publié en 1973.
Dernièrement, avec Yan Greub, linguiste à Nancy, le Pr. Jean-Pierre Chambon, directeur du Centre d'études et de recherches d'Oc (CEROc) de la Sorbonne, d'origine auvergnate, DÉMONTRE qu'avant l'an 600, on a déjà des témoignages des sept changements phonétiques reconnus depuis Luchaire (1879) comme caractéristiques du gascon ; il en conclut :
« … le gascon n'a pu se détacher d'un ensemble linguistique [occitan] qui n'existait pas - ou, si l'on préfère, qui n'existait pas encore - au moment où il était lui-même constitué. Il ne peut par conséquent être considéré comme un dialecte ou une variété d'occitan au sens génétique de ces termes (« forme idiomatique évoluée de »). Du point de vue génétique, le (proto)gascon est à définir comme une langue romane autonome. » (« Note sur l'âge du (proto)gascon » Revue de linguistique romane, n° 263-264, Juillet-Décembre 2002, pp. 473-495).
Intervenant le 12 septembre 2005 au VIIIe Congrès de l'Association internationale d'études occitanes (A.I.E.O.) tenu à Bordeaux du 12 au 17, M. Chambon a confirmé ces conclusions et critiqué sans ménagement l'expression « occitan gascon » : s'il s'y était fié, elle « aurait imposé d'entrée de jeu de ne pas poser le problème que, précisément, [il voulait] soulever. » (« L'émergence du protogascon et la place du gascon dans la Romania », Actes du VIIIe Congrès…, pp. 787-794).
Et cela, M. Chambon l'a dit devant ses pairs, français et étrangers, sans qu'aucun ne se lève pour le contredire.

« l'écriture est la même, c'est la manière de prononcer qui se différencie »

Si le journaliste n'a pas déformé les propos de M. Rey-Betbéder, c'est encore une grosse erreur : quand la norme orthographique « occitane » fait écrire en gascon « Bèth cèu » (de Pau), c'est différent de « bèl cèl » en languedocien ; et le « huec » (feu) gascon n'est pas le « fòc » languedocien…
Et que dire de la graphie « reconnue par l'Education nationale » : le seul texte officiel de ce ministère est l'Arrêté du 15 avril 1988 (J.O. du 30, p. 5929 et B.O.-E.N. n° 17 pour les annexes) dont l'Annexe I contient les programmes de langues régionales dans les lycées en vue des épreuves du baccalauréat (épreuve obligatoire ou facultative). L'essentiel est dans cette phrase : « l'enseignant sera évidemment conduit à privilégier une base graphique qu'il déterminera librement en fonction de l'efficacité pédagogique et de l'environnement littéraire et culturel ». Donc LIBERTE PEDAGOGIQUE DE L'ENSEIGNANT, attention à l'environnement ; chez nous, béarnais et gascon, pas occitan !

« nous menons des travaux scientifiques » - « l’Orthographe restituée »

Le journal rapporte ensuite ceci, de M. Sergi Javaloyes, directeur de l'Institut occitan : « Nous ne sommes pas là pour faire du militantisme, nous menons des travaux scientifiques pour répondre à une mission publique ». Affirmation aussi gratuite que celle de la reconnaissance officielle de la graphie.
Je vous prouve sans peine que M. Michel Grosclaude n'a en rien été « scientifique » dans sa conclusion de l'article Billère de son Dictionnaire toponymique des noms des communes du Béarn (1991) auquel se réfère M. Rey-Betbéder : « Orthographe restituée : Vilhèra ».

Car si l'on prend la peine de lire l'Introduction de cet ouvrage, on a tôt fait de constater qu'il ne s'agit en rien de « restituer » (donc de rétablir) une orthographe authentique qui aurait été en usage par le passé. M. Grosclaude est très clair, encore qu'il faille rapprocher deux passages à 10 pages de
distance :
p. 20 (les MAJUSCULES sont de moi) : « Un des objectifs qui a motivé ce travail était de proposer une ORTHOGRAPHE BEARNAISE CORRECTE des toponymes béarnais. Cela nous paraissait essentiel pour deux raisons. La plus immédiate est que nous avons souvent été sollicités par de nombreuses personnes qui nous demandaient comment écrire le nom de leur ville ou village « en BEARNAIS correct ». […]. »
p. 30 : « Ce que nous appelons “orthographe béarnaise correcte”, c'est ce que certains ont appelé “orthographe classique”, d'autres “orthographe normalisée”, d'autres encore “ORTHOGRAPHE DE L'INSTITUT D'ETUDES OCCITANES”, d'autres enfin “orthographe ALIBERTIENNE” du nom du grammairien qui en fut le principal initiateur. »
M. Grosclaude n'avait donc en rien l'intention de « restituer » une orthographe ancienne, mais seulement d'appliquer les règles que l'I.E.O. a définies pour l'occitan languedocien et que leur “père” le Languedocien Louis Alibert a ensuite adaptées au gascon : il faisait ouvertement œuvre de MILITANT OCCITANISTE et TROMPAIT LE LECTEUR CONFIANT par les mots « Orthographe restituée ».
La reprise, en tête de l'article de chaque commune, des attestations anciennes données par Paul Raymond 128 ans plus tôt n'est donc qu'un LEURRE, puisque l'auteur ne retiendra que la forme conforme aux règles de l'I.E.O., telles du moins qu'il les avait comprises, et s'il n'y en a pas, la fabriquera ; par ex. Laruenh pour Laroin, etc : sur les 459 cas d'« Orthographe restituée » dans l'ensemble du Dictionnaire, j'en ai relevé 204 (44,4 %) qui n'ont aucun précédent exact dans les attestations anciennes produites.
Comme pour confirmer la réalité de cette démarche militante, dans le Dictionnaire toponymique des communes des Hautes-Pyrénées qu'il a co-signé avec M. Jean-François Le-Nail, c'est comme « Orthographe occitane » que M. Grosclaude a proposé les noms écrits selon l'I.E.O.

C'est ce qu'a compris le journaliste qui a écrit « Sur la route de Bayonne […], le panneau d'entrée de Billère a à nouveau sa version OCCITANE. »
Et puisque le gascon, donc le béarnais, est une langue distincte de l'« occitan », la colonisation ne se cache plus.

Les AUTRES articles affichent l'ignorance occitaniste de manière plus anodine.

Ainsi, pour beaucoup, il suffit de mettre A à la place de E final pour avoir un mot « occitan » ; par exemple, L'Éclair du 18 juillet 2002 montrait un enseignant au tableau, lors d'une réunion revendicative : « Que volem 19 pòstas » (donc des bureaux de poste) au lieu de « 19 pòstes » (postes budgétaires d'enseignants).

De même, un nom en -é s'occitanise en -èr ; après le “classique” « curèr », l'Éclair de mardi dernier 19 septembre, p. 11, affiche l'accordéoniste des « Menestrels [sic] Gascons » sous le nom de « Christian Josuèr » ; il suffit pourtant d'ouvrir le Dic. français-occitan (gascon) de G. Narioo et autres pour voir que « Josué » français se traduit pas « Josuè ». Mais qui a l'humilité d'ouvrir un dictionnaire avant de s'exprimer en « occitan », ou en « béarnais » ?
Le même journal, p. 13, annonce une « spéroquéra » à Clèdes, avec deux accents aigus sur les « e », alors que le premier ne devrait rien porter et le second, un accent grave.

NULS, tels sont la grande majorité de ceux qui prétendent encore écrire la vielle langue du pays, car la SUFFISANCE et la PARESSE les dispense d'en apprendre les règles, que ce soient celles de l'Escole Gaston Fébus ou celles de l'I.E.O.
Je ne suis pas en colère, je suis profondément pessimiste quant à l'avenir d'une langue si peu cultivée par ceux qui s'en disent les derniers défenseurs.
Més, que ha ???

P.-S.

[Mise en forme, avec certains sous-titres, partiellement issue du travail de republication de ce message du forum Gasconha-doman comme article de Gasconha.com, en 2023.]

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