"GASCOGNE" de Raymond Escholier Le livre d’un "gascon du Languedoc" sur *sa* Gascogne d’autes cops

- Tederic Merger

La bibliothèque municipale de Tonneins a, au région régional, de vieux livres réellement intéressants !

Après "Visages de la GUYENNE", voici "GASCOGNE" de Raymond Escholier, publié en 1933 chez ALBIN MICHEL, ÉDITEUR.

La dédicace qui ouvre le livre annonce la couleur :

"A PIERRE BENOIT.
lui aussi Gascon du Languedoc,
en témoignage d’ancienne et fidèle amitié."

"Gascon du Languedoc"... C’est une curiosité, pour nous qui partons du critère lingüistique pour définir la Gascogne (sont gascons les pays où on a parlé gascon, et en Languedoc lingüistique, par définition, on ne parlait pas gascon).

On comprend, à la lecture des chants ou contines en "langue d’oc" qui émaillent le livre, que l’auteur se situe dans une zone languedocienne du côté du pays toulousain et du pays de Foix, clairement hors Gascogne lingüistique, mais pas loin de Couserans et Comminges (qui sont gascons, eux). [1]

Ex :
Fillhotos qu’ets à marida,
Fillettes qui êtes à marier,
S’abets argent, gardats lé pla !
Si vous avez de l’argent, gardez-le bien !
Siots pos ta nas lébado,
N’allez pas tant lever le nez,
Jar bou lé faran abaicha
Car on vous le ferait baisser,
Quand sirets maridado !
Quand vous serez mariées !

Pourquoi alors se dit-il gascon ? [2]

Pourquoi, aussi, a-t-il écrit ce tableau d’une "Gascogne" traditionnelle (qu’il a dû voir disparaitre dans les décennies qui ont suivi), alors qu’il menait une carrière dans le Paris des arts et des lettres ?

C’est dommage, son avant-propos est court, et Escholier explique peu sa relation à la Gascogne.

En 1933, les découvertes des lingüistes sur le domaine lingüistique gascon étaient encore assez fraîches.

Et surtout, il a dû sentir que le pays de Foix qu’il avait sous les yeux ressemblait à la Gascogne décrite par Pesquidoux :
"Comment ne pas subir encore, fût-ce à son insu, l’incantation de ce chantre incomparable du terroir gascon, Joseph de Pesquidoux".

Et si le caractère languedocien, et non gascon, des textes populaires qu’il cite, saute aux yeux, la culture rurale qu’il décrit ne parait pas foncièrement différente de celle montrée par Pesquidoux, ou Césaire Daugé. Ce dernier insiste sur le cycle des saisons, comme "Gascogne" d’Escholier, qui est bâti sur ce cycle même.

Après vérification, ce livre n’est pas accessible par Gallica (ni d’autres), et c’est donc ici le lieu d’en diffuser quelques extraits. Voir plus bas.

On peut aussi se procurer, à la date où ces lignes sont écrites, le livre "Gascogne", sur Price Minister. Une édition plus ancienne du livre, avec cette jolie couverture :

Quelques passages choisis (mises en gras par Gasconha.com) :

Avant le mariage :

"La plupart des filles savent se garder et arriver au mariage, exemptes de tout soupçon.
Celle-ci a travaillé, chanté, badiné avec la bande turbulente des garçons, mais aucun d’eux ne peut faire mépris d’elle, et même, pour rendre hommage à sa vertu, ils sont venus un matin, alors que tout dormait encore, jeter sur le seuil de sa porte, des fleurs et de la verdure fraîche ; c’est l’enramado.
La coquette, celle qui s’est moquée de ses galants, risque d’avoir une enramado d’autre sorte, injurieuse et malodorante.
Sur cette terre réaliste, il n’est pas dans l’usage de languir d’amour et même la chanson de Gaston Phébus lancée à pleine voix, d’un bout à l’autre de la Gascogne, reste alerte et gaillarde :
Aquellos mountagnos...
Quand le cœur a parlé, aucune emphase pour dire qu’on aime celui-ci ou celle-là : « M’agrado... »
Il m’agrée ou elle m’agrée... Cela suffit. Tout d’abord, on se courtise avec de grands éclats de rire, de terribles bourrades, des simulacres de lutte, où les poings se mêlent, les bras s’enlacent, puis on se parle.
Cour discrète qui n’engage pas, mais fait de lui et d’elle, aux yeux de tous, des amoureux. On s’isole des groupes bruyants, on se retire un peu [...]"


Le choix du conjoint :

"Le mariage est chose grave qu’on doit traiter sans légèreté. Guère d’illusions :

 Maïré, perqué sé marida ?

 Mère, pourquoi se marier ?

 Ma filho, per fiala, enfanta et ploura !

 Ma fille, pour filer, enfanter et pleurer !
N’importe ! La fille accepte, se sentant la force d’accomplir sa destinée.
Lui n’aimera pas d’aller au loin prendre pour femme une étrangère ; et il ne faut pas s’éloigner beaucoup pour trouver des changements profonds dans le langage, le costume, les habitudes, le genre de vie.
Ceux de la montagne, sobres, graves, pensifs, tiennent en piètre estime les gourmands, les bavards, les étourdis du « pays-bas ».

Ceux de la plaine s’estiment riches et accordent une pitié quelque peu dédaigneuse aux gens de là-haut, ces mountagnols que leur petit champ de gabatch, de blé noir, ne nourrit pas et qui viennent en automne brulla bi (brûler le vin), l’alambic au dos, ou faire danser leur grand ours gris, ou réciter les sept sans (psaumes de la Pénitence), ou montrer de ferme en ferme Nostro Damo del Caychou, Notre-Dame de la Petite Caisse.

On se marie donc avec d’autant plus de confiance qu’on se connaît davantage."

"Pren la filho de toun besi,
Prends la fille de ton voisin
Caouneguiras soun si !
Tu connaîtras son si !
c’est-à-dire ses défauts.

En même temps, il est bien sûr de ses qualités.
Elle sait faire les trois choses fondamentales du mariage ; le pain, la lessive, le millas.

 Est-elle vaillante ?

 Comme une épée

 Est-elle propre ?

 Elle laverait l’eau

La fille de son voisin, c’est vraiment celle qui le mieux lui agrado."

Le repas de mariage : mintjar e cantar...

« - Bou Dious ! Quel feu a-t-il fallu pour rôtir tant de bêtes ?
Assurément de quoi incendier plusieurs villages. Tout disparaît sans laisser aucune trace, car les chiens font craquer les os sous la table et chacun a soin de rendre son assiette absolument nette, en la frottant de mie de pain. Il serait du dernier mauvais goût d’envoyer aux laveuses de vaisselle, le moindre débris.
Point de légumes, la jeunesse est carnassière ; des croustades de viande, des macaronis au gratin doré...
Pourtant, il ne s’agit pas de manger comme des bœufs au râtelier. Des voix protestent :

 Personne pour en chanter une aujourd’hui ?

 Si fait, si fait !
Les invités absolument incapables d’égrener un couplet s’en excusent ; car chacun doit une chanson. Il convient de payer en agrément et poésie la bonne chère si généreusement offerte [...] »

Si les familles des nobits sont trop peu fortunées pour avoir des musiciens, on danse al sou de la garganto, au son du gosier, la plus primitive des musiques.
Voisins et voisines, hommes et femmes se groupent pour former l’orchestre ; chacun prend à sa guise quelques syllabes sonores qu’il adapte à l’air de danse ; les talons martèlent la mesure ; les sabots font clic-clac ; les mains battent, nerveuses les doigts claquent sec au-dessus des têtes la symphonie est brodée d’un fil rouge par d’habiles siffleurs et le mouvement devient vite endiablé.

La mariée

Las carreros déurén flouri,
Les rues devraient fleurir,

Tant béro nobio ba sourti ;
Tant belle mariée va sortir ;

Déurén flouri, déurén graina,
Devraient fleurir, devraient germer,

Tant béro nobio ba passa !
Tant belle mariée va passer l

La moisson : les gerbiers

Sur l’aire balayée, lisse « à pouvoir manger de la crème par terre », on construit les gerbiers.
Ceci est encore l’affaire d’un ancien ; il y déploie des qualités d’architecte. Une fois debout, son œuvre attestera, durant des Semaines et des semaines, son adresse et son expérience.
La gerbière est construite en longueur comme une église de campagne ; l’eau s’écoulera sur les deux pentes, pareilles à celles d’un toit, et séparées par la même arête vive.
Les gerbiers sont ronds, ventrus, de façon à repousser la pluie de leurs flancs bombés ; tant ils montent parfois, si haut, si haut que la dernière gerbe qui coiffe leur cime se voit de très loin comme la flèche d’un clocher.
L’orage, on le craint toujours. D’un coin du ciel enténébré, tendu de nuées livides, peut bondir, tout à coup, une pluie torrentielle, l’ayguat qui fait en trois minutes du ruisselet un torrent furieux.

Gerbiers et gerbières doivent rester impénétrables sous le déluge. Que l’humidité atteigne le grain, il germe et tout est perdu.

Il faut être nombreux pour gerboyer. De métairie à métairie, on s’aide, on se prête la main, et quand le bâton en forme de croix a été planté aux deux pointes de la gerbière parachevée, on fait l’aouco, un joyeux repas autour d’une très longue table.
Là, vous trouverez toujours femme ou fille pour chanter une chanson d’amour [...]

La moisson : les forts et les moins forts, tous participent...

Les forts monteront les sacs de blé. Choisis parmi la brillante jeunesse, admirés de tous, ils assujettissent leur large ceinture rouge ou bleue et s’avancent, l’air faussement modeste, les manches retroussées, le torse libre dans la chemise bouffante.
Quatre-vingts kilos jetés d’un seul coup sur l’échine et lestement grimpés par un escalier en échelle ! Ceux-là ont à leur disposition une juste, une bouteille de trois litres, cachée en un coin sombre et frais, et qu’ils vont visiter après chaque voyage.

Les anciens à demi submergés par le flot toujours montant de la paille, lutteront sans relâche, plantant leur fourche d’un geste victorieux à la manière de l’archange terrassant le dragon ; aidés d’une jeune équipe, ils construiront ainsi le pailhago, le pailler, qui devra résister plus d’un an, aux coups de vent et aux abats d’eau.

Les femmes, debout sur la batteuse, recevront les gerbes tendues à bout de fourches, trancheront le lien, aideront à nourrir la machine insatiable.

Les faibles seront aux abets, c’est-à-dire la balle et les barbes qu’on emporte par gros ballots fort peu pesants. Cette place convient au vieux Cap de Fer et à Piquemal. L’un a la pousse -l’asthme- l’autre une iniquité, une hernie.

La moisson : a taoulo !

Les repas sont plantureux pendant le battage ; les haricots forment le plat de résistance, mais chacun reçoit en même temps son morceau de confit d’oie. Les salades de tomates crues et de poivrons circulent à la ronde, violemment rouges et vertes, réjouissant la vue avant d’ouvrir largement l’appétit .

A la table du battage, le machineur, celui qui chauffe la locomobile, a une place d’honneur ; à lui, les bons morceaux et les longues rasades : la chaleur du foyer à entretenir dessèche étrangement le gosier, chacun sait ça. Et comme le machineur est tout barbouillé de noir, la longue tablée a l’air d’être présidée par un diable.
Si on ne savait que c’est tout simplement Tistote, Ramounet ou Neyrolle, un brave homme du pays, on ne serait pas rassuré. Mais lui, accoutumé à prendre part, tant que flambe l’été, à ces plantureuses agapes, lui connaît ses devoirs.
Il est affable avec tous, prompt à plaisanter chaque galant et sa maîtresse ; il est enfin quelque peu fennassié, fort ami des femmes.
Tard dans la nuit, on entend des pas et des galopades, des rires et des refrains, des appels et de longs cris chatouillés :

 Bou Dious ! Qu’es aco ?

 Rien, ceux de battage qui se retirent !

La moisson : la montagne résiste au machinisme.

Le progrès n’a pas le pied montagnard.
Il est d’étroits chemins en lacet suspendus au bord des torrents et des précipices, par où la machine à battre n’a jamais pu passer.
Pauvres terres, bosselées, trouées par le rocher, opprimées par la montagne.
La montagne ! Plus on avance, plus elle gagne, étranglant les vallées, dévorant l’humus, raréfiant la. vie végétale. Petit à petit, les cultures s’étrécissent, deviennent des lambeaux déchiquetés.

Notes

[1Wikipedia nous apprend, outre sa carrière brillante d’intellectuel connaisseur d’art, qu’il était "issu d’une longue lignée de juristes ariégeois". Son point d’attache en Ariège semble Mirepoix. Son nom véritable était Escolier, ce qui fait bien languedocien. C’est Anatole France qui lui aurait conseillé de se changer en "Escholier"...

[2Il écrit en avant-propos "Son territoire [de la Gascogne] a formé les départements des Hautes-Pyrénées, du Gers, des Landes, une partie des Basses-Pyrénées, de la Haute-Garonne, de 1’Ariège, du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne.", ce qui est proche de la définition lingüistique (sauf l’absence de la Gironde)...

Grans de sau

  • Il existe une vraie tradition d’utilisation, entre littérature et folklore, du terme de gascon en Toulousain et Agenais (la "nostro lengo gascouno" de la Toulousaine, même pas pour faire la rime avec "Garouno" comme chez Nogaro ou en Agenais, des témoignages, dont celui du philosophe Sansot qui se disait gascon).
    Difficile de savoir s’il s’agit là d’un reliquat de quelque sentiment d’appartenance ancien (pour l’Agenais, c’est évidemment l’appartenance au grand évêché gascon et à la Gascogne ducale, pour le Toulousain, ce sentiment diffus et prégnant d’être à cheval sur deux entités culturelles, du moins c’est le cas pour Toulouse stricto sensu dans son acception religieuse jusqu’à Rieux) ou un maintien plus tardif du terme de gascon comme synonyme d’oc à la suite de Paris, et qui aurait disparu ailleurs en Languedoc.


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